Hockey "J'ai été pris au dépourvu" - Fasel se défend avec force

ld, ats

15.1.2021 - 12:12

L'accolade lundi à Minsk entre le président bélarus Alexandre Loukachenko et le président de la Fédération internationale (IIHF) René Fasel a suscité un émoi bien légitime.

Après avoir enlacé l'ultime dictateur du continent, René Fasel a suscité un émoi légitime.
Après avoir enlacé l'ultime dictateur du continent, René Fasel a suscité un émoi légitime.
Keystone

Le dirigeant fribourgeois se retrouve dans la ligne de mire des critiques après cette accolade avec l'homme qui est considéré comme l'ultime dictateur du continent.

Accusé notamment de porter honte à la Suisse, René Fasel n'est-il pas en train d'effectuer l'année de trop à la tête d'une instance qu'il préside depuis 1994 ? Le Fribourgeois s'en défend avec force. Il a tenu à justifier son comportement et ses actes dans une interview accordée à Keystone-ATS. Et suggère enfin que le Bélarus aura toutes les peines du monde à organiser le prochain Championnat du monde.



René Fasel, cette vidéo de votre accolade avec Alexandre Loukachenko a eu un effet dévastateur pour votre image. Pouvez-vous le comprendre ?

«J'ai commencé à réaliser le dommage dans l'avion du retour. Puis une fois arrivé en Suisse, j'ai tout de suite compris. Voir mes proches affectés par cette affaire me fait le plus mal. Mais cette vidéo ne rend aucunement compte du contenu de cette rencontre. Par ailleurs, je dois préciser que la publication de cette vidéo viole les accords convenus avec l'ambassadeur du Bélarus en Suisse Alexandre Ganevich. Aucune image et aucune vidéo ne devait sortir de cette réunion.»

Mais les photos et les vidéos sont bien sorties. Pourquoi alors une telle accolade avec le dictateur ?

«Je ne la vois pas comme un acte de fraternité. Il s'agissait d'un geste entre deux hommes qui se connaissent depuis vingt ans et qui partagent la même passion pour le hockey sur glace. J'ai ainsi joué au hockey avec Loukachenko. Et dans la culture russe, l'accolade équivaut à la poignée de mains. Mais je dois avouer que j'ai été pris au dépourvu par cette situation.»

Y-t-il eu de votre part un manque de préparation avant cette rencontre ?

«Non en aucun cas. Dimanche soir, nous nous sommes entretenus avec les responsables de la fédération biélorusse. Auparavant, nous avions rencontré à Zurich des représentants de l'opposition. Lundi, nous sommes arrivés devant Loukachenko avec un ordre du jour qui comportait dix points précis. Nous avons surtout affirmé que la tenue d'un Championnat du monde au Bélarus n'était pas possible si la situation politique devait perdurer. Loukachenko nous a affirmé qu'il était prêt au dialogue avec son peuple. Mais, aussi, qu'il ne se mettrait à genoux devant personne.»

Mais comment a pu naître l'idée d'organiser un Championnat du monde au Bélarus ?

«Le Bélarus est un pays de hockey sur glace qui a organisé en 2014 un magnifique Championnat du monde suivi par 600'000 spectateurs. En 2017, le congrès de l'IIHF a attribué ce Championnat du monde 2021 à la Lettonie et au Bélarus dans un climat politique qui n'était pas celui d'aujourd'hui. Après les élections controversées de l'été dernier, nous avons considéré que ce Championnat du monde pouvait être une chance, qu'il pouvait ouvrir le dialogue entre le gouvernement et l'opposition. Le but de ma visite à Minsk était de sonder les parties. Nous devons le faire avant de songer à arrêter d'autres choix.»

Quelle a été concrètement la tenue de la discussion entre Loukachenko et vous ?

«Nous avons traité les questions liées à l'organisation du tournoi et aux incidences de la situation sanitaire. Nous avons aussi abordé les questions politiques: ces nouvelles élections que Loukachenko souhaite organiser, l'état du dialogue avec l'opposition et la refonte de la constitution. Nous avons enfin parlé des prisonniers politiques.»

Justement, une Suissesse Natallia Hersche est incarcérée. Avez-vous évoqué son cas ?

«Oui avec le Premier ministre. Notre but est de parvenir le plus vite possible à sa libération.»

Et quelle a été la réaction de Loukachenko à vos propos ?

«Il a adhéré dans les grandes lignes à notre discours. La question sensible reste la question politique. Loukachenko estime qu'il doit à tout prix assurer la sécurité de son pays et qu'il ne laissera rien la menacer. Mais pour nous, il y a une évidence: nous ne voulons pas que ce tournoi soit instrumentalisé à des fins politiques, que cela soit le gouvernement ou l'opposition.»



A vous entendre, il ne sera pas aisé d'organiser ce tournoi au Bélarus...

«... Nous sommes en train d'en discuter. Mais je voulais absolument rencontrer Loukachenko avant que le Conseil de l'IIHF ne prenne une décision.»

Quand tombera-t-elle ?

«Ces prochaines semaines. Nous devons la prendre à tête reposée, de manière rationnelle, sans se laisser uniquement guider par les émotions. Il convient de respecter les personnes, notre sport et notre fédération.»

On a dit de vous que vous êtiez la honte de la Suisse après l'accolade de lundi...

«Ce sont les mots d'un journaliste qui ne peut pas connaître l'état des discussions avec Loukachenko. Nous nous sommes rendus à Minsk pour poser des questions précises et pour imposer nos vues. Seulement, la parution de cette vidéo a tout faussé.»

La fédération danoise menace de boycotter ce tournoi s'il se déroule à Minsk. D'autres devraient suivre...

«Le boycott n'a jamais rien apporté au monde sportif. Je pense à celui des Américains pour les Jeux de 1980, à celui des Soviétiques pour ceux de 1984. En hockey, le Canada et les Etats-Unis n'avaient pas joué le Championnat du monde 1957 à Moscou pour protester contre l'intervention soviétique en Hongrie. Peut-être que j'appartiens à une autre génération. Mais je pense toujours qu'il vaut mieux chercher le dialogue en toutes circonstances.»

Y-a-t-il un plan B pour remplacer le Bélarus ?

«Bien sûr. Nous l'avons élaboré l'automne dernier. La Slovaquie et le Danemark seraient en mesure de pendre la place du Bélarus. La possibilité d'organiser le tournoi uniquement en Lettonie serait également une solution.»

Sans la pandémie du coronavirus, vous auriez rendu votre mandat l'an dernier après le Championnat du monde en Suisse. Une sorte de happy end pour vous ?

«Cela aura été sans doute magnifique si tout s'était déroulé comme prévu. Mais un capitaine ne peut pas abandonner son navire en pleine tempête. Je crois qu'un nouveau président aurait été confronté à une situation bien plus difficile que celle que je traverse. En raison du Covid-19, nous avons dû annuler près de 40 tournois. Nous avons dû organiser le Championnat du monde M20 à huis clos dans une bulle et nous sommes enfin confrontés à la situation politique du Bélarus. A mes yeux, c'est une question d'honneur: je veux remettre à mon successeur l'automne prochain une fédération saine.»

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