Aperçu
Football en direct
Ligues
Super League
Aperçu
Sports d'hiver en direct
Résultats et classements FIS
Résultats et classements IBU
Aperçu
Hockey sur glace en direct
Résultats et tableau
Aperçu
Live-Tennis
Tournois
Résultats
Aperçu
Live Motorsport
Courses et classements
Services
Swisscom
- Sport
- Live & Résultats
- Foot
- Highlights
- Champions League
- Sports d'hiver
- Hockey
- Tennis
- Autres
- Sport TV
- Foot
- Super League
- Challenge League
- Champions League
- Bundesliga
- Premier League
- Serie A
- LaLiga
- Ligue 1
- Europa League
- Conference League
«Bötschi questionne» Rosa von Praunheim: «il faut révéler l’homosexualité des prêtres»
Par Bruno Bötschi
3.5.2019
Le réalisateur Rosa von Praunheim, 76 ans aujourd’hui, a provoqué plusieurs scandales, en dévoilant notamment l’homosexualité de Hape Kerkeling. S’est-il assagi? Que ce soit de dépressions, d’aide au suicide ou de sexe, rien n’est tabou avec lui.
Son appartement à Berlin. Un immeuble ancien avec de hauts plafonds, des meubles colorés et confortables, et sur les murs, des affiches de ses films. Sur le canapé de couleur noire, on aperçoit des animaux en peluche multicolores. À côté, deux grands tableaux blancs sur lesquels sont notés d’une écriture soignée les échéances pour son prochain projet de film.
Perçant, insolite et sans égards: Rosa von Praunheim n’est pas un homme avec la langue dans la poche. Il a dédié sa vie et son œuvre cinématographique au combat pour l’égalité des droits des homosexuels.
«Salut les freaks, les amis du cinéma et les pervers», écrit-il sur son site Internet, «j’ai été l’un des premiers au monde à réaliser un film gay politisé après la Seconde Guerre mondiale et vous dis en toute modestie que je suis le producteur le plus prolifique de films gays de la Terre».
En tout cas, Rosa von Praunheim est assidu. Il a tourné plus de 140 films (et continue encore à 76 ans), a produit d’infinis talk-shows, de nombreux livres, pièces radiophoniques et pièces de théâtre.
Le journaliste espère que tout ce qu’il dira au cours de cet après-midi sera drôle ou insolent simplement parce qu’il le dit. Allons-y, départ!
Monsieur von Praunheim, je vais vous poser un maximum de questions auxquelles vous devez répondre le plus rapidement et spontanément possible au cours de la prochaine demi-heure. Si l’une des questions ne vous convient pas, dites simplement «Je passe».
Donnez le signal.
Vous allez recevoir début mai à Zurich le prix Pink Apple Festival Award 2019. Dans l’invitation, les organisateurs du festival du film gay et lesbien vous présentent en tant que cinéaste, activiste gay, auteur et enfant terrible. Trouvez-vous aussi que vous êtes un enfant terrible, un citoyen terrible?
Ah, mais c’était il y a bien longtemps. Le scandale a été immense lorsque nous avons lancé le mouvement gay en Allemagne en 1971. De nombreuses voix se sont indignées contre nous, contre moi à l’époque. J’étais considéré comme provocateur, mais je vous le répète: c’était il y a bien longtemps.
Avec quoi avez-vous choqué le plus les citoyennes et citoyens?
Mon film à controverse de 1971 «Ce n'est pas l'homosexuel qui est pervers mais la société dans laquelle il vit» a certainement dû choquer le public. Le film a d’abord été interdit, ce qui a été largement relaté dans la presse. Il a ensuite été diffusé à la télévision. Il n’y avait à l’époque que trois programmes TV en Allemagne, ce qui a suscité une attention d’autant plus grande. Je suis également apparu dans la presse en 1991 lorsque j’ai publiquement fait l’outing de Hape Kerkeling et Alfred Biolek à la télévision.
Avez-vous des regrets?
Eh bien, ces histoires d’outing ont été quelque chose de délicat... Après mon passage à la télé, de nombreuses personnes, qui étaient pourtant pro-outing auparavant, se sont retournées contre moi. J’ai trouvé cela vraiment triste. Et il y a une chose que je regrette profondément: au début des années 1990, nous avons fondé la télévision gay à Berlin. La chaîne RTL a manifesté un jour son intérêt à notre égard. Elle produisait déjà à cette époque le «Weibermagazin» (ndlr, le magazine des femmes) avec Hella von Sinnen et planifiait une émission-pilote avec nous. J’étais justement de passage en Suisse pour l’avant-première d’un de mes films et un journaliste m’a demandé pourquoi RTL voulait financer notre télévision gay. J’ai répondu: «Si ça fait de l’audimat, ils réaliseraient aussi un documentaire biblique ou sur les nazis». Ma réponse est remontée, je ne sais comment, aux oreilles du chef de RTL, ils étaient furieux. C’est ainsi que la chance de pouvoir réaliser un magazine gay pour un large public s’était malheureusement envolée à ce moment.
Sur votre site Internet, on peut lire cette phrase: «Certains me désignent comme le réalisateur gay le plus aimé d’Allemagne et d’autres comme le moins aimé». Quels termes à votre égard préférez-vous?
Il est clair qu’un scandale peut contribuer à attirer les gens au cinéma. La controverse vis-à-vis de moi-même ou de mes films n’a jamais été aussi grande que depuis l’histoire des outings au début des années 1990. Je me réjouis plutôt du moment où mon film est présenté au public, comme avec mon dernier film «Männerfreundschaften», qui a reçu de nombreuses critiques.
Pourquoi ne vous êtes-vous jamais lancé en politique?
Je ne suis pas assez diplomate pour cela. Les politiciens doivent être aimables avec tout le monde, ce qui n’est pas mon cas. J’admire pourtant la façon dont les politiciens font face aux controverses et aux attaques à leur encontre.
Où conservez-vous votre croix de chevalier de l'ordre du Mérite?
Mon compagnon Olivier la garde dans son coffre-fort.
Que vouliez-vous devenir à l’âge de dix ans?
Je ne sais plus. Ma famille venait de fuir l’Allemagne de l’Est pour l’Ouest. J’étais mauvais élève et aussi peu doué pour les tâches pratiques si bien que les perspectives de décrocher un bon job étaient limitées. Je peignais et j’écrivais déjà beaucoup à cette époque mais je n’aurais jamais soupçonné que peintre ou auteur puissent être des métiers.
Son expression faciale: elle peut passer d’hyper amicale à passablement écœurée. Maintenant, après les questions sur sa jeunesse: la tendance est à l’ennui. Et avec cela l’impression qu’il est un peu fatigué cet après-midi. Bon, passons aux questions sur le sexe!
Le second livre de vous que j’ai acheté a pour titre: «Gibt es Sex nach dem Tod?». Il a été publié en 1981 lorsque vous aviez 39 ans. La plupart des gens ne veulent rien avoir affaire avec la mort à cet âge-là.
Je me suis confronté très tôt à la mort. Nous avons mis en scène mon enterrement avec quelques-uns de mes camarades d’études à mes 20 ans. J’ai toujours trouvé la mort fascinante. Quand on est plus jeune, il existe encore une certaine distance face à la mort si bien que l’on peut être encore plus radical et plus libre à son encontre, plaisanter davantage à ce sujet.
Dans votre livre sur la mort vous concevez une sorte d’au-delà dans lequel les morts peuvent assouvir leurs désirs sexuels. On pourrait penser que vous abordez la sexualité comme une espèce de religion.
La sexualité est la racine de toutes choses. L’humanité n’existerait pas sans le sexe. Le pire est que l’Eglise a diabolisé la sexualité. Pratiquement toutes les religions la standardisent, la critiquent. Il est terrible de constater combien de sentiments de culpabilité sont ainsi ancrés dans les hommes et les femmes. Le sexe est pourtant un élément puissant générant la vie.
Quand avez-vous connu le sexe pour la première fois?
J’ai couché à 19 ans pour la première fois avec une femme et peu après avec un homme.
Robbie Williams a déclaré un jour que les hommes avaient l’air d’haltérophiles constipés durant l’orgasme. Vrai ou faux?
Mon ami Frank Ripploh a dit quelque chose de similaire. Le réalisateur disparu en 2002 était un homo très drôle. Il observait souvent les expressions du visage de ses partenaires quand ils couchaient ensemble et s’en amusait avec délice. Avoir des rapports sexuels, c’est un sentiment incontrôlé et simultanément quelque chose de merveilleux car nous sommes constamment forcés de nous contrôler en société.
Que ressentez-vous durant l’acte sexuel?
Tout dépend du partenaire et de l’occasion. Il existe des milliers de sortes de sexe, en particulier pour un homme gay qui s’accorde bien plus de libertés qu’un homme hétérosexuel. Les hommes mettent moins de distance entre eux. Ce qui est beau dans le fait d’être gay, c’est que chacun a l’opportunité en fait d’avoir des relations sexuelles. Je ne parle pas là d’amour, de relation ou de proximité, c’est diamétralement différent, mais il est plutôt aisé pour les personnes gays d’obtenir du sexe.
Qu’est-ce qui rend autant de gens si raisonnables?
L’être humain est formé tôt à s’adapter. En tant qu’artiste, je m’intéressais toutefois à l’art et, de ce fait, trouvais l’aspect non-conventionnel et individualiste toujours important. Je ne sais pas d’où cela vient car je suis arrivé pour ainsi dire comme un enfant trouvé chez des parents adoptifs et n’ai donc que peu à raconter sur mes parents biologiques. Je sais seulement que je me sentais souvent seul, moi et mes centres d’intérêt, quand j’étais jeune. La plupart des autres s’intéressaient au sport, à la technique ou à toute autre science.
Êtes-vous capable de vous excuser?
J’ai progressé aujourd’hui dans ce domaine par rapport à avant.
Devriez-vous encore présenter des excuses à quelqu’un?
Non, mais j’ai souvent énervé ma mère, que j’ai beaucoup aimée et qui a habité chez moi plusieurs années à la fin de sa vie. Nous étions assis un jour au jardin et je lui ai donné un petit coup et l’ai taquinée. Un homme inconnu est passé une fois devant nous et m’a sermonné en demandant pourquoi je mettais constamment ma mère en colère. J’en ai eu terriblement honte à l’époque.
Vous n’avez appris qu’à 58 ans que vous aviez été adopté. Quelle a été votre réaction?
J’ai trouvé cela fantastique et aventureux. Ma mère craignait depuis tant d’années de m’en parler car elle pensait que je lui en voudrais. Le contraire s’est produit: ma mère m’a sauvé d’une situation de guerre. Mes parents m’ont protégé de façon admirable et m’ont offert une vie fantastique, chose que je n’aurais jamais eue sinon.
Combien de fois vous a-t-on tabassé dans votre vie?
Jamais. J’ai redoublé quelques classes si bien que j’étais presque toujours plus grand que mes camarades.
On ne le croit bizarrement pas du tout maintenant. Il a le regard innocent d’un enfant de neuf ans. Des enfants, qui, comme chacun sait, savent mentir en toute gentillesse.
Avez-vous déjà cogné quelqu’un?
Non, mais je rappelle une fois m’être mis très en colère et avoir empoigné au col un camarade de classe que j’ai menacé de frapper. Quand je dirige la régie, je suis en fait plutôt aussi le bon gars. Mais il y a eu certains moments où le tournage s’est mal passé, alors une grosse colère s’est accumulée en moi et je me suis mis à crier d’une seconde à l’autre. Mon cri a bizarrement été utile car tous les protagonistes ont été tellement effrayé que la collaboration sur le plateau n’en a que mieux fonctionné ensuite.
Existe-t-il une sorte de devise générale avec laquelle on pourrait expliquer votre démarche artistique?
Oh mon Dieu! On m’associe naturellement toujours aux films gays. Je suis certainement le cinéaste qui a le plus documenté la vie et la politique gays à travers le monde. J’ai d’autre part souvent aussi travaillé avec des femmes plus âgées, les ai propulsées au rang de stars, prenez Lotti Huber ou ma tante Lucy par exemple. Les femmes fortes, plus âgées m’intéressent depuis toujours, leur confiance en elles m’attire. Mais j’ai également tourné de nombreux films sur des thèmes sociaux.
De nombreux réalisateurs gays, à l’instar de Fassbinder, Pedro Almodóvar et vous-même avez fait des femmes des protagonistes. Pourquoi?
Je crois que c’est lié à l’identification féminine. Je tourne actuellement le film «Operndiven, Oberntunten». C’est un documentaire sur les hommes gays qui aiment l’opéra. Les homosexuels aiment surtout les voix hautes de soprano. Mon explication à cet égard: de nombreuses personnes gays se sentent comme une minorité voire même considérées comme inférieures mais elles gagnent une certaine estime de soi grâce à l’admiration aux stars de l’opéra. L’opéra est aussi une sorte d’exutoire pour les gays. Je vais également rencontrer quelques stars d’opéra pour savoir ce qu’ils pensent de leurs fans gays.
Billy Wilder a déclaré: «Les hommes détestent ou aiment les femmes. Seuls les gays les aiment vraiment».
Avant, les hommes hétérosexuels ont souvent eu une éducation misogyne. Les femmes étaient vues comme des sorcières, étaient décrites comme intrigantes. Comme les femmes n’ont jamais eu beaucoup de droits, elles ont dû se battre pour leur pouvoir, ce qui faisait peur aux hommes. Les homosexuels arrivent au contraire à s’identifier facilement aux femmes et les comprennent.
Que font les femmes mieux que les hommes?
En envisageant cela sous l’angle de l’émancipation, il ne s’agit pas de savoir mieux faire, mais d’égalité. Cela signifie que dans l’industrie du cinéma par exemple, les femmes peuvent réaliser d’aussi bons polars que les hommes mais n’ont malheureusement pas souvent l’opportunité de pouvoir le faire.
Si vous passez en revue votre vie, aujourd'hui à 76 ans, à quel point êtes-vous satisfait?
Ma pièce de théâtre «Jeder Idiot hat eine Oma, nur ich nicht» a été présentée en première au Deutsches Theater de Berlin en janvier 2018. Il s’agit d’une comédie musicale autobiographique, j’ai abordé ma biographie avec une approche entre l'humour et l'ironie mais également sur un plan sérieux. La pièce a été jouée avec un grand succès durant une année et demie. J’ai souvent assisté aux représentations afin de soutenir les deux interprètes principaux. C’était très excitant pour moi car je pouvais revoir à chaque séance pour ainsi dire ma vie en condensé. Je n’ai pas une bonne mémoire, j’ai beaucoup de peine à me rappeler tout ce que le jeune Rosa a fait. Lorsque je tourne un nouveau film, j’éprouve à chaque fois cette sensation comme si j’étais sur le point de recommencer à être créatif.
Soyons honnête: notre homme aime raconter des histoires c’est pourquoi il parle aussi longuement ...
Existe-t-il un copinage gay?
Une de mes connaissances argumentait il y a plusieurs années qu’une fois les gays s’étaient mis d’accord du temps où Klaus Wowereit était encore bourgmestre-gouverneur de Berlin. J’ai ressenti cela comme terriblement homophobe et hostile aux gays. La vie en société est toujours très compliquée pour les gays, une entraide mutuelle ne pourrait que s’avérer normale et importante également. Je n’ai cependant qu’expérimenté le contraire.
Racontez-nous.
J’ai souvent vécu l'expérience de voir des gays qui rendaient la vie dure à d’autres gays car ils craignaient d’être considérés comme homosexuels en public. Il y avait des producteurs de télévision gays dont je ne pouvais rien attendre pour ce motif. Je dois malheureusement avouer que c’étaient majoritairement les hétérosexuels, des personnes plutôt conservatrices, qui m’ont aidé. Tout cela a heureusement évolué positivement au cours des dernières années grâce à l’émancipation et la libéralisation.
La culture du corps est un élément important pour de nombreux homosexuels. Le vieillissement est-il particulièrement dur à encaisser pour les gays?
C’était peut-être le cas auparavant. Internet offre cependant aujourd’hui bien plus de possibilités pour faire la connaissance de quelqu’un. Mais il faut également considérer que l’offre est supérieure car on trouve un plus grand nombre d’organisations gays. Mon voisin par exemple travaille dans le bar berlinois «Der neue Oldtimer». C’est surtout un lieu de rencontres pour les gays plus âgés. Il existe aussi de jeunes gays qui aiment les plus âgés à l’instar de jeunes hommes hétérosexuels qui sont branchés par les femmes plus âgées. Le seul problème réside peut-être dans le fait que les hommes plus âgés étaient autrefois habitués à être très désirés et par conséquent ne savent plus en vieillissant comment aborder d’autres personnes. Je crois simultanément que cela est plus aisé pour nous les homosexuels que pour les hétéros car nous avons l’habitude d’être plus communicatifs.
Pourquoi le corps est si important pour les gays, parce que le sexe l’est tout autant?
Peu importe que l’on soit hétérosexuel ou gay, le culte du corps est aujourd’hui plus développé qu’auparavant, mais cela est surtout dû à des facteurs liés à la santé. Je suis convaincu que le fait de tomber amoureux dépend peu du corps mais bien plus de la personnalité d’une personne. Si c’était différent, tous devraient sortir avec des culturistes. Mais tel n'est pas le cas. Les couples gays, tout comme les couples hétérosexuels, ont des allures très variées. Et de toute manière, je m’imagine une relation avec une personne au corps parfait devenant rapidement assez ennuyante.
En tant que militant gay vous devez être très attristé qu’à ce jour, plus de 70 pays appliquent des lois antihomosexuelles sur leur territoire. Dans 13 pays d’Afrique et d’Asie, les gays encourent même la peine de mort.
C’est horrible. L’immigration des dernières années a conduit de nombreuses personnes chez nous, en Europe, qui véhiculent l’homophobie. Beaucoup des migrants arrivés ont reçu une éducation homophobe. Dans les pays où les femmes ne sont que peu considérées ou soumises, la situation des homosexuels n’est généralement pas enviable. En Arabie Saoudite, les femmes n’ont toujours pas le droit de conduire et dans de nombreux pays arabes, elles sont encore condamnées pour adultère à la peine de mort par lapidation.
En ce moment, l’Europe connaît une montée des forces nationalistes de droite. Avez-vous parfois des craintes par rapport aux acquis allant de pair avec votre mode de vie?
Il faut toujours en avoir peur. En tant que membre d’une minorité, j’ai toujours eu conscience de devoir lutter pour mes droits. Je trouve toutefois effroyable que de nombreux gays et lesbiennes soient également liés à des organisations d’extrême-droite. Pensez seulement au Ministre fédéral allemand de la Santé Jens Spahn, avec ses opinions très conservatrices ou à la tête de proue féminine du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) Alice Weidel.
Aimez-vous les plaisanteries sur les homosexuels?
Oui, mais tout dépend qui les raconte. J’ai grandi dans une époque où les gags sur les homosexuels étaient toujours dirigés contre eux. Quand j’entendais un gag anti-gay dans les années 1950, je ne pouvais pas critiquer celui qui l’avait raconté. Je savais au lieu de cela que cette personne détestait les homosexuels et je me méfiais plutôt d’elle.
Vous avez été violemment attaqué en 1991 après avoir dévoilé l’homosexualité de Hape Kerkeling et Alfred Biolek dans le talk-show de la RTL «Explosiv – der heisse Stuhl» . Qu’est-ce qui vous a amené à faire cela à cette période?
L’outing est survenu à l’apogée de la crise du sida. C’était presque la guerre et j’en ai par conséquent conclu que nous, les gays, devions passer à l’offensive. Des célébrités avaient déjà révélé leur homosexualité aux États-Unis. J’ai pris cette initiative pour justement montrer à tous les gays qui se cachaient encore à l’époque qu’ils n’étaient pas seuls et qu’également de nombreuses personnalités célèbres étaient aussi homosexuelles. Je voulais donner du courage aux autres en agissant ainsi.
Kerkeling a commenté son outing plus tard avec les termes suivants: «Des natures plus sensibles que moi auraient peut-être agi sur un coup de tête et se seraient allongées dans la baignoire le föhn à la main».
Allons donc! Personne ne l’a fait, toutes les célébrités dont j’ai dévoilé l’homosexualité ont plutôt tiré profit de leur outing. Leur cote de popularité a ensuite augmenté. Je n’ai reçu que leur haine en échange. Et vous devez savoir une chose: je ne dévoilerais jamais l’homosexualité d’un enseignant travaillant dans un établissement scolaire fréquenté par 90% d’élèves musulmans. Je ne causerais jamais de malheur à des personnes incapables de se défendre.
Vous avez également brièvement expliqué dans une interview que vous ne vouliez pas révéler l’homosexualité de joueurs de foot professionnels car cela signifierait très probablement la fin de leur carrière.
Allons donc, le football et le sport ne m’intéressent pas du tout... Il serait bien plus important de mettre fin une fois pour toutes au sectarisme au sein de l’Église catholique. On sait depuis longtemps que de nombreux prêtres catholiques sont gays et qu’au Vatican également, on trouve beaucoup d’homosexuels occupant des fonctions élevées. Il est temps de faire l’outing des prêtres homosexuels.
J’ai bien saisi: vous voulez révéler l’homosexualité des prêtres concernés?
Je ne le ferai pas. Mais je trouverais bien s’il y avait un groupe de personnes qui en parlaient au sein de l’Église catholique avec les dignitaires religieux homosexuels. Le mieux serait évidemment que l’outing émane directement de l’Église. Je crois que si un groupe important de prêtres révélaient leur homosexualité, l’Église catholique ne pourrait pas du tout se permettre de tous les renvoyer car elle fait face à une grande pénurie de prêtres actuellement. L’Église catholique devrait bien plus reconsidérer sa position sur la sexualité et l’homosexualité, l’adapter et la moderniser.
Une personne peut-elle en rendre heureuse une autre?
Oui certainement. Le bonheur ne se rapporte pas uniquement à une relation de couple à mon avis, la famille ou les amis peuvent aussi rendre une personne heureuse. Cela a été une grande chance pour moi que d’avoir pu collaborer durant dix ans avec Lotti Huber. En même temps, je suis heureux d’avoir une relation depuis onze ans avec un homme merveilleux (le réalisateur Oliver Sechting, ndlr) . C’est justement quand on est plus âgé qu’il est beau de pouvoir vivre une relation de solidarité commune.
Que pensez-vous des relations monogames?
Je ne peux pas répondre globalement à cette question. Les hommes étaient autorisés auparavant à avoir autant de liaisons qu’ils le souhaitaient alors que les femmes devaient rester monogames. C’était terrible. Dans certains couples gays, il arrive d’être attiré par d’autres personnes en vivant cela très ouvertement. Je trouve ça formidable. Chez certains homosexuels la situation est parfois telle qu’ils n’ont plus de relations sexuelles avec leur partenaire mais souhaitent malgré tout rester en couple. Je trouvais personnellement beau d’avoir des relations sexuelles exclusives avec mon nouvel ami au début d’une liaison amoureuse. Je trouvais que la relation pouvait mieux évoluer de cette façon.
Les très jeunes hommes vous regardent-ils encore?
Naturellement, mais je suis attiré par les hommes de tout âge.
Quel est le plus bel homme avec qui on vous a comparé?
Sur le tournage d’un film à Mexico, quelqu’un m’a dit un jour que je ressemblais à Alain Delon, et peu de temps après on m’a encore comparé à Warren Beatty. J’ai bien sûr trouvé cela génial. J’étais un jeune homme très attirant et j’avais mes prétendants. Je n’arrivais toutefois pas à apprécier cette situation à sa juste valeur. C’était probablement aussi bien ainsi sinon je serais devenu vaniteux.
Donc basiquement: pourquoi la vie vaut-elle la peine d’être vécue?
À mon avis, la sens de la vie est la vie en soi, donc la survie. Je ne crois pas à un sens plus profond de la vie.
Le philosophe autrichien Robert Pfaller déclarait en 2011 dans une interview, qu’il valait la peine de vivre pour de toutes petites choses. Aller boire un pot entre amis, apprécier la vue dans un moment de tendresse, fumer une cigarette en prenant le café. Êtes-vous aussi d’accord avec lui?
C'est probablement propre à chacun. Personnellement, je peux seulement dire que j’ai aussi mes côtés maniaco-dépressifs. Cela se produit surtout quand je ne suis pas dans une phase de travail et je me retrouve souvent vite au fond du trou. Il y a deux ans, j'étais plutôt désespéré. J'ai ensuite réuni mon amour Oli et mon vieil ami Mike et leur ai dit que je n'avais plus envie de vivre parce que tout était terminé. Oli et Mike se sont moqués de moi parce qu'ils trouvaient cela drôle et qu'ils savaient que je n'allais pas mettre fin à mes jours tout seul. Et vous savez quoi? L’année suivante a été la meilleure de ma vie. La pièce de théâtre «Jeder Idiot hat eine Oma, nur ich nicht» a été publiée, le film «Poussières d'amour » (Abfallprodukte der Liebe) a été présenté à l'Académie des arts de Berlin et j’ai tourné deux films. Ce fut une année somptueuse. Il vaut donc la peine d’attendre et de voir ce qui viendra. L’humoriste Karl Valentin a déclaré un jour: «La vie c’est comme une avalanche, parfois on se retrouve en-dessus, et parfois en-dessous». Je vois les choses également ainsi aujourd’hui.
Lisez-vous toujours dix livres à la fois?
Je lis toujours beaucoup de livres. J’en lis de nombreux tout simplement mais je reste parfois accroché sur certains. C’est aussi le cas avec les films. J’ai peu de patience, si un film ne me plaît pas, je ne le regarde pas jusqu’à la fin.
Quel livre préférez-vous lire actuellement?
Je viens de terminer le roman «Une vie comme les autres» écrit par l’auteure lesbienne Hanya Yanagihara. J’ai littéralement dévoré les 900 pages du livre. Yanagihara raconte une histoire déprimante mais débordant toutefois d’une force prodigieuse. J’ai également apprécié son roman précédent «The People in the Trees» et aussi celui de Hilmar Klute «Was dann nachher so schön fliegt». On y lit l’histoire du jeune Volker, effectuant son service civil dans une maison de retraite de la Ruhr, envoyé à Berlin pour prendre part à une réunions de jeunes écrivains où il doit présenter ses poèmes. Un sujet peu spectaculaire mais écrit en toute légèreté et toute décontraction.
Trouvez-vous vraiment la musique généralement affreuse?
Oui, bon, je n’ai que peu de rapport avec le monde de la musique car je n’ai pas eu d’éducation musicale. J’ai toujours trouvé géniale la musique plutôt singulière.
La musique militaire thaïlandaise par exemple?
Exactement, et j’aime les chansons polonaises ainsi que celles à caractère politiques de la RDA. J’ai un faible pour la musique qui paraît involontairement bizarre. Et je m’implique naturellement intensément dans la musique destinée à mon nouveau film «Operndiven, Operntunten».
Merci, c’était passionnant. Nous devons encore aborder avec vous, Monsieur von Praunheim, un thème classique pour la fin de l’entrevue, les questions au sujet de la mort. Voici le sprint final.
De nombreuses personnes avec qui vous avez entretenu des relations artistiques mais aussi des liaisons amoureuses ont disparu. C’est affreux, n’est-ce pas?
Ce n’est pas si terrible que ça. Cela fait partie de la vie. Et comme je me trouve toujours au cœur d’une vie productive, je rencontre toujours de nouvelles personnes. Quelques personnes plus âgées sont en outre toujours vivantes, comme ma meilleure amie Elfi Mikesch. J’ai organisé l’été dernier avec elle et Werner Schroeter l’exposition «Poussières d’amour» à l'Académie des arts de Berlin. Elfi a deux ans de plus que moi et fait toujours preuve d’une grande vitalité, tout comme le réalisateur Edgar Reitz qui a reçu le prix du film allemand à plus de 80 ans. Ou les deux réalisateurs Wim Wenders et Werner Herzog qui produisent encore des merveilles.
Avez-vous déjà fondé votre révolutionnaire «Armée des anciens» ?
Pas encore malheureusement, mais je suis toujours convaincu par cette idée, en particulier au regard des manifestations d’écoliers en faveur du climat. Les personnes âgées n'ont plus rien à perdre, elles peuvent donc s’afficher de manière plus radicale. Nous, les aînés, pourrions voyager dans le monde entier et attraper les Trump, Poutine, Erdogan et tous les autres pour leur demander des comptes. La question est évidemment de savoir si cette solution est la bonne et de connaître qui et quoi succédera à cela.
Vous avez déclaré à 70 ans: «Je n’ai que sept ans, je suis encore complètement immature». Quel degré de maturité avez-vous atteint aujourd’hui?
Pas plus âgé que dix ou onze ans. Je suis resté très enfantin comme vous pouvez aussi le constater en regardant les nombreuses peluches sur mon canapé. L’imagination des enfants est quelque chose de merveilleux. Je crois qu’en devenant adulte, l’imagination d’une personne disparaît d’une certaine manière. Je suis pourtant convaincu que l’imagination, c’est la magie de l’artiste.
À 73 ans, vous avez déclaré dans une interview: «Je regarde la mort avec joie, mais je crains plutôt l'infirmité, la maladie et les dépressions».
Personne ne veut dépérir à la fin de sa vie ou encore mourir dans d’atroces souffrances. En même temps, ma volonté de vivre est toujours intacte. Je trouve tout à fait juste le droit d’avoir une mort digne, c’est pourquoi il me paraît clair que toute personne doit pouvoir choisir le moment de sa disparition. L’euthanasie est bien mieux réglementée en Suisse que chez nous en Allemagne. Je ne souhaite en aucun cas me retrouver assis dans une maison de retraite à 90 ans atteint de démence. Non, je ne veux vraiment pas vivre cela.
À 75 ans vous jouiez avec la mort au cours d’une interview . Vous avez déclaré: «Je voudrais bien mourir».
Ce désir ardent a toujours été présent. Je ressens une forte mélancolie au fond de moi. La mort est en quelque sorte une délivrance. Vivre signifie aussi endurer du stress car nous sommes confrontés à toute une série de difficultés. J’ai encore la force pour créer, mais combien de temps cela va-t-il encore durer?
Pourquoi ne trouvez-vous pas qu’il est souhaitable de vieillir?
Peu de gens peuvent être créatifs jusqu’à un âge avancé. La plupart des personnes n’ont pas cette force. Ils sont nombreux à souffrir à ce grand âge. Une de mes amies souffre d’une affection de la vue et ne peut plus lire du tout. Je pense que lorsqu’on ne peut plus lire, notre qualité de vie s’en ressent déjà fortement. Mon amie ne peut plus aller se promener sans être accompagnée. Elle souffre énormément de cette situation.
Crémation ou enterrement dans un cercueil?
J’avais déjà quelques idées drôles sur ce qui pouvait m’arriver après ma mort. Dans l’idéal, je me ferais rembourrer le corps et embaumer. On pourrait ensuite exposer ma dépouille au Musée du cinéma et de la télévision à Berlin, avec une télévision dans le ventre pour que les écoliers puissent voir mes films. La probabilité est grande pour que cela ne se produise pas ainsi. Mon corps va plutôt être enterré dans l’ancien cimetière Saint-Matthieu de Berlin. C’est un cimetière très progressiste. Des gays ayant succombé au sida y sont enterrés. Ce qui me ferait le plus plaisir est d’avoir ma tombe décorée de nombreux pénis.
Qu’est-ce qui devra un jour figurer sur votre pierre tombale?
J’ai écrit de nombreux poèmes, il faudra alors en sélectionner un.
Y a-t-il quelque chose après la mort?
Je crois en tout et je pense donc qu’après la mort, toutes les représentations qu’on se fait sont imaginables. Je suis en même temps un homme très réaliste et je pense que tout s’arrêtera ensuite. Dans mon film «Rosas Höllenfahrt» (History of Hell), un historien des civilisations déclare: «Nous deviendrons de l’eau intelligente». Je trouve cette image très belle, même si je n’y crois pas.
Le journaliste quitte la pièce après une heure et demie, un grand merci pour votre temps, votre courage, votre ouverture d’esprit, Rosa von Praunheim.
Pink Apple: Le festival du film gay et lesbien a lieu début mai à Zurich et à Frauenfeld. Le prix Pink Apple Festival Award 2019 a été décerné à Rosa von Praunheim le 4 mai, avec de surcroît une rétrospective consacrée à ses films au cinéma Filmpodium de Zurich.
Retour à la page d'accueil