Inflation folleSe nourrir ou se soigner, le choix cornélien des Argentins
ATS
5.3.2024 - 08:13
Il y a ceux qui prennent moins des pilules prescrites, ceux qui choisissent entre les traitements et ceux qui ne peuvent simplement pas. Dans une Argentine aux prix «libérés», à l'inflation folle et avec un gouvernement lançant audit sévère de la santé, se soigner peut devenir un luxe.
05.03.2024, 08:13
ATS
«Entre acheter à manger et un médicament, les gens choisissent de manger», dit Marcela Lopez pour expliquer la chute des ventes dans sa pharmacie de Parque Chacabuco, quartier de classe moyenne de Buenos Aires. Elle voit, au quotidien, des patients venus pour un antibiotique, mais, qui, voyant le prix, repartent avec un antidouleur.
Les ventes de médicaments ont chuté de 18% en janvier (70% pour ceux sur ordonnance), selon l'interprofession. «Jusqu'à l'an dernier, il y avait un accord entre le gouvernement et les laboratoires pour une modération des prix», rappelle auprès de l'AFP Ruben Sajem, directeur du centre des pharmaciens professionnels argentins. Cet accord a été abandonné, comme dans d'autres secteurs (alimentation, carburants), par le gouvernement ultralibéral du président Javier Milei dans son élan dérégulateur.
Le tout alimente à court terme – avant un assainissement, promet le gouvernement – une inflation qui s'était déjà établie à 211% en 2023. Les prix ont ainsi bondi de 20% en janvier, contribuant à dévorer un peu plus le pouvoir d'achat après une dévaluation de plus de 50% du peso à la mi-décembre.
La chute statistique des ventes de médicaments ne dit pas les choix dramatiques qui s'opèrent en coulisses et les risques personnels, notamment pour les maladies chroniques, relève Ruben Sajem.
«Par exemple, un patient qui prend chaque jour un médicament pour l'hypertension, va acheter une tablette plus petite et pense que cela ira s'il espace les prises. La réalité, c'est que cela ne lui sert à rien. Tôt ou tard, sa santé va s'aggraver et cela engendrera au final un coût plus grand pour le système de santé».
A son niveau, chacun fait ses choix, dans un pays où la pauvreté affecte désormais 57% de la population, selon l'étude récente d'un observatoire social. Le dernier indice semestriel officiel, publié en septembre, évaluait le taux de pauvreté à 40%.
Viviana Bogado, une cuisinière dont le fils Daniel, 16 ans, a besoin d'antibiotiques en raison d'une prolifération bactérienne dans l'intestin, s'est trouvée confrontée à un choix cornélien: «Il a fallu que je choisisse, soit son traitement soit le mien contre le cholestérol».
Les plus durement touchés sont les retraités et les travailleurs informels – près de 40% de l'emploi -, pour lesquels le système public argentin d'assurance santé, longtemps cité en exemple, ne suffit plus, hormis pour les soins de base.
«Je prends cinq médicaments différents. Deux me sont fournis gratuitement, mais pour le reste je dépense 85'000 pesos [près de 100 dollars, ndlr] par mois, soit un tiers de ma retraite», gémit Graciela Fuentes, retraitée de la restauration de 73 ans, aux prises avec son arthrite.
Dans les interstices de ces difficultés au quotidien se nouent de véritables drames, comme pour Pablo Riveros, 20 ans, victime d'une hémoglobinurie paroxystique (destruction de globules rouges), qui lui cause anémie, fatigue, saignements à tout bout de champ. Un traitement continu est vital, mais, coûtant 42'000 dollars par mois, il ne peut pas le payer.
Depuis le diagnostic en mars 2023, il recevait des médicaments de l'Etat via un programme d'aide sociale, mais les dernières doses reçues datent de novembre. A force d'acharnement, sa mère Estela, une couturière avec sept enfants à charge, a réussi le mois dernier à se faire ponctuellement aider «par un hôpital à qui il restait une dose destinée à un patient décédé».
Le gouvernement assure pour sa part que «jamais l'Etat n'a cessé de livrer des médicaments» et que «tous ceux qui en ont besoin vont continuer à en recevoir», comme l'a affirmé récemment le porte-parole présidentiel.
Dénonçant la «corruption» selon lui omniprésente dans la précédente administration péroniste (centre-gauche), le gouvernement a toutefois lancé des audits tous azimuts destinés à réduire les dépenses. Dans son collimateur figure notamment la direction de l'assistance directe aux situations spéciales.
Cet organisme doté de près de 38 milliards de pesos et chargé des pathologies lourdes, au sein duquel il affirme avoir déniché des «irrégularités» et des «appels d'offres honteux», justement sur les médicaments oncologiques, à coût élevé.
A Estela qui a saisi la justice en référé pour une dose d'urgence et attend une décision, il a été avancé que «l'Etat ne refusait pas une médication mais qu'il fallait attendre la fin de l'audit». Mais Pablo «n'a pas le temps» d'attendre, fait-elle valoir.