"Mon sang est-il gay ?", pouvait-on lire sur des pancartes de la Gay Pride à Strasbourg en 2010.
Les députés ont voté en commission la fin d'une discrimination dans les dons du sang touchant les homosexuels
L'abstinence ou l'illégalité, le dilemme des donneurs de sang homosexuels
"Mon sang est-il gay ?", pouvait-on lire sur des pancartes de la Gay Pride à Strasbourg en 2010.
Les députés ont voté en commission la fin d'une discrimination dans les dons du sang touchant les homosexuels
Depuis juillet 2016, homosexuels et bisexuels peuvent donner leur sang, mais seulement si leur dernier rapport sexuel remonte à plus d'un an. Une condition vécue comme la persistance d'une "discrimination" que certains n'hésitent pas à contourner, quitte à se trouver dans l'illégalité.
Julien (prénom modifié) donnait son sang en moyenne tous les mois depuis ses 18 ans. A 22 ans, il découvre son homosexualité et, du jour au lendemain, se retrouve exclu du don.
Avant la réforme de 2016, ce geste était interdit aux homosexuels depuis 1983 en raison des risques de transmission du sida. Sur les 6.000 nouvelles contaminations au VIH en France en 2016, 44% concernaient des homosexuels, le groupe le plus touché, selon les dernières données de l'agence sanitaire Santé publique France.
Dans le questionnaire qui précède le don, Julien, 30 ans aujourd'hui, n'a "jamais coché la case" le rangeant dans la catégorie dite "HsH", "homme ayant eu des rapports sexuels avec des hommes".
"Je trouvais aberrant de ne plus pouvoir donner mon sang de toute ma vie. Je suis sûr de ma sexualité et on ne m'a jamais rappelé pour un souci sur un seul de mes dons", assure-t-il. Infirmier, il connaît "les difficultés de l'EFS (Établissement français du sang, ndlr) à se fournir en produits sanguins". Celui qui "assume le mensonge" vit sa transgression comme "un acte militant" et affirme, "sûr et certain", que plusieurs autres homosexuels et bisexuels l'imitent, "en tout état de conscience".
L'arrêté du 5 avril 2016, socle de la législation en vigueur, impose des conditions plus souples aux hétérosexuels candidats au don: quatre mois sans changer de partenaire.
Le député PS Hervé Saulignac, faisant le constat d'une "discrimination" qui pousse "certaines personnes dans une situation d'illégalité", propose une égalité de traitement. Son amendement sera discuté ce jeudi à l'Assemblée nationale dans le cadre d'une proposition de loi "visant à la consolidation du modèle français du don du sang" portée par le député LR Damien Abad.
- "Pas un droit" -
Mathias Nevers, en couple avec un homme depuis plus de 15 ans, n'a "jamais menti sur (son) orientation sexuelle", qu'il ne souhaite pas "cacher". La loi a, selon lui, un "effet boule de neige": "en plus de l'homophobie ordinaire, on stigmatise les homosexuels comme des irresponsables à la sexualité débridée".
La condition d'abstinence d'un an ne s'appuie sur "aucun fondement scientifique", dénonce-t-il, alors que la "fenêtre silencieuse", cette période initiale durant laquelle l'infection au VIH demeure indétectable, est de 12 jours.
Surtout, elle "exclut de façon arbitraire 95% des donneurs homosexuels" potentiels, estimés à 21.000 par l'EFS, qui lancent très régulièrement des appels au don pour renflouer ses stocks en tension.
Sur cette question, les positions des associations LGBT et de lutte contre le sida sont très partagées.
Malgré la réforme de 2016, "la réalité aujourd'hui c'est le maintien de l'exclusion", constate Frédéric Pecharman, coordinateur du collectif Homodonneurs, le plus offensif sur cette question. "On ne nous a jamais communiqué le nombre de donneurs homosexuels. Pourquoi? Parce que personne ne donne", souligne-t-il.
Jean-Luc Romero, président d'Élus locaux contre le sida (ECLS), a exhorté mardi les députés à changer une loi qui "présume séropositive toute une population" et nourrit l'homophobie, dans une tribune au Huffington Post. D'autres organisations, comme l'Inter-LGBT et surtout Aides, principale association de lutte contre le sida, sont plus prudentes.
"On estime que le don du sang n'est pas un droit. Notre préoccupation première est la sécurité transfusionnelle des receveurs", explique Enzo Poultreniez, militant chez Aides, prônant "un alignement des critères de façon progressive".
La réforme de 2016 prévoyait une adaptation des critères de sélection s'appuyant sur une enquête épidémiologique, dite "Complidon". "Les résultats seront dévoilés a priori d'ici la fin de l'année", indique Santé publique France.
Pour Hugues Fischer, coordinateur prévention chez Act Up Paris, autre association de lutte contre le sida, la question du don n'est "pas une priorité". "On fixe des règles pour stigmatiser les homosexuels, mais pour réduire les contaminations au VIH, personne ne légifère".
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