Daniel Epp (62 ans) est le manager de Thomas Lüthi depuis presque vingt ans. Avant le dernier Grand Prix du pilote bernois dimanche à Valence, le Bâlois est revenu pour Keystone-ATS Sport sur le parcours de son protégé.
Daniel Epp, à quoi pensez-vous en premier concernant votre collaboration avec Thomas Lüthi?
«D'abord que c'est une période incroyablement longue pour une telle collaboration. Ensuite, je me remémore les succès, mais aussi les échecs. Le sport offre tant de hauts et de bas, et ils peuvent se suivre rapidement. C'est ce qui le rend aussi passionnant. En résumé, cela a été une période folle avec énormément d'émotions.»
Quels ont été pour vous les sommets de la carrière de votre pilote?
«Ceux qui sont arrivés après les échecs. Quand cela n'a pas si bien marché et que tu retrouves le sommet, c'est vraiment les plus belles satisfactions. Dans ce sens, 2019 a été magnifique quand Tom, après une difficile saison en MotoGP, a réussi beaucoup de podiums pour son retour en Moto2.»
Et encore?
«Le premier podium (2003 en Catalogne/ndlr) et la première victoire (2005 au Mans/ndlr) ont évidemment été des courses déterminantes. Bien plus tard, il a eu deux saisons à un très haut niveau quand il a fini vice-champion du monde Moto2 en 2016 et 2017. Cela a été une période longue et stable durant laquelle cela allait vraiment bien.»
Tom est devenu champion du monde en 125 cm3 en 2005. Il a récemment dit qu'avoir continué dans cette catégorie l'année suivante au lieu de monter en 250 cm3 avait été une erreur. Votre avis?
«Je partage son opinion. Il faut préciser que Tom et moi avons toujours discuté à fond après chacune de nos erreurs. Les décisions ont toujours été prises en commun. En septembre 2005, je n'avais pas encore le budget pour un team en 250 cm3. Mais cette saison supplémentaire n'a au final pas été décisive pour la carrière de Tom, et cela n'a pas été la plus grande erreur.»
Y en a-t-il eu une autre?
«Oui, à l'époque de la 250. Les années de 2007 à 2009 ont été plutôt difficiles.»
Pourquoi?
«Nous avons toujours essayé d'adapter la structure – je fais référence à l'équipe, aux mécaniciens, à la marque et aux pneus – au pilote. Avec le recul, il aurait été plus judicieux de donner la possibilité au pilote de mieux s'adapter à la structure, de montrer davantage de flexibilité dans son pilotage. On a parfois péché par omission, mais on n'en était pas conscient alors.»
Le passage de Lüthi en MotoGP a été un sujet récurrent pendant des années. En 2010, vous aviez votre propre équipe dans la catégorie reine, mais cela ne s'est pas concrétisé. Quelle était la raison?
«Ce team était pensé pour lui. Mais en 2009, quand cela devenait concret, Tom n'a pas apporté les prestations attendues. Il n'était pas souvent parmi le top 10. Monter en MotoGP dans cette phase n'avait pas de sens. Tom voulait, mais Honda et moi ne l'en croyions pas capable.»
Et en 2018, quand il a été le seul pilote MotoGP à finir la saison sans marquer de point, votre avis avait changé?
«Cette saison a été ratée pour plusieurs raisons.»
Aussi parce que Lüthi, qui avait alors 31 ans, était peut-être déjà trop vieux?
«Trop vieux pour quoi? Pour devenir champion du monde MotoGP, évidemment, mais ce n'était pas le but. C'était un projet alléchant, et Tom voulait essayer après deux super années en Moto2. On a pris la décision d'y aller. Mais la préparation ne s'est pas déroulée de manière optimale et Tom n'a pas pu montrer sa vraie valeur.»
Il est revenu l'année suivante en Moto2, «sa» catégorie, et il a tout de suite à nouveau lutté pour le titre.
«C'est exactement le point. Dans certaines conditions, Tom a démontré une grande constance et de très bonnes performances. Mais pas dans toutes les circonstances, comme en 250 ou en MotoGP.
Pourquoi n'est-il pas arrivé à gagner un deuxième titre mondial?
«Cela s'est joué parfois à peu de choses, c'est dommage. Mais ce n'est pas déterminant pour moi. En tant que manager et propriétaire d'équipe, mon exigence était toujours que Tom soit parmi les six premiers et roule dans le groupe de tête. Il l'a fait durant de très nombreuses années. Il n'y a pas beaucoup de pilotes qui ont autant de top 6 que lui. C'est tout à son honneur.»
Que s'est-il passé lors des deux dernières saisons?
«Les problèmes ont commencé dès le début 2020 et ils ont continué jusqu'à aujourd'hui.»
Pouvez-vous en dire plus?
«Pas ici. Mais c'est comme ça, à un moment tout arrive à son terme, c'est un processus qu'on ne peut pas stopper.»
2021 a-t-elle été la saison de trop?
«On ne sait jamais à l'avance. Cette saison était un essai, avec l'espoir que les problèmes avaient d'autres raisons. Maintenant, on a vu que c'était le bon moment pour arrêter. En 2020, Tom n'en était pas si certain.»