Mort, violence et contrebande Les prisons américaines sont surpeuplées

De Christiane Jacke, dpa

22.10.2019

L’affaire Jeffrey Epstein a soulevé de nombreuses questions sur les prisons américaines. Aucun autre pays dans le monde n’enferme autant de personnes derrière des barreaux que les Etats-Unis. Les conditions de détention sont parfois effroyables. Une employée de prison donne un aperçu de son quotidien.

En août 2019, la mort de Jeffrey Epstein dans une prison fédérale new-yorkaise a mis en lumière les conditions de détention dans les prisons américaines. Le riche homme d’affaires accusé d’abus sexuels s'est suicidé fin juillet par pendaison dans sa cellule. 

Progressivement, semaine après semaine, des détails ont surgi pour faire la lumière sur ce qui a mal tourné dans la prison new-yorkaise: les gardes auraient notamment enfreint la réglementation en ne surveillant pas Jeffrey Epstein pendant plusieurs heures.

Cette affaire qui a fait grand bruit ne montre toutefois qu’une petite partie d’un système pénitentiaire américain en souffrance en de nombreux endroits.

Paula Chavez doit faire avec tous les jours. Elle travaille depuis douze ans dans une prison fédérale au Texas où plus de 1300 hommes sont écroués. Auparavant, Paula Chavez était enseignante dans une école. Agée de 48 ans, elle donne aujourd’hui des cours aux détenus – dans diverses matières, mais aussi dans l’optique d’un retour à une vie normale après leur détention. C’est du moins ce pour quoi elle est employée, explique-t-elle.

Les prisons américaines sont épinglées.
Les prisons américaines sont épinglées.
Keystone

Paula Chavez déplore la baisse considérable du nombre d’employés dans sa prison au fil des ans, qui a de lourdes conséquences. Il y a beaucoup de violence entre les détenus, indique-t-elle. «Nous ne pouvons pas protéger les détenus contre les attaques, affirme-t-elle. Nous ne pouvons pas non plus protéger les employés.»

Le nombre d’attaques contre des employés a considérablement augmenté au cours des dernières années, explique-t-elle. Le fils de Paula Chavez travaille également dans la prison. Il a été attaqué l’an dernier alors qu’il essayait de confisquer le téléphone portable d’un détenu. Plusieurs détenus l’ont battu et grièvement blessé. Des choses similaires sont arrivées à d’autres collègues.

Impuissants face à la contrebande

Clifton Buchanan est représentant des employés pénitentiaires fédéraux au Texas et dans les Etats voisins. Il déplore un problème de manque de personnel en de nombreux endroits. Selon lui, beaucoup d’employés sont surmenés et souffrent d’épuisement professionnel et la pression est énorme.

La frustration de Paula Chavez et de ses collègues est grande. «Nous parvenons juste à nous assurer qu’ils ne s’évadent pas. Mais nous n’avons pas réellement de contrôle sur eux», explique-t-elle en référence aux détenus. «Nous n’y arrivons pas.»

Selon elle, il est impossible de mettre un terme à la contrebande de stupéfiants et de téléphones portables ou à la propagation de pédopornographie. Dans les faits, les téléphones portables sont interdits aux détenus. «Mais nous avons plus de détenus avec un téléphone portable que sans, concède-t-elle. C’est insensé.» Il n’y a pas assez de personnel pour fouiller les cellules et confisquer les téléphones aux détenus, explique-t-elle.

«Cela n’a aucun sens»

A deux reprises au cours des dernières semaines, des drones ont largué des colis remplis de téléphones portables, de cartes SIM et de tabac dans l’enceinte de la prison, relève Paula Chavez. Dans ces deux cas, la livraison a été découverte. Personne ne sait combien de colis ont atterri – avec l’aide d’employés – à l’intérieur de la prison sans être détectés.

Les stupéfiants affluent également en quantités énormes au sein de l’établissement, déplore-t-elle, ajoutant que plusieurs fois par semaine, des détenus doivent être conduits à l’infirmerie à cause d’une consommation excessive de drogue.

Les détenus se font livrer de la drogue en prison, là où ils devraient pourtant s’en défaire, explique-t-elle. «Cela n’a aucun sens.» De plus, les stupéfiants ont augmenté l’agressivité des détenus entre eux.

«Nous n’avons même pas assez de personnel pour assurer la sécurité des détenus», affirme Paula Chavez, qui ajoute que le personnel consacré aux programmes de réinsertion est encore plus insuffisant. Selon elle, à leur sortie, les prisonniers sont plus frustrés et ont plus de problèmes qu’à leur arrivée. Il n’y a pas de véritable réintégration, affirme-t-elle.

D’après Paula Chavez, les autorités n’ont rien fait depuis des années et les choses ne changent que lentement.

Record mondial pour les USA

Aucun autre pays dans le monde n’emprisonne autant de personnes que les Etats-Unis. Plus de 2,1 millions de personnes sont incarcérées aux Etats-Unis. Selon le classement international régulier de l’université de Londres, il s’agit du record mondial, à la fois en chiffres absolus et par rapport à la population du pays.

Même des délits relativement mineurs, telles que des infractions liées aux stupéfiants, peuvent entraîner une longue détention aux Etats-Unis. Le pays lutte donc depuis longtemps contre le surpeuplement carcéral. A la fin de l’année dernière, une réforme a été adoptée pour aider davantage de détenus des prisons fédérales à obtenir une libération anticipée et pour améliorer leur réinsertion dans la société.

Toutefois, cela ne concerne que les prisonniers fédéraux, qui ne représentent que 180 000 des 2,1 millions de détenus. L’effet de la réforme est de ce fait limité. Le département de la Justice des Etats-Unis a annoncé mi-juillet la libération anticipée de plus de 3100 prisonniers fédéraux dans le cadre de la réforme. C’est un début, pas davantage.

Un rapport décrit un «système défaillant»

Les plaintes affluent depuis longtemps au sujet des conditions de détention dans les prisons américaines. Il y a quelques mois, des informations venues de l’Alabama ont suscité un tollé.

Le département de la Justice des Etats-Unis a présenté un rapport d’enquête révélant des conditions de détention effroyables dans les prisons de l’Etat: violence excessive, viols et agressions sexuelles massives entre détenus, suicides, torture entre détenus – souvent sans intervention du personnel pénitentiaire. Dans son rapport, le département a décrit un «système défaillant» à l’échelle de l’Etat. Mais la situation est également alarmante en d’autres endroits.

Il n’est pas rare aux Etats-Unis que des personnes meurent en prison dans des conditions peu naturelles. Selon les chiffres officiels, près de 1000 détenus ont été tués dans les prisons fédérales et d’Etat entre 2001 et 2014 et plus de 3000 prisonniers se sont donné la mort au cours de cette période. Il n’y a pas de chiffres plus récents.

L’affaire Jeffrey Epstein a échauffé les esprits. Mais ce n’est pas un cas isolé.

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