Sciences & Technique L'Homme «a toujours eu la bougeotte» pour Yves Coppens

AFP

18.7.2019 - 09:03

Le paléoanthropologiste Yves Coppens à Paris le 2 décembre 2016
Le paléoanthropologiste Yves Coppens à Paris le 2 décembre 2016
Source: AFP/Archives

L'Homme, qui il y a 50 ans posait le pied sur la Lune, «a toujours eu la bougeotte», souligne le paléoanthropologue français Yves Coppens, co-découvreur de la célèbre australopithèque Lucy, qui avait suivi les premiers pas de Neil Armstrong depuis l'Ethiopie.

Q: Où étiez-vous dans la nuit du 20 juillet 1969, quand l'Homme a posé le pied sur la Lune?

R: «J’étais au milieu de nulle part, en territoire éthiopien mais à la limite du Kenya et du Soudan, à la direction d’une expédition d’une cinquantaine de personnes, trente chercheurs majoritairement français, dix Kényans swahiliphones et dix Ethiopiens indigènes parlant leur langue (Nyangatom).

J’avais réuni tout le monde dans et autour de la tente mess et autour de la radio un peu limitée d’un des véhicules (ma propre land rover). Il a fallu d’abord expliquer aux 20 Africains que des Hommes allaient débarquer là-haut (la Lune était très visible ce soir-là). Grande attente des chercheurs, curiosité inquiète des Kényans, merveilleuse incrédulité amusée des Nyangatom.

Et puis le module alunit, et Armstrong fit ses premiers pas; je me rappelle que c’était la nuit pour nous. Les hourras fusèrent, ceux des Africains étant un mélange de vraie joie et de crainte méfiante, un peu de sorcellerie sans doute. Tout le monde se regardait mais la joie l’a emporté parce que la nôtre était sans nuages!»

Q: Qu'avez-vous ressenti?

R: «Le sentiment était le plaisir d’un nouveau succès humain; parmi les scientifiques, il n’y avait pas d’ambiguïté. Mais c’était un bonheur étrange, plein de réflexions et de questions.

Nous étions tout de même tous dans des recherches sur les origines de l’Homme et en possession de résultats tangibles; des restes de Préhumains et d’Humains de 2 à 3 millions d’années!

Le genre humain (3 millions d’années), alors Homo habilis (et non sapiens) a eu tout de suite la bougeotte. Par rapport à ses ancêtres inféodés à un milieu de savane ou à ses cousins primates inféodés à un milieu forestier, le genre Homo, parce que son niveau de réflexion était meilleur que celui de ses voisins (pour la première fois, il savait qu’il savait) s'est déployé avec audace et curiosité. Ce voyage lunaire en était typiquement le prolongement, annonçant bien d’autres voyages encore.»

Q: Est-ce que cela a changé quelque chose pour vous?

R: «Cela a dû changer des choses mais ma conviction que l’Homme pourrait le faire et le ferait n'a fait que se concrétiser, ce qui n’a rien enlevé au côté merveilleux de l’évènement.

En science, on est sans cesse étonné mais comme c’est notre métier, on n’a pas peur des extravagances de ces disciplines. Il est évident qu’on ira sur Mars et ailleurs.

J’ai été bien sûr, cette nuit là, auprès de mes restes d’ancêtres de millions d’années, plongé dans une joie profonde de réussite, un vrai étrange bonheur et une admiration pour ce collègue qui faisait de la géologie là-haut!»

(Propos recueillis par Pascale MOLLARD-CHENEBENOIT)

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