Voilà près d'un quart de siècle que le Tour de Romandie n'a plus affiché un vainqueur suisse. Laurent Dufaux fut le dernier à s'imposer, le 10 mai 1998, au terme d'une domination magistrale.
Il faut bien sûr recadrer le contexte. Le cyclisme helvétique était à un sommet jamais atteint depuis l'époque des Kübler et Koblet. Tony Rominger, Pascal Richard, Alex Zülle, Oscar Camenzind ou Dufaux se battaient avec les meilleurs, pour des succès retentissants. C'était aussi le temps d'une certaine dérive, celui du dopage médical, qui a en partie pris fin au cours du Tour de France 1998...
«Toujours tenu à coeur»
«J'étais arrivé au Tour de Romandie particulièrement motivé. C'est une course qui m'a toujours tenu à coeur. Elle fait partie du patrimoine romand. Dès mes débuts professionnels en 1991, je m'y étais illustré avec une quatrième place dans l'étape de montagne et un cinquième rang au général final», se souvient Laurent Dufaux.
Le Vaudois de l'équipe Festina sortait alors d'une bonne campagne d'Ardennaises. Et poum! Il s'impose d'entrée dans le prologue de Rheinfelden devant son coéquipier Zülle. «Ce n'était pas véritablement une surprise pour moi. Je savais que sur un effort de 5 à 8 minutes, je pouvais rivaliser avec les meilleurs. En 1991, j'avais déjà pris la 6e place du prologue remporté par Pascal Richard.»
Le grimpeur-rouleur vaudois est lancé. La première étape se termine à Saignelégier. Les contreforts du Jura vont lui permettre de fêter un nouveau succès et de consolider le maillot de leader, vert à l'époque. «J'avais contré un gars dans la petite bosse avant l'arrivée. Je me suis retourné, il n'y avait plus personne dans ma roue. Je m'en souviens comme si c'était hier.»
L'abnégation de Zülle
L'engouement autour de Dufaux est alors grand. Ce n'est pas tous les jours qu'un coureur romand est prophète sur ses terres, même si Serge Demierre, Jean-Mary Grezet ou Richard avaient eux aussi connu leurs heures de gloire entourés des leurs. La popularité de Dufaux augmente même encore après un nouvel exploit dans la montée vers Veysonnaz.
«Il faut dire que j'étais entouré de 'kings' avec Virenque, Zülle, Boscardin et Jeker, concède-t-il. Je m'étais retrouvé en position idéale pour attaquer à 2 km de l'arrivée. J'avais bien reconnu l'arrivée et je savais que je pouvais faire un effort violent dans le raidard avant de pouvoir retrouver des forces dans un replat qui précédait l'arrivée.»
C'est donc avec un maillot vert conforté qu'il s'élance dans le contre-la-montre de Romanel à la veille de l'arrivée. Seul Alex Zülle le devance, de 11'', lors d'un formidable quadruplé suisse avec aussi les 3e et 4e places de Roland Meier et Oskar Camenzind. Le Saint-Gallois mérite d'ailleurs bien sa victoire après tout le travail qu'il avait fourni en faveur de son coéquipier.
«Zülle, c'était le troisième grand leader de l'équipe, rappelle Dufaux. Il savait qu'il allait être leader unique au Giro qui débutait six jours après la fin du Romandie. Nous avions déjà couru ensemble chez Once en 93 et 94. Je m'étais sacrifié pour lui à plusieurs reprises. Il m'a donc renvoyé l'ascenseur.»
Le coffre pour des courses d'une semaine
Sacré à Genève au terme de la dernière étape, Laurent Dufaux épinglera encore sur sa lancée le GP du Midi-Libre, une autre course par étapes qui s'ajoutera à son palmarès à ses deux succès obtenus au Critérium du Dauphiné. Le Vaudois avait bien le coffre pour des épreuves d'une semaine.
Mais avec toute l'équipe Festina, il sera exclu du Tour de France quelques semaines plus tard. Il avouera lui aussi avoir eu recours au dopage, et sera suspendu sept mois. Il s'imposera encore deux fois sur la boucle romande (en 2000 à La Chaux-de-Fonds et en 2003 à Loèche-les-Bains) et, surtout, il battra au sprint l'Allemand Jan Ullrich pour empocher en 2000 le Grand Prix de Zurich, unique manche suisse de la Coupe du monde.
Un gros regret
Présent deux fois sur le podium final de la Vuelta (2e en 1996, 3e en 1997), Laurent Dufaux a pris sa retraite sportive en 2004, au terme d'une dernière saison sous les couleurs de l'équipe Quick-Step aux côtés de Virenque et Tom Boonen. Depuis près de 15 ans, il est responsable de la Suisse romande et du Tessin pour la firme NewWave, spécialisée dans les vêtements de sport.
Le Vaudois est revenu dans l'actualité par le biais des multiples rediffusions des étapes du Tour de France de la fin des années nonante. «Effectivement, beaucoup de gens m'en ont parlé. Certains n'avaient pas pu suivre le direct à l'époque. C'est certain que c'était un autre cyclisme. On attaquait de loin, et il n'y avait pas les oreillettes pour recevoir des informations instantanées.»
Dufaux a remporté une étape de la Grande Boucle, en 1996 à Pampelune. En 1997, il était parti seul en direction des Arcs quand il avait vu débouler l'ex-champion du monde Luc Leblanc, qui l'avait déposé pour filer seul vers la victoire. «Le soir, j'avais mis les choses au point avec Richard (Virenque). S'il avait sauté dans la roue de Leblanc quand celui-ci avait démarré derrière moi, Leblanc n'aurait jamais continué son effort», regrette-t-il encore...