Destination prisée dans le monde du hockey sur glace, la Suisse fait office de petit paradis pour les joueurs étrangers. Mais pour les directeurs sportifs, la sélection des importés donne lieu à d'intenses réflexions.
Tout ce qui est rare est cher, dit-on. Une phrase que connaissent parfaitement les directeurs sportifs du hockey suisse dont l'une des missions est de mettre sur pied leur colonie étrangère. Avec seulement quatre postes sur la glace, il vaut mieux ne pas se tromper.
Le marché a beau être riche, certains profils sont plus recherchés que d'autres. Les chasseurs de buts ou les attaquants doués qui ne rechignent pas aux tâches défensives font partie du haut de la pile. Dans un univers de plus en plus régi par les statistiques, le bon vieux nombre de points inscrits par saison attire immédiatement l'oeil. A raison. Mais le succès en AHL, par exemple, ne va pas se traduire avec certitude sur les glaces helvétiques. Pareil pour un joueur avec plus de 500 parties de NHL disputées sur une ligne à vocation défensive et que l'on bombarde en première ligne à Genève ou à Zoug dès la mi-septembre.
L'exemple de Christian Dubé
«Si tu as besoin d'un gars avec du caractère, tu vas moins regarder le talent mais davantage ce qu'il peut t'apporter dans le vestiaire en terme de leadership, détaille le directeur sportif de Fribourg-Gottéron, Christian Dubé. Ca dépend du profil recherché. Il me fallait un centre capable de jouer dans les deux sens et j'ai opté pour David Desharnais. Je voulais un buteur et je me suis tourné vers Stalberg, je voulais un attaquant de caractère capable d'aller devant le but et j'ai choisi Brodin et je voulais un défenseur apte à gérer un power-play, d'où mon choix de Gunderson. Chaque équipe a son idée selon les joueurs suisses dont ils disposent.»
Dubé espère avoir misé sur les bons éléments. Stalberg connaît le championnat de Suisse pour avoir joué à Zoug et Desharnais était venu faire une pige à Fribourg à l'occasion du dernier lock-out en NHL (2012). La saison passée, Fribourg avait fait confiance à Andrew Miller, un joueur qui tournait à 0,83 point par match en AHL. L'expérience n'avait pas franchement convaincu les dirigeants malgré 27 points en 40 rencontres de National League.
A Lausanne, on avait abattu la carte Torrey Mitchell, au profil très différent. Avec plus de 660 matches en NHL, le Québécois n'était pas là pour accumuler les points, mais bel et bien pour apporter une rigueur défensive au groupe. Une vilaine intervention de Raphael Diaz a malheureusement mis fin à la saison du Canadien le 11 janvier. Avant cela, ses statistiques présentaient un bilan de 12 points en 28 parties. Et le public de Malley d'oublier assez vite le passage du Canadien dans le canton de Vaud.
Le scouting selon McSorley
Cette année, Genève-Servette a opté pour Eric Fehr. Centre droitier qui aura 34 ans au moment du début du championnat, le Canadien sort d'une saison de 15 points (7 buts) avec Minnesota en NHL. Ses 722 matches dans la meilleure ligue du monde témoignent de son immense expérience, mais il jouait sur des lignes défensives.
«Quand je signe un joueur, je l'ai observé plus qu'une année, témoigne Chris McSorley. Je me suis renseigné trois ou quatre ans avant qu'il quitte la NHL. Quels coaches il a eus, avec quel genre de joueurs il évoluait, etc. J'essaie de rassembler un maximum d'informations de qualité. Mais au final, je retiens principalement un élément somme toute basique: le caractère.»
Et le directeur sportif des Vernets de poursuivre: «Si tu manques une sélection de ce type, ça peut impacter ta saison. Tu peux ne pas faire les play-off à cause d'une mauvaise décision sur le choix de ton renfort étranger. Sans oublier les centaines de milliers de francs mal investis. C'est pour ça que je prends cette partie du job très au sérieux.»
Pour Christian Dubé, les joueurs étrangers ne sont pas toujours préparés à la pression inhérente à leur position au sein de l'équipe: «La ligue suisse est très différente pour les étrangers parce qu'ils ont une grande pression. Certains joueurs ont de la peine à gérer ça. En Amérique du Nord, la pression est davantage répartie entre les joueurs. En Suisse, tu es toujours sous la loupe. Ceux qui débarquent et qui ne connaissent pas l'Europe ne se rendent pas compte de ça. Stalberg, Desharnais et Gunderson le savent parce qu'ils l'ont expérimenté par le passé. Mais j'ai rencontré des joueurs qui ne pensaient pas que ce serait si dur.»
Savoir répondre aux attentes
Au bout du Léman, Chris McSorley s'est rarement trompé dans le choix de ses importés: «Chaque joueur que j'ai fait venir... chaque joueur... a été impressionné par le niveau de notre championnat, par la vitesse du jeu. Mais c'est normal, on parle de la 2e ou 3e meilleure ligue au monde. Comme ils sont très bien payés, ils ont la pression. Les gens ne comprennent pas s'ils ne performent pas. Je prends l'exemple quand je coachais un mardi de janvier à Ambri-Piotta et que je me suis tourné vers mes étrangers en leur disant que je comptais sur eux pour gagner. Pour survivre en tant qu'étranger en Suisse, il faut être capable de répondre à ce genre d'attentes.»
Au final, les deux directeurs sportifs ont leur grille d'évaluation. «Il faut que la recrue corresponde aux besoins, estime Dubé. Si t'as besoin d'un marqueur mais que tu prends un gars qui a joué toute sa vie en 4e ligne en NHL, ça ne marchera pas.» Et McSorley de conclure: «Les joueurs de NHL sont meilleurs que ceux d'AHL. Et donc ils seront meilleurs en Suisse. Si on prend Mark Arcobello, on a un joueur de NHL. Je recherche les profils comme lui qui ont une belle technique, mais qui sont considérés un peu trop petits pour la NHL. Et sinon je choisis des joueurs comme Wingels, Winnik et Fehr qui tombent dans une sorte de fissure en NHL, mais qui ont encore de superbes capacités.»