«Nous sommes la Suisse» Une vie consacrée aux prédateurs: Elvira Wegmann, ancienne dompteuse

Fabienne Rüetschi

9.5.2018

Dans les années 80, Elvira Wegmann était célébrée comme la «plus jeune dompteuse du monde» par les médias. Puis, le cirque Knie a repéré la Thurgovienne, une carrière internationale se profilait à l'horizon. Toutefois, elle est restée fidèle à sa patrie et a tourné le dos à la piste.

Bluewin: Mme Wegmann, qui préférez-vous, les humains ou les animaux?

Elvira Wegmann: c'est une question difficile. Depuis mon enfance, je travaille avec des animaux, mais j'emmène aussi des enfants en situation de handicap à l'école. Tous les êtres vivants ont la même place dans mon cœur.

Au lieu de poupées, vous jouiez avec des lionceaux et des bébés tigres. À onze ans, vous chevauchiez un tigre en jouant de l'accordéon. Une enfance assez folle, n'est-ce pas?

En tant qu'enfant, je n'ai pas vraiment perçu cela. En réalité, ce n'était pas facile pour moi. J'ai été élevée par mes grands-parents, propriétaires du zoo Plättli, à Frauenfeld. À l'époque, les enfants de la ville et de la campagne formaient leurs propres groupes. Moi, je venais de la jungle. J'étais exotique. On me surnommait le singe de Plättli. Pendant que certains jouaient ou préparaient la discothèque pour enfants, je devais donner un coup de main au zoo. J'ai souvent eu l'impression que mes camarades se montraient sympathiques envers moi pour bénéficier d'une visite gratuite. C'est dur pour une adolescente. C'est seulement plus tard que j'ai réalisé à quel point ma jeunesse a été belle et extraordinaire. J'ai vécu des choses dont certains ne peuvent que rêver. Se faire «bousculer» par des prédateurs, ça n'arrive pas à tout le monde.

Vous avez présenté votre premier spectacle de domptage à 18 ans, au cirque Plättli de Frauenfeld. À l'époque, les médias vous qualifiaient de «plus jeune dompteuse du monde». Cela vous rend-il fière?

Oui, beaucoup. À onze ans, j'accompagnais déjà mon père sur la piste. À 18 ans, mon grand-père m'a confié mes premiers animaux. Lions, pumas, léopards, panthères et un tigre. Avec son aide, j'ai pu développer mon propre numéro. Après trois ans d'apprentissage, il a fini par m'offrir les bêtes. Cela semble enthousiasmant, mais ce fut aussi brutal. En effet, les prédateurs végétariens n'existent pas et j'ai dû apprendre à tuer très jeune. Surtout des poulets, parfois des lièvres, sinon, mes animaux auraient souffert de la faim.

Plus tard, on a pu vous voir officier aux jardins de Tivoli et sur la piste du cirque Sarassani et du cirque Krone, en Allemagne. Rêviez-vous d'une carrière internationale pour votre art?

Non, ce n'était pas un de mes objectifs. Même lorsque je recevais des offres de noms prestigieux, tels le cirque Knie et le cirque Roncalli en Allemagne ou encore celui de Monte-Carlo. Naturellement, cela m'a toujours démangé et j'y ai parfois longuement réfléchi. Cependant, j'étais très jeune, je ne pouvais pas tout bonnement emballer mes animaux et partir à l'aventure. Un cirque embauche un produit prêt à l'emploi. À 18 ans, j'aurais eu besoin d'un camion, une remorque par animal, une pour les accessoires, un camion réfrigéré pour la viande, une caravane et une voiture. Je ne pouvais tout simplement pas me permettre tout cela. En outre, et ceci est crucial, j'aurais eu besoin d'un associé hors de la piste, quelqu'un qui aurait pu m'accompagner en tournée, qui aurait pu porter son regard là où le mien n'allait pas.

Les offres pour une carrière internationale étaient donc là. Pensez-vous que certains rêves demeurent inexaucés?

Bien sûr. Je voulais voir Siegfried et Roy, au Mirage, à Las Vegas. Malheureusement, je n'ai jamais pu le faire, car je n'avais tout simplement pas de temps pour parcourir le monde. Mes animaux étaient toujours plus importants.

La vie sur la piste, en tant que dompteuse, n'est-elle que strass et paillettes? Y a-t-il aussi des ombres au tableau?

Oui, il ne s'agit pas seulement de maquillage, de costumes à paillettes et de projecteurs. Il faut nettoyer, nourrir, récupérer de la viande à l'abattoir (à découper soi-même)... Toutes ces tâches occupaient ma journée. Le quart d'heure passé sur la piste, c'était le dessert. Qu'il y ait 2200 ou 500 personnes dans les gradins ne m'importait pas. J'ai toujours donné mon numéro pour mes animaux et je l'ai toujours savouré au maximum. De plus, tout devait être financé, personne n'est encore devenu riche grâce à des animaux.

Le cirque Knie, ainsi que d'autres, ne montrent plus de spectacle avec des animaux sauvages. Est-ce une bonne chose?

Non, je ne trouve pas que cela soit une bonne chose et cela me rend triste. Certes, je comprends les motivations des cirques. Ils ne veulent pas créer de confrontations avec les défenseurs des animaux. Mais je pense que c'est précisément la raison pour laquelle je continuerais à montrer des numéros de fauves: afin d'éclairer le public. Selon moi, 99% des militants qui luttent contre ce genre de numéro ne savent pas ce qui se passe en coulisses et n'ont aucune idée de la façon dont les animaux sont traités. Ils ne voient que dix minutes sous les projecteurs ainsi que les remorques devant le chapiteau. Oui, il y a des moutons noirs, il y en a dans tous les domaines et je ne souhaite absolument pas les protéger.

Récemment, des attaques mortelles canines ont fait la une. Certains fauves ont également déjà mordu. Avez-vous l'impression de toujours contrôler la situation?

Contrôler n'est pas le bon terme. Nous parlons ici d'un long processus d'apprentissage, et ce, pour les deux parties. À l'instar de la relation entre parents et enfants. Une hiérarchie très claire doit être instaurée et elle doit absolument être observée. La remorque d'un fauve est quasiment sa chambre. Pas un dompteur ne doit y pénétrer inconséquemment, il s'agit de son territoire, de son espace de paix. En revanche, la piste est le royaume du dompteur, ses propres règles doivent y être respectées. Le respect mutuel et l'acceptation sont essentiels. Avec les années qui passent, on apprend à bien évaluer chaque situation et à y réagir correctement.

Un de vos animaux vous a-t-il déjà attaqué?

Oui, ils m'ont déjà un peu griffée et bousculée. Mais je n'ai jamais été gravement blessée. Il y a toujours une dose de chance, néanmoins avoir un bon maître est crucial. Évidemment, il y a parfois des solutions délicates, mais elles ne surviennent jamais seules. Les animaux n'attaquent pas sans raison. Bruit, antipathie, lumbago, il y a beaucoup de raisons qui peuvent pousser un animal à mordre. Selon moi, 90% des attaques sont à imputer à des causes humaines.

En 1994, un chien que je ne connaissais pas m'a attaqué et m'a infligé une blessure de moyenne gravité à la bouche. Pourquoi ce chien m'a-t-il mordu? Je ne sais pas. Peut-être qu'il a eu peur d'un bruit soudain ou d'un véhicule et je me suis tout simplement trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

Il y a des gens qui ont des fauves pour animaux de compagnie. Quel est votre avis?

C'est stupide. Je suis heureuse que cette pratique soit prohibée en Suisse. Lorsque ces animaux sont petits, ils peuvent être adorables. Toutefois, un lion va finir par atteindre sa maturité sexuelle et la façon dont il va marquer son territoire va grandement différer de celle d'un chat. C'est à ce moment que les éventuels visiteurs peuvent être en danger. Si l'animal le considère comme un intrus, il va protéger son propriétaire. Dans le pire des cas, il va renverser le visiteur, ce qui peut avoir des conséquences dévastatrices. Il suffit d'un coup de patte pour perdre un bras ou d'une morsure à la nuque pour passer l'arme à gauche. De plus, il n'est pas sensé de garder de tels animaux dans un état de solitude. Selon moi, les chiens sont aussi des animaux de meute et devraient toujours être au moins deux.

Les circassiens mènent une vie de nomades et plantent toujours leur chapiteau à de nouveaux endroits. Vous habitez depuis maintenant plusieurs années à Frauenfeld, dans le canton de Thurgovie. Êtes-vous plutôt de type sédentaire?

Oui, c'est le cas. J'ai toujours fini par retourner chez moi. J'ai toutefois passé trois ans à Welschen, où j'ai dirigé le restaurant du Siky Ranch, qui appartient à mes parents. Je travaillais également dans le zoo, où je présentais un numéro de perroquets. Qu'importe le lieu où je me trouve, j'ai besoin de ma famille et de mes animaux autour de moi. Bien que j'aie travaillé des années durant avec des fauves, je demeure peureuse. Je peux me balader la nuit à travers des zoos, des forêts ou des villages... Mais à travers les grandes villes? Très peu pour moi.

Dernièrement, vous avez dirigé pendant plusieurs années un refuge pour animaux à Sternenberg, une sorte de maison de retraite et de soins pour chats domestiques. Vous en aviez assez des fauves de 300 kilogrammes?

Non, cela s'est produit par hasard, comme beaucoup de choses dans ma vie. Les grands félins, comme les chats, vivent en moyenne douze à vingt ans. Mes propres fauves aussi ont fini par s'éteindre. Le numéro que j'ai bâti s'étiolait à mesure que les animaux disparaissaient, pour finir par ne plus exister. Une pyramide que j'avais conçue pour cinq animaux ne pouvait pas fonctionner avec trois. À 25 ans, j'ai été prise d'une envie d'ouvrir un nouveau chapitre et d'essayer autre chose. Je voulais découvrir si je pouvais être utile différemment et si quelqu'un pouvait m'embaucher. Pour la première fois, je ne travaillais plus à la maison, mais à l'étranger. J'avais d'autres métiers, d'autres patrons et je ne travaillais plus seulement pour ma famille.

Quel est votre animal favori?

Mes fauves occupent toujours une place de choix dans mon cœur. Mais le travail avec les perroquets était aussi passionnant. En revanche, je n'aime pas trop les araignées et les scarabées, tout ce qui rampe et volette.

Aujourd'hui, vous vous occupez en parallèle d'un service de soins animaliers, dont l'activité principale est d'accueillir des chats et des oiseaux. Souvent, les gens sont débordés par leurs animaux. Qu'est-ce qui vous met particulièrement en colère?

Lorsque le mercure montre progressivement au-dessus de 30°C et que certains restent immobiles avec leur chien pendant l'heure du midi pour converser autour d'un café. Les chiens se brûlent alors les pattes sur le béton chaud. Sinon, quand quelqu'un laisse son chien dans la voiture lors de fortes chaleurs, cela me rend verte de rage. Les chiens sont des animaux très sociaux et ne se révoltent pas. En outre, lorsque je vois sur les réseaux sociaux comment certaines personnes maltraitent leur chien, cela me préoccupe énormément.

Fauve ou perroquet, comment gagner la confiance d'un animal? Avez-vous des astuces concrètes?

La voix est un instrument crucial. Pour les animaux aussi, c'est le ton qui fait la musique. Variez votre intonation: forte, douce, sévère, aimante. En fin de compte, il faut surtout beaucoup de patience, de calme et de respect mutuel. Si vous n'avez pas de temps pour un animal, il vaut mieux ne pas en avoir. Chaque matin et soir, je promène mes pékinois pendant une heure. Je ne crois pas aux chiens d'intérieur ou aux chiens de poche.

Depuis quelques années, vous êtes de retour au zoo Plättli, à Frauenfeld, mais pas en tant que membre de l'équipe animalière. Vous dirigez désormais le restaurant. Vous aviez besoin d'un dépaysement?

Je ne suis plus très jeune et je voulais une situation professionnelle un peu plus stable. Avec le cirque, je ne pouvais certes pas trop agir à ma guise, mais entre 25 et 50 ans, j'étais une véritable vagabonde. Je changeais de métier tous les trois ans. Hôtesse, gardienne d'animaux au zoo Plättli, femme à tout faire dans une entreprise de transports ou encore directrice du refuge pour animaux de Sternenberg, à Zurich. Et comme on est toujours venu me chercher pour ces postes, je n'ai pas encore eu besoin de rédiger une candidature. La situation s'est répétée pour le restaurant: à 70 ans, ma tante voulait prendre sa retraite, elle m'a donc passé le témoin pour la direction de l'établissement.

Si vous aviez quelques heures devant vous, qu'aimeriez-vous me faire découvrir dans le canton de Thurgovie?

Le zoo Plättli, naturellement (rires). Puis, je vous emmènerais à la chartreuse d'Ittingen. On mange délicieusement bien dans cet ancien monastère. Ensuite, nous irions évidemment longer le lac de Constance en cabriolet, des chutes du Rhin à Güttingen. Si nous avions toute la journée, nous irions nous promener sur le Stählibuck, d'où il est possible de s'imprégner d'un fantastique panorama.

Le zoo Plättli fête son soixantième anniversaire

Du 1er au 3 juin, le Zoo Plättli fête son soixantième anniversaire avec quantité d'attractions. Pour plus d'informations: plaettli-zoo.ch

Série d'entretiens: «Nous sommes la Suisse»

La Suisse est un pays où il fait bon vivre. Tout y fonctionne bien, voire même parfaitement. Dans le cadre de notre série d'entretiens «Nous sommes la Suisse», nous conversons avec des femmes et des hommes qui nous donnent leur point de vue sur notre pays. Récemment, nous avons par exemple parlé avec la danseuse Melanie Alexander...

Roseanne est de retour!

Comment vivre longtemps et en bonne santé?

Retour à la page d'accueil