Trente-six ans après sa première venue sur le Tour de France, la Colombie a enfin placé l'un des siens, Egan Bernal, tout en haut du podium. Explications sur la fin d'une si longue attente.
«Il court dans la plus forte équipe», souligne Gianni Savio, le patron de son ancienne équipe italienne (Androni), qui raconte: «Un jour, il est venu me voir pour me dire qu'il était très content chez nous mais qu'il voulait courir dans la meilleure équipe du monde, ça s'est fait naturellement».
Surdoué et très vite repéré par le milieu cycliste, encore plus après son succès au Tour de l'Avenir 2017, le grimpeur colombien - né à Zipaquira - a élargi son registre.
A sa première participation dans le Tour (15e en 2018), il a observé – et aidé – Chris Froome et Geraint Thomas. Il a appris le rôle de leader en gagnant notamment Paris-Nice en mars dernier. Il a aussi assimilé, avec Luke Rowe et Michal Kwiatkowski pour professeurs, les subtilités de la course de plaine et des bordures. Il a travaillé évidemment le contre-la-montre dans une équipe rodée à l'exercice.
Autant de facteurs que ses prédécesseurs n'avaient pas maîtrisé en totalité. Même si Nairo Quintana et Rigoberto Uran avaient approché la victoire.
Quintana et Uran pour prédécesseurs
Signe d'une montée en puissance, le cyclisme colombien a placé par trois fois l'un de ses coureurs à la deuxième place du Tour dans la décennie en cours. A chaque fois en année impaire. Nairo Quintana (2013 et 2015) puis Rigoberto Uran (2017) ont tutoyé la victoire, sans franchir la dernière marche occupée par Chris Froome.
Dans le même temps, Quintana, la référence dans son pays jusqu'à l'avènement de Bernal, a gagné les deux autres grands tours. Le Giro en 2014 puis la Vuelta en 2016. Mais le coureur andin, à qui beaucoup prédisaient à ses débuts la victoire dans la Grande Boucle, a échoué dans la course majeure. Dans une équipe (Movistar) aux forces multiples, à la hiérarchie souvent floue, tentée parfois par d'autres objectifs.
«Nous avons toujours eu beaucoup de talents», rappelle Bernal à propos du «boom» attendu dans son pays, en proie à une passion dévorante, exacerbée, pour le cyclisme. «Dans le futur, de nombreux jeunes seront ici, j'en suis sûr. Aujourd'hui, ce n'est plus si compliqué de venir en Europe. C'est là que sont les courses les plus importantes. La Colombie sera encore plus forte dans les prochaines années».
Les défricheurs du siècle dernier
Si Victor Hugo Pena est le premier Colombien à avoir porté le maillot jaune (trois jours en 2003), au bénéfice de sa participation dans un contre-la-montre par équipes, la saga colombienne a commencé bien avant dans les années 1980.
La première participation date de 1983, quand les meilleurs coureurs du pays avaient été regroupés dans l'équipe Varta-Café de Colombie. Un an plus tard, le légendaire Lucho Herrera, le grimpeur surdoué de l'époque, faisait ses débuts et gagnait l'étape de l'Alpe d'Huez. En 1988, c'était au tour de Fabio Parra d'accéder pour la première fois au podium final (3e).
Les petits gabarits colombiens (surnommés les «scarabées»), les plus agiles en montagne, souffraient auparavant dans la plaine. «On leur menait la vie dure et, quand ils arrivaient au pied des cols, ils étaient essorés», raconte Bernard Hinault, le dominateur de l'époque. Eternelle loi du cyclisme, la même recette avait été appliquée plus tôt par Jacques Anquetil et Eddy Merckx face aux grimpeurs espagnols (Bahamontes, Fuente).