Génocide au Rwanda Génocide au Rwanda: vers un non-lieu dans l'enquête sur l'armée française à Bisesero

ATS

3.5.2021 - 16:48

Selon l'ONU, les massacres ont fait plus de 800'000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.
Selon l'ONU, les massacres ont fait plus de 800'000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.
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La perspective d'un procès sur l'attitude de l'armée française lors des massacres de Bisesero, fin juin 1994 au Rwanda, s'éloigne un peu plus: le parquet de Paris a demandé de conclure l'enquête par un non-lieu, suscitant la colère d'associations.

Keystone-SDA

Près de trois ans après la fin des investigations, le parquet a enfin rendu sa décision dans ce dossier sensible, emblématique de la controverse historique sur les objectifs de la mission militaro-humanitaire française Turquoise, déployée au Rwanda à partir de la fin juin 1994 sous mandat de l'ONU pour faire cesser le génocide des Tutsi.

Selon l'ONU, les massacres ont fait plus de 800'000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.

Civils abandonnés

Dans cette affaire, les associations Survie, Ibuka, FIDH et six rescapés de Bisesero, parties civiles, accusent l'armée et la France de «complicité de génocide» pour avoir, selon eux, sciemment abandonné pendant trois jours les civils tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero, dans l'ouest du pays, laissant se perpétrer le massacre de centaines d'entre eux par les génocidaires, du 27 au 30 juin 1994.

La position du ministère public était prévisible, puisqu'aucun des cinq officiers généraux impliqués n'avait été mis en examen au terme de l'enquête conclue en juillet 2018. Une étape qui aurait été nécessaire avant d'envisager un éventuel procès.

Dans un communiqué, le procureur de Paris Rémy Heitz a expliqué qu'"aucune aide ou assistance des forces militaires françaises lors de la commission d'exactions, aucune adhésion de ces dernières au projet criminel poursuivi par les forces génocidaires ni aucune abstention d'intervenir (...) en vertu d'un accord antérieur» n'avait été établie au cours de l'instruction.

Eventuel délit prescrit

Toutefois, au terme de ses réquisitions de 386 pages, consultées par l'AFP, le parquet n'écarte pas la possibilité que la non-intervention des militaires soit constitutive d'une «non-assistance à personne en péril». Mais cet éventuel délit est quoi qu'il en soit prescrit.

La décision finale revient désormais aux juges d'instruction, saisis de ce dossier ouvert en 2005. Ceux-ci devraient logiquement suivre les réquisitions du parquet en rendant une ordonnance de non-lieu. Mais ils peuvent aussi décider de relancer les investigations.

Entourage de Mitterrand

C'est ce que réclament avec insistance les parties civiles qui réclament un procès non seulement contre les militaires, mais également contre des membres de l'entourage de l'ancien président François Mitterrand, jamais visés par l'enquête.

La semaine dernière, elles ont encore écrit en ce sens aux magistrats, s'appuyant sur le récent rapport Duclert consacré à la politique française au Rwanda entre 1990 et 1994, qui révèle selon elles «des charges nouvelles».

«Déni de justice»

Le rapport confirme que Turquoise avait connaissance dès le 27 juin 1994 de la présence de Tutsi réfugiés dans le secteur de Bisesero et menacés par des milices extrémistes hutu. L'armée n'interviendra qu'à partir du 30 juin.

«Ce réquisitoire est navrant et affligeant juridiquement», a déclaré Eric Plouvier, l'avocat de Survie, dénonçant «un déni de justice». «Après trois ans d'attente, le parquet se contente d'estimer qu'il n'y a pas d'intention génocidaire imputable à la France, mais les responsabilités accablantes pointées par le rapport Duclert ne reçoivent aucune réponse judiciaire alors qu'elles ont joué un rôle indéniable dans la survenue des massacres».

Les associations demandent aux juges de réinterroger les deux principaux officiers visés par l'enquête: le colonel Jacques Rosier, chef des opérations spéciales présent à Bisesero, et le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de Turquoise.

Hauts responsables pas inquiétés

Elles insistent surtout pour que les magistrats interrogent l'état-major de l'époque à Paris ainsi que, pour la première fois, l'entourage du président François Mitterrand: son chef d'état-major particulier Christian Quesnot, son conseiller Afrique Bruno Delaye et le secrétaire général de l'Elysée Hubert Védrine.

Mais les magistrats, confirmés par la cour d'appel en 2019, ont déjà refusé plusieurs fois de convoquer le sommet de l'Etat, estimant n'être saisis que des responsabilités des militaires sur place.

Sans commenter Bisesero, quatre des cinq officiers mis en cause, Jacques Rosier, Jean-Claude Lafourcade, Marin Gillier et Etienne Joubert, ont défendu, dans un communiqué mi-avril, l'opération Turquoise qui «a sauvé de très nombreuses vies, protégé et soigné les victimes d'une situation qui échappait à l'entendement».

François Graner, historien et membre de Survie, a dénoncé, derrière cette perspective de non-lieu, une politique de «donnant-donnant», privilégiant «la réconciliation de la France et du Rwanda sur le dos de la justice».