Comptes-rendus nocturnes (partie 3) «Il me faut de jolies femmes au club, elles attirent le monde»

De Bruno Bötschi

11.10.2019

Le Nova Park de Zurich devait être davantage qu’un hôtel de luxe traditionnel: le roi suisse des hôteliers René E. Hatt souhaitait en faire un lieu de rencontre.
Le Nova Park de Zurich devait être davantage qu’un hôtel de luxe traditionnel: le roi suisse des hôteliers René E. Hatt souhaitait en faire un lieu de rencontre.
Keystone

L’empire hôtelier de René E. Hatt s’est effondré en 1984. Le palace zurichois cinq étoiles Nova Park est toutefois resté populaire auprès des notables et des prostituées. Et un client est entré en voiture dans le hall de l’établissement.

L’idée de René E. Hatt était séduisante: il voulait faire de ses hôtels un lieu de rencontre, agrémentés d’une touche d’érotisme. L’établissement qu’il a fondé en 1972, l’hôtel Nova Park de Zurich-Hardau, a connu un certain succès dans les premières années.

Le quotidien «Tages-Anzeiger» n’était pas le seul à être enthousiasmé par l’«offre diversifiée d’activités de loisirs (événements, dancings, concerts, service d’accompagnement, fitness et club pour enfants) et les prix relativement avantageux».

Mais la réalité a été tout autre: Hatt s’est trompé dans ses calculs, entraînant le retrait de ses financiers. Lors de la rénovation de l’hôtel Gotham à New York au début des années 1980, les coûts ont échappé à tout contrôle, si bien que 180 millions de dollars au lieu des 60 prévus initialement ont été nécessaires. La débâcle de Manhattan a signifié la faillite de l’hôtelier René Hatt.

L’empire du roi suisse des hôteliers a volé en éclats en 1984. Hatt n’a pas été réélu président du conseil d’administration de son groupe hôtelier. Des procédures judiciaires, réparties sur plusieurs années, ont suivi.

Le Nova Park est resté ouvert (il s’appelle aujourd’hui Crowne Plaza) et d’illustres clients ont continué à y descendre. Selon les comptes-rendus du gardien de nuit, ils se sont retrouvés impliqués dans plus d’une situation dramatique.

6 juin 1983

Deux messieurs du groupe de Steve Winwood sont entrés au club dans une tenue jugée inappropriée. Ils n’étaient pas d’accord de respecter l’heure de fermeture et se sont montrés agressifs et insensibles à nos injonctions. Ils ont été si bruyants à l’étage que les occupants de la chambre 1401 se sont plaints. Il faut remédier à cela sinon les deux prochains jours en compagnie de ces deux personnes risquent d’être trop longs.

30 juin

J’ai pris en flagrant délit de prostitution cette nuit une femme que j’avais déjà remarquée depuis longtemps. Comme nous étions en train de l’observer, sa visite dans une chambre n’a pas échappé à notre attention. En ressortant de la chambre, des personnes l’attendaient. (...) Elle a été «escortée» par deux agents de la police criminelle. Nous n’avons malheureusement pas réussi à identifier le ou les souteneurs, même s’il est fort probable qu’ils séjournaient également à l’hôtel.



9 novembre

(...) deux clients libyens du bar, en état d’ébriété, se sont violemment disputés avec les collègues de la centrale téléphonique, puis avec Monsieur Siegrist (service de sécurité, note de la rédaction) et finalement avec moi. Nous n’avons malheureusement pas pu les retenir si bien que l’un d’eux s’est introduit dans la centrale téléphonique. J’ai appelé la police cantonale, mais à leur arrivée, les deux individus avaient déjà disparu. (...)

14 novembre

Les deux Libyens qui nous avaient créé des difficultés ont réapparu. Nous avons immédiatement avisé la police. Elle nous a envoyé à temps Monsieur Stuber, accompagné d’autres personnes. Les deux inconnus ont pu être appréhendés. Monsieur Stuber nous a ensuite informés que les deux individus avaient été placés en détention.

12 décembre

M. Demont s’est fait remarquer par son comportement agressif au bar. Il s’en est pris à deux messieurs et a tenté de les persuader en faisant étalage de ses muscles. Lorsqu’un de ses amis est encore arrivé pour lui prêter main-forte, j’ai dû appeler la police municipale car elle se déplace bien plus rapidement que la police cantonale. Ils ont procédé à un contrôle d’identité. Une interdiction d’accès serait appropriée.

Lors de son ouverture en 1972, l’établissement cinq étoiles Nova Park, comptant plus de 1000 lits, était le troisième plus grand hôtel de Suisse.
Lors de son ouverture en 1972, l’établissement cinq étoiles Nova Park, comptant plus de 1000 lits, était le troisième plus grand hôtel de Suisse.
Keystone

24 janvier 1984

Monsieur Zellweger, novice au poste de gestionnaire du Club of Clubs., se moque du fait que nous effectuons des contrôles au club. Il estime que «son» club n’est pas un endroit fréquenté par des bagarreurs et que les contrôles se révèlent inutiles. Il s’est exprimé ainsi récemment: «Il me faut de jolies femmes au club, elles attirent le monde». Il semble que cet homme ne soit pas informé des tâches incombant à notre fonction.

25 janvier

J’ai dû expulser de l’établissement des joueurs de dés vers 2h45. Il a fallu prévenir Monsieur Zellweger, le nouveau chef du club. Je connais déjà le visage de trois d’entre eux. Ils fréquentent assez régulièrement le Club of Clubs. (...) J’ai remarqué depuis un certain temps déjà que la responsable des contrôles au club n’est pas en mesure d’identifier visuellement les clients. Elle est constamment entourée d’hôtes masculins et boit du champagne. (...)

27 janvier

Peu après 3 heures, j’ai vu comment une Fiat Panda est entrée dans le hall de l’hôtel par l’entrée principale. Je l’ai suivie, le conducteur est descendu et a rejoint le groupe Sidema (environ 30 personnes). Le volume de l’autoradio a ensuite été réglé au maximum. J’ai immédiatement fait venir un véhicule de patrouille de la police municipale. Monsieur Enz et les personnes l’accompagnant (police municipale) ont ensuite réglé l’affaire et forcé la voiture à quitter les lieux (le conducteur n’a pas été dénoncé). Si des dégâts devaient être constatés sur la moquette, Monsieur Fischer, du groupe Sidema, s’est porté garant pour le paiement. (...)



7 mai

Nous avons procédé à l’enregistrement de Monsieur Gasda (2508) vers 0h30, bien qu’il ait été fortement éméché. Il s’est rendu au bar et a bu jusqu’à en perdre la tête. Il a été emmené dans sa chambre avant de réapparaître – complètement nu – quelques minutes plus tard. (...)

8 mai

Mesdames C. Meyer et S. Pichler: après les avoir observées pendant deux jours, j’ai pu constater sans aucun doute que les deux dames s’adonnaient à la prostitution dans l’hôtel, trahies par leur apparence. Je recommande de les interdire d’accès.

26 mai

M. Bobby Reid de la 1110, ainsi que son compagnon de chambre du groupe d’Elton John, ont voulu commander une consommation au bar 10 minutes après la fermeture. Tous deux ont vu un sommelier du bar servir un autre client après 2 heures (peut-être un collègue du sommelier). Ils ont également voulu commander une boisson, mais se sont comportés de manière très primitive: ils ont jeté à terre des fleurs et une assiette de fraises. (...) Une bagarre a éclaté, qui a semblé toujours plus dégénérer. Pour être bref, je leur ai ensuite offert une bière du bar que j’ai payée et les ai reconduits à leur chambre.

26 juin

Monsieur Hofstaetter (chambre 2515) a été victime d’une attaque cérébrale vers 4h30 et a dû être emmené à l’hôpital «Triemli», accompagné par le médecin urgentiste, le Dr. Benninger. La facture s’élève à 600 francs. J’ai tout d’abord questionné les femmes séjournant dans sa chambre (trois), que je soupçonnais de prostitution, et ai exigé une pièce d’identité. (...)



7 octobre

Des membres du groupe de musique Talk Talk ont causé des dégâts au premier étage. Résultat: une table brisée et un plafonnier arraché. Le leader du groupe se trouve dans la chambre 1116. Je lui ai parlé et montré le tas de bois. Il n’était pas non plus totalement sobre.

14 décembre

(...) Ce n’est un secret pour personne que des joueurs de dés misent de l’argent depuis longtemps et chaque nuit au Club of Clubs. J’avais déjà rapporté ces faits (voir le compte-rendu du 25 janvier), mais je n’ai constaté aucun changement jusqu’à présent. Je n’ai pas vu les joueurs de mes propres yeux le 12 décembre. Monsieur Iselin me l’a cependant signalé ultérieurement. Ils comptent parmi les clients les plus fidèles du Club of Clubs. Le chef du club, Monsieur Zellweger, sera en mesure de leur donner davantage d’explications. Je serais aussi très heureux si l’on pouvait mettre un terme à ce problème. Je tâcherai d’être plus vigilant à l’avenir. (...)

Comptes-rendus nocturnes (partie 3)

Que se passe-t-il dans un hôtel après la tombée de la nuit: «Bluewin» a pu consulter les procès-verbaux du gardien de nuit du Nova Park. Ils relatent des faits s’étant déroulés entre 1981 et 1985 dans le plus grand hôtel de Zurich. Ces cahiers auraient dû être déchiquetés depuis longtemps, mais un ancien collaborateur les a conservés chez lui. Quelle chance!

Vous trouverez la première partie de cette série en cliquant ici et la deuxième ici.

Les images du jour

Retour à la page d'accueil