La saison de ski alpin s'est terminée de façon abrupte la semaine dernière avec l'annulation des épreuves de Kranjska Gora. A l'image de ses compatriotes, Daniel Yule a réussi un hiver grandiose avec trois succès. Le Valaisan a dressé le bilan pour Bluewin.ch. Interview.
Daniel Yule, comment avez-vous vécu cette fin de saison en queue de poisson avec la suppression des épreuves techniques de Kranjska Gora en raison de la pandémie de coronavirus?
"Ce n'était pas facile car on a appris seulement le jeudi que les courses étaient annulées. Il est vrai que la semaine de préparation en vue du slalom slovène était compliquée car il y avait énormément de rumeurs. C'était donc difficile de rester pleinement concentré sur son ski. C'était donc presque un soulagement lorsqu'il y a eu l'annonce officielle et définitive. On voulait évidemment tous courir, mais on voit en ce moment qu'il y a des choses plus importantes que le sport."
Vous ne comptiez que 57 points de retard au classement du slalom sur le leader, le Norvégien Henrik Kristoffersen. L'enjeu sportif était donc encore bien réel pour vous. Y a-t-il tout de même eu un peu de frustration en apprenant l’annulation?
"En toute franchise, non. J'étais bien sûr encore en course pour le globe du slalom, mais cette récompense est décernée à l'athlète qui fait le plus de points avant la fin de la saison. Il s'est avéré que cette dernière est intervenue de manière plutôt précoce cette année. Je peux donc que m'en vouloir de ne pas avoir réalisé plus de points avant cette annulation. C'était peut-être frustrant de ne pas avoir pu me battre jusqu'au bout pour ce globe, mais ma saison était d'ores et déjà réussie avec mes trois succès obtenus au mois de janvier. Le globe aurait été la cerise sur le gâteau. Je n'ai donc aucune aigreur par rapport à cette saison. Je vois vraiment les choses de manière positive."
Des coureurs, Alexis Pinturault en tête, se sont sentis lésés suite à cette fin de saison abrupte. La saison a-t-elle était faussée selon vous?
"On a quand même eu neuf slaloms durant l'hiver et c'est Henrik (ndlr: Kristoffersen) qui a fait le plus de points. Bravo à lui! Je n'ai donc aucunement l'impression que la saison ait été injuste. Comme tout le monde, j'aurais évidemment préféré disputer les douze slaloms prévus au programme. On constate néanmoins que ces annulations sont dues à des cas de force majeure. J'accepte donc totalement ces décisions."
Vous terminez donc troisième au classement du slalom. Etes-vous satisfait?
"Oui, il s'agit d'une grosse satisfaction pour moi. J'avais d'ailleurs déjà terminé troisième l'hiver dernier. Je suis donc très heureux d'avoir su confirmer cette performance. Je suis très satisfait d'avoir terminé deux années de suite parmi les trois meilleurs slalomeurs du monde. Cela prouve aussi le niveau que j'ai atteint depuis quelques saisons. Les trois succès obtenus à Madonna di Campiglio, à Adelboden et à Kitzbühel au mois de janvier me réjouissent tout particulièrement. Ces courses font parties des plus belles du circuit, ce sont même de grandes classiques. Globalement, c'était donc une saison très aboutie."
En plus de ces trois succès, vous êtes monté à deux autres reprises sur le podium (3e à Levi et à Schladming). Pensiez-vous réalisé une telle saison?
"Honnêtement, non. Mais je ne m'entraîne pas aussi fort et je ne fais pas autant de sacrifices pour faire des dixièmes places. Je pense toutefois qu'il aurait été prétentieux d'espérer réaliser une telle saison. C'est pourquoi je ne pars pas du principe que les victoires vont tomber du ciel l'hiver prochain. Ma remise en question est donc continue. Cet état d'esprit est important si j'entends continuer à avancer. Je reste également conscient que, une fois, une saison se passera moins bien. Cela ne s'est toutefois encore jamais produit et ma progression est toujours allée crescendo pour le moment. Je reste désormais sur deux magnifiques saisons et je vais tout mettre en oeuvre pour que ça continue."
Hormis à Zagreb (27e) et à Chamonix (éliminé), vous n’êtes jamais sorti du Top 10 cet hiver. Comment expliquez-vous une telle régularité dans une discipline aussi piégeuse?
"Si on regarde l'ensemble de ma carrière, j'ai toujours été régulier en termes de résultats. Lors de mes premières années dans les quinze, je terminais par exemple souvent aux alentours de la dixième place. Désormais, lorsque j'arrive à montrer mon meilleur ski, je termine dans le Top 5, sur le podium voire je décroche des victoires. J'ai réussi à progresser un petit peu chaque année. Cette régularité est donc le fruit du travail de toutes ces années."
Vous avez progressé au point de devenir le plus grand slalomeur suisse de l'histoire. En avez-vous pris conscience?
"Non, pas du tout! Ce statut me passe un peu au-dessus. J'étais dans un premier temps pleinement concentré sur ma saison et, maintenant, sur ma carrière. Je me rendrai peut-être compte de ce que j'ai accompli une fois que je rangerai les skis et je l'apprécierai certainement davantage à ce moment-là. Mon regard actuel est déjà tourné vers la saison prochaine. Je ne suis pas en train de me reposer sur mes lauriers."
Vous avez évoqué la saison prochaine. Allez-vous vous fixer comme objectif de remporter le globe du slalom?
"Je n'aime pas parler du petit globe comme d'un objectif, même si j'en rêve. Je le vois plutôt comme une conséquence d'une saison réussie. Cette saison, mes trois victoires et mes deux autres podiums m'ont permis d'être dans la course au globe. C'est bête à dire, mais calculer ne rapporte rien. J'avais par exemple réalisé une superbe course à Schladming (ndlr: 3e), mais Henrik m'avait mis 40 points dans les dents avec sa victoire. C'est pourquoi je ne veux pas me focaliser sur ce globe. Je trouve plus important d'être performant et de me battre pour la gagne à chaque course. C'est avec cette philosophie qu'on peut remporter un globe, ou au moins s'en approcher. Je skie donc davantage pour vivre des émotions comme à Adelboden lorsque j'ai gagné que pour un globe."
Le prochain exercice sera également marqué par les Championnats du monde de Cortina d'Ampezzo. Cet événement est-il déjà présent dans un coin de votre tête?
"Oui et non. Il s'agit effectivement d'un des grands objectifs de la saison prochaine. La meilleure préparation pour des Mondiaux ou des JO est toutefois de réaliser une bonne saison en Coupe du monde. Il y a d'ailleurs de magnifiques courses à gagner tout au long de l'année. Un sentiment de revanche par rapport à Are? J'avais effectivement montré de belles choses avant de sortir, mais l'approche de l'événement restera la même. Je voudrai pratiquer mon meilleur ski et descendre le couteau entre les dents comme j'ai su le faire cet hiver. J'espère évidemment que le dénouement sera autre qu'en Suède, mais il n'y a pas un esprit de revanche. Je veux simplement arriver prêt, être en forme physiquement et mentalement et pouvoir compter sur un matériel qui fonctionne. Si tous ces paramètres sont réunis, alors j'ai bon espoir de pouvoir me battre pour une médaille."
Suite à l'annulation des finales cette année, avez-vous peur de débarquer en Italie sans repère?
"Les finales n'auraient de toute manière pas eu lieu sur la piste des Mondiaux, mais il aurait été bien de pouvoir se familiariser avec le domaine et la station. Je ne pense toutefois pas que ça fasse de grandes différences à ce niveau-là puisque tout le monde est logé à la même enseigne. Nous avons découvert une nouvelle piste à Chamonix cette année. J'ai pu montrer lors de la première manche que j'arrivais bien à m'adapter à un nouveau terrain. Je ne pense donc pas que cet aspect va me poser un problème majeur en février prochain."
Grâce notamment à vos brillants résultats, la Suisse a remporté cet hiver le classement par nations. Quelle importance avez-vous accordé à ce sacre?
"Tous les athlètes devaient réaliser les meilleures performances possibles si on voulait voir la Suisse gagner. Chacun a donc contribué à ce sacre en engrangeant des points. Je n'ai pas pensé activement à ce classement au cours de la saison, mais c'est sûr que c'est sympa d'avoir pu déloger les Autrichiens. C'est surtout très réjouissant pour tous les fans du ski suisse dont je fais partie."
L'hiver étant désormais terminé, quel programme vous attend ces prochaines semaines?
"J'avais des tests de matériel et des engagements auprès de mes sponsors prévus, mais ces rendez-vous sont tombés à l'eau à cause de la pandémie de coronavirus. Cette situation chamboule évidemment mon quotidien, mais on avisera quand tout cela sera terminé. Etant donné que le développement du matériel ne s'arrête jamais, je ne pense pas que ce sera un problème majeur en vue de la saison prochaine."
Finalement, le confinement est-il problématique pour un athlète professionnel?
"En fin de saison, je m'accorde de toute manière quelques semaines sans sport afin que mon corps puisse récupérer. Ça pourrait peut-être devenir plus problématique au niveau de l'entraînement physique si la situation se prolonge. Je suis toutefois persuadé qu'on va trouver des solutions le moment venu."