«La ville n'existe presque plus» «Rayée de la carte»: Vovtchansk, trop proche de la frontière russe

ATS

29.10.2024 - 07:40

«S'il y avait quelque chose de particulier à Vovtchansk? Mais vous n'y êtes donc jamais allé», s'indigne Nelia Stryjakova, une ancienne bibliothécaire de cette petite ville du nord-est de l'Ukraine. Impossible, la cité est bombardée depuis des mois et cible depuis le 10 mai d'un assaut de l'armée russe d'une rare intensité.

Tamaz Gambarashvili, 40 ans, maire de Vovchansk et chef de l'administration militaire de la ville, tient un drone à Kharkiv, le 20 septembre 2024. - Elle n'existe presque plus », a déclaré le maire de Vovchansk, une ville industrielle rasée par un assaut russe, choquant même pour les champs de bataille de l'est de l'Ukraine.
Tamaz Gambarashvili, 40 ans, maire de Vovchansk et chef de l'administration militaire de la ville, tient un drone à Kharkiv, le 20 septembre 2024. - Elle n'existe presque plus », a déclaré le maire de Vovchansk, une ville industrielle rasée par un assaut russe, choquant même pour les champs de bataille de l'est de l'Ukraine.
AFP

Keystone-SDA

«On peut dire que la ville n'existe presque plus», constate de manière clinique son maire Tamaz Gambarachvili, de son bureau de fortune installé à Kharkiv, à 68 km au sud-ouest.

Vovtchansk est une localité sans histoire, mais avec une géographie: cinq kilomètres la séparent de la frontière russe, une proximité qui a scellé son destin. C'est un paysage lunaire fait de ruines sur plusieurs kilomètres à la ronde que montrent des images tournées par des drones militaires ukrainiens à la fin mai puis au début septembre.

«L'ennemi continue ses bombardements massifs et, aujourd'hui, 90% du centre-ville est rasé», poursuit M. Gambarachvili, un colosse en uniforme, officiellement toujours chef de des administrations civile et militaire de la communauté urbaine de Vovtchansk.

Immeuble après immeuble

Des journalistes de l'AFP à Kharkiv, Kiev et Paris se sont associés à Bellingcat, un collectif indépendant enquêtant grâce à l'Open Source Intelligence (OSINT, utilisant investigation numérique et données publiques) pour raconter comment, immeuble après immeuble, quasiment toute une ville a été rayée de la carte en quelques semaines.

Pour être précis, 60% de Vovtchansk était totalement détruit et 18% partiellement à la fin septembre 2024, selon une analyse systématique d'images satellitaires réalisée par Bellingcat. Le chiffre est beaucoup plus élevé si on s'en tient au seul centre-ville, au nord de la Vovtcha, la rivière qui traverse la cité.

Cette ville d'environ 20'000 âmes avant-guerre ne vit plus que dans la mémoire de ses habitants qui ont survécu et se sont réfugiés à Kharkiv, où l'AFP les a interrogés.

«Il y avait une école technique, une école médicale, sept écoles [d'enseignement général], de nombreuses crèches. Combien avait-on d'usines? Une usine d'extraction d'huile, une fabrique de beurre, une menuiserie et une seule des deux usines d'Ukraine fabriquant des charriots [utilisés dans le tournage de films d'époque]. Nous étions même intéressants, à notre manière», insiste Mme Stryjakova.

A quoi il faut ajouter un hôpital régional (reconstruit en 2017 avec près de dix millions d'euros en provenance d'Allemagne), une église pleine à craquer aux grandes occasions.

Mal défendue

Après le début de l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe le 24 février 2022, Vovtchansk a rapidement été occupée avant d'être reconquise par les forces ukrainiennes à l'automne de la même année.

Depuis lors, la cité essuyait les tirs réguliers de l'artillerie russe. Mais c'est une tout autre histoire qui a commencé le 10 mai dernier, jour où les militaires russes ont ouvert un nouveau front en attaquant, à partir de la frontière nord, la région de Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine.

Par pure coïncidence, c'est à Vovtchansk, considérée comme un endroit calme, que reprend des forces la 57e brigade ukrainienne, harassée par des semaines de combats à Koupiansk, à une centaine de kilomètres plus au sud. «Nous avons alors repéré deux transports de troupes blindés russes qui venaient de traverser la frontière», se souvient Denys Yaroslavsky, le chef de l'unité de reconnaissance de la brigade.

Moscou vient alors de déclencher une de ses offensives les plus intenses depuis le début de la guerre, mobilisant sans doute plusieurs milliers de soldats, selon Kiev.

«Il n'y avait pas de fortifications, pas de mines» pour freiner la progression ennemie, découvre alors le lieutenant Yaroslavsky. «17'000 personnes ont perdu leur maison et pourquoi? Parce que quelqu'un n'a pas construit de fortifications», fulmine l'officier de 42 ans, qui dénonce «de la négligence ou de la corruption».

Pire qu'à Bakhmout

Ce qui est arrivé à Vovtchansk est pire qu'à Bakhmout, une ville de l'est de l'Ukraine conquise par les Russes en mai 2023 et théâtre d'affrontements parmi les plus violents en deux ans et demi de guerre, estime le lieutenant Yaroslavsky.

«J'y étais et je sais comment les combats s'y sont déroulés. Ce qui s'est passé à Bakhmout en deux à trois mois a pris seulement deux à trois semaines à Vovtchansk», affirme-t-il. «Nous contrôlons aujourd'hui la cité, poursuit-il avec amertume, mais ce que nous contrôlons est un tas de ruines.»

Le ministère russe de la défense n'a pas répondu aux questions de l'AFP sur sa version des combats à Vovtchansk.

Des civils vivant encore à Vovtchansk, il en reste une poignée. Personne ne sait combien. Oleksandre Garlytchev, 70 ans, assure en avoir vu au moins trois, quand il s'est rendu dans son ancien appartement à la mi-septembre, pour y récupérer quelques affaires, à vélo pour plus de sécurité.