Alpinisme Il y a 80 ans, la face nord de l'Eiger était vaincue

Christian Zingg, Keystone-ATS

24.7.2018

"A moitié gelés, fourbus et écorchés, nous avons enfin atteint le sommet". "La tempête était devenue encore plus violente et soufflait de face (...) Nous sommes redescendus de quelques mètres pour nous serrer la main." C'est ainsi que l'alpiniste Fritz Kasparek a décrit la première ascension de la face nord de l'Eiger.

Le 24 juillet 1938 à 15h30, quatre hommes parviennent pour la première fois à escalader les 1650 mètres de la face nord de l'Eiger, la prétendument invincible "paroi de la mort". Les héros sont les Autrichiens Fritz Kasparek, Heinrich Harrer et les Allemands Andreas Heckmair et Ludwig Vörg.

Plusieurs cordées avaient déjà tenté leur chance au cours des années précédentes. Toutes avaient échoué. L'emblématique sommet bernois avait même pris la vie de neuf alpinistes. Cette montagne va jusqu'à susciter l'incompréhension du Alpine Journal qui n'hésitera pas à taxer la face nord "d'obsession pour les détraqués de l'esprit de presque tous les pays".

Le gouvernement bernois ira même jusqu'à émettre en 1936 une brève interdiction de gravir ce sommet. L'année suivante, le canton libère expressément les guides locaux de l'obligation de secourir les alpinistes accidentés sur la fameuse paroi. Mais cette mesure n'a pas eu l'effet dissuasif ainsi escompté: les candidats continuent d'affluer.

L'union fait la force

Rien ne prédestinait les vainqueurs de la face nord à faire route commune. Le 21 juillet 1938, les deux duos entament séparément l'ascension, les Autrichiens d'un côté et les Allemands de l'autre. Mais en route, ils décident d'unir leurs forces, un rapprochement qui profite aux deux cordées. Les Allemands sont mieux équipés et les Autrichiens connaissent la descente par le côté ouest.

Les quatre hommes doivent lutter durant trois jours et trois nuits contre les mauvaises conditions météorologiques. Ils assistent aussi à plusieurs avalanches. Leur victoire tient davantage des aléas du destin que d'une volonté commune, même si la propagande nazie a présenté différemment cet évènement survenu après l'annexion de l'Autriche.

Eloges de Hitler

Qualifiée de "Victoire sur la paroi des titans", cette ascension est célébrée comme le symbole de la détermination et de la force commune des peuples du "Royaume pangermanique". Adolf Hitler va même accueillir personnellement les quatre alpinistes de retour dans le Troisième Reich.

Les habitants de l'Oberland bernois appelaient eux aussi de leurs voeux le succès de l'ascension de la face nord de l'Eiger, mais pour une autre raison, comme le déclarait alors un citoyen de Grindelwald au journal Bund: "Ce bazar de touristes va maintenant enfin s'arrêter".

Fascination éternelle

Mais cela restera un voeu pieux. La face nord de l'Eiger ne perdra pas pour autant de son pouvoir d'attraction et sa fascination auprès des alpinistes. Plus de 30 nouvelles routes seront découvertes au fil des années. Parallèlement, des alpinistes paient de leur vie l'ascension du flanc nord.

De nos jours, des alpinistes de haut niveau effectuent l'ascension en quelques heures. Le record est détenu par le Bernois Ueli Steck, décédé l'année dernière dans l'Himalaya. Célèbre pour ses exploits en solitaire et ses records de vitesse, Ueli Steck mettra 2 heures et 22 minutes pour réaliser en 2015 l'ascension sur la voie historique ouverte par Andreas Heckmair.

Trajectoires différentes

Les quatre héros du 24 juillet 1938 connaissent après leur exploit des trajectoires différentes. Heinrich Harrer devient mondialement célèbre. Il séjourne sept ans au Tibet pendant la Deuxième Guerre mondiale, se lie d'amitié avec le dalaï-lama, parvient à masquer son passé nazi durant des décennies. Il meurt à 94 ans.

Andreas Heckmair s'applique quant à lui à garder ses distances avec le régime nazi. Honoré toute sa vie comme héros de l'Eiger, il meurt en 2005 à 98 ans.

Ludwig Vörg, alors caporal dans la Wehrmacht, meurt en 1941 lors de la campagne de Russie. Quant à Fritz Kasparek, il rejoint les Waffen SS après son exploit dans l'Oberland bernois. Il est engagé en France et en Russie. Il meurt quelques années après la fin de la guerre lors d'une chute au cours d'une expédition dans les Andes.

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