Détenteur du record suisse M23 du saut en longueur indoor, Jarod Biya (19 ans) représente l'avenir de l'athlétisme helvétique. Sociétaire du CA Genève, le Leysenoud revient pour Bluewin.ch sur son envie d'apprendre auprès des meilleurs et parle de son rêve de monter un jour sur le podium olympique. Interview exclusive.
Avec deux superbes performances aux Championnats de France espoirs à Saint-Brieuc (saut à 7,95 m) et aux Championnats de France indoor à Liévin (saut à 7,99 m, record suisse M23 en salle), comment jugez-vous votre début de saison?
"Je la juge très convaincante. Je suis très content des performances que j'ai déjà pu réaliser cet hiver. Vu que la saison dernière je n'ai pu commencer à sauter qu'en avril en raison d'une blessure, je n'avais pas eu beaucoup de temps pour entraîner la technique et les petits détails qui allaient avec. Du coup, j'ai commencé à être en forme en fin d'année 2019 et, avec mon coach (Robert Pauget), on a eu le temps de tout travailler cet hiver. Tous les résultats que je fais maintenant sont donc dus en partie à ses entraînements."
Ces résultats répondent-ils donc à vos attentes?
"Exactement. J'avais comme but de faire au moins un saut à 7,90 mètres. C'était aussi ce que voulait mon coach, mais ça il me l'a dit seulement après que j'aie réussi! Donc c'est vraiment cool. Si je fais déjà des sauts pareils en indoor et que tout se passe bien, ça veut dire qu'en extérieur je devrais approcher les 8 mètres."
Quels sont concrètement les objectifs que vous vous êtes fixé cette année?
"L'objectif premier était que je puisse participer aux Championnats d'Europe séniors de Paris du 25 au 30 août 2020. Et j'ai quand même, dans un coin de ma tête, envie de participer aux Jeux olympiques 2020 de Tokyo. Mais sans trop me mettre de pression, car le principal était que je puisse faire le minima pour aller à Paris (ndlr: il a obtenu sa qualification grâce à son saut à 7,95 m à Saint-Brieuc)"
Avec deux sauts à 7,95 m et 7,99 m, le record de Suisse en indoor à 8,01 mètres est tout proche (ndlr: Bernhard Rolf le détient depuis 1981). Est-ce également un de vos objectifs?
"Oui, effectivement. Toutefois, je ne me mets pas de pression et je continue à suivre ma progression gentiment. Et de toute façon, si je continue comme ça et que je suis épargné par les blessures, il va tomber un jour ou l'autre. Pour aller au haut niveau, je sais que je devrais le battre. Si j'y arrive, ça signifierait qu'il y a quelqu'un qui est capable de sauter de nouveau loin en Suisse et qui pourrait batailler avec les meilleurs mondiaux. Actuellement, on est 4-5 jeunes à pouvoir sauter loin. Ça met de la concurrence entre nous et on se pousse les uns les autres. Maintenant, tous les records commencent à tomber et c'est cool pour tout le monde!"
Si on revient aux JO de Tokyo, le minima pour composter son billet est fixé à 8,22 mètres. Si vous y arrivez, qu'est que vous attendez de ces Jeux?
"Si j'y arrive, mon but sera au moins d'aller en finale (ndlr: terminer dans les douze premiers). Je sais que ça sera très compliqué car la concurrence sera plus forte que d'habitude. Les JO, c'est vraiment le Graal pour tous les athlètes. Je crois en moi et en mes qualités. Avec ça, je sais que c'est possible. Aller en finale signifierait que la prochaine fois que j'irai aux Jeux olympiques, je pourrai viser plus haut! Sans être prétentieux bien entendu (rire)."
En plus des JO et des Européens à Paris, y a-t-il d'autres meetings auxquels vous souhaiteriez prendre part cette année? On sait que Jacky Delapierre, le patron d'Athletissima (le 20 août), est prêt à vous "réserver une place dans le concours" si les résultats suivaient...
"Avec mon entraîneur, on a fait un planning avec deux ou trois rendez-vous, notamment AthletiCA Genève et d'autres en France. Cela afin de sauter contre la concurrence et me préparer au haut niveau. Et l'hiver prochain, j'aurai aussi plus de possibilités pour participer à des meetings avec un niveau plus élevé. Quand j'ai vu que Monsieur Delapierre avait mentionné mon nom, ça m'a fait plaisir. Ça montre aussi que ce que j'accomplis est bien et ça m'ouvre des portes."
Et quid pour les épreuves de la Diamond League, avec comme point d'orgue le Weltklasse de Zurich?
"C'est vraiment le but d'y participer. Je souhaite vraiment me frotter aux meilleurs car c'est comme ça que je vais progresser. Même si je termine dernier des concours, c'est grâce à ce genre d'événement que je vais apprendre à ne pas avoir peur et à me confronter au haut niveau. Concernant le Weltklasse, ça va dépendre de mes performances. Franchir le cap des 8 mètres m'ouvrirait certainement plus de portes pour de tels meetings."
Beaucoup de spécialistes vous voient déjà comme un futur "grand" de votre discipline. Est-ce que cela vous met une pression supplémentaire ?
"Non, justement pas. Ça me motive encore plus d'entendre des personnes dire qu'il y a un athlète qui va pouvoir concurrencer avec le top mondial. Ça me donne envie d'aller plus loin, d'aller chercher tous les records en Suisse et de performer à un niveau international."
Avec ces attentes, est-ce que vous vous êtes déjà fixé un objectif à long terme? Un rêve d'enfant que vous aimeriez réaliser?
"Mon rêve ultime serait de terminer sur le podium olympique, voire même remporter l'or aux JO un jour. C'est ambitieux mais c'est vraiment un rêve. Je pense que si on n'en a pas, ça ne sert à rien. Même si c'est un grand défi, je me dis que c'est possible. Si je continue à m'entraîner durement et si je suis épargné par les blessures, je pourrais y arriver. Après, il y a aussi le record helvétique en extérieur de Julien Fivaz (ndlr: situé à 8,27 m et qui tient depuis 2003) que j'aimerais battre. Il était aussi entraîné par mes coaches (Chantal Freund et Robert Pauget). Ça ferait un joli clin d'oeil pour eux de voir un autre de leurs élèves reprendre ce record-là. Ça serait cool! (rire)"
Actuellement, vous êtes en apprentissage chez Ochsner Sport et vous vous entraînez 5-6 heures par semaine. Comment arrivez-vous à concilier votre vie professionnelle et sportive?
"Grâce aux discussions que j'ai avec mon entreprise et à mon gérant, qui est très flexible. J'ai des horaires qui me permettent de m'entraîner et travailler en même temps. C'est une organisation conséquente mais qui roule bien. Pour moi, c'est important que je puisse terminer mon apprentissage en juin prochain afin que je puisse vivre de mon sport en toute liberté. L'athlétisme, ce n'est pas comme au football. C'est important, même pour moi, d'avoir un autre papier et j'en suis fier. C'est utile aussi pour mon après-carrière et ça fait un bon équilibre entre les deux."
Justement, comment vous êtes-vous adapté avec votre préparation face cette situation spéciale liée au coronavirus?
"Le plus important actuellement, c'est de respecter les consignes qui ont été données par le Conseil Fédéral. De mon côté, j'ai de la chance car, chez moi, j'ai une salle avec le matériel nécessaire et aussi une terrasse. Je continue donc de m'entraîner quotidiennement avec cela, jusqu'à ce que la vague passe. Les stades aujourd'hui sont fermés donc mieux vaut ne pas faire n'importe quoi. Je pense que si les mesures sont respectées, il y a encore un espoir qu'il y ait des compétitions cet été. On a fait un programme spécial avec mes entraîneurs et, pour l'instant, je fais avec les moyens du bord! (rire)"
Vous avez l'espoir que le sport reprenne son cours normal cet été. Êtes-vous néanmoins inquiet pour la suite de votre saison, vis-à-vis notamment des objectifs fixés?
"Je suis évidemment un peu triste qu'on ait dû s'arrêter. J'espère que je vais réussir à garder ma forme de cet hiver. C'était vraiment bien parti et j'espère de tout coeur qu'il y ait un petit espoir d'avoir encore des compétitions et que les Championnats d'Europe à Paris, particulièrement, ne soient pas annulés."