La technique est-elle synonyme de progrès ? Vaste sujet de philo du baccalauréat, la question se pose dans le Tour de France où oreillettes, GPS et systèmes météo inondent d'informations le peloton et peuvent accentuer le danger en course.
Depuis leur introduction dans le peloton en 1990, les oreillettes cristallisent les critiques des puristes sur le téléguidage des coureurs par leur directeur sportif distillant ses consignes depuis son véhicule. D'autres innovations technologiques devenues populaires dans les équipes, comme l'application Veloviewer, ont encore renforcé ce sentiment.
«On perd ce côté spontané du cyclisme», déplore le Français Nans Peters, 29 ans et vainqueur d'étape dans la Grande Boucle à Loudenvielle en 2019. «Des bourrins, qui ne réfléchissent pas mais sont très forts, peuvent gagner des courses. Nous les coureurs, nous sommes télécommandés au final.»
Surtout, le grimpeur d'AG2R-Citroën, qui se dit «contre» les oreillettes, pointe leur éventuel danger: «ça génère du stress». Les directives étant loin de se limiter aux extraits fades diffusés à la télé.
«Tu as plus de 170 coureurs qui reçoivent le même ordre à l'oreille, au même moment, ça crée plus de tension qu'avant», estime lui aussi le Belge Dries Devenyns, le vétéran de ce Tour de France qui fêtera ses 40 ans la veille de l'arrivée à Paris.
«Compte à rebours»
«Avant on était plus tranquille dans le peloton», se remémore avec un brin de nostalgie l'équipier de Julian Alaphilippe au sein de Soudal-Quick Step. «Avec l'introduction d'outils comme Veloviewer, par exemple, tout le monde sait ce qui nous attend là, là et là.»
Cette application obnubile les directeurs sportifs de toutes les équipes du Tour. Veloviewer indique en direct la progression au fil du parcours sur un écran affichant aussi la pente, la direction du vent et certains marqueurs pré-enregistrés.
Les encadrements peuvent aussi ajouter à volonté des points, indiquant par exemple les ronds-points ou virages devant être abordés bien placé. Dans les voitures, un décompte en mètres signale la prochaine demi-douzaine de marqueurs.
«C'est un super outil, reconnaît Nans Peters. Mais le truc, c'est qu'il y a comme un compte à rebours dans les oreillettes : ‹dans dix bornes, on est au pied de la montée› puis ‹dans deux kilomètres, une borne›... On sent cette pression. Quand on entend ça à l'oreillette, c'est que l'information est passée dans tout le peloton en même temps. Tout de suite, tac, il y a un bond de la nervosité.»
Avis partagé par le Belge Victor Campenaerts qui a participé au contrôle de l'échappée mercredi pour son sprinter Caleb Ewan: «On sait à quels moments ce sera piégeux, ça crée des situations très tendues, avec parfois des chutes.»
D'autant que ces fichiers peuvent être affichés sur les compteurs des coureurs – en général seulement le tracé – avec le risque de les distraire du pilotage de leur vélo. «On peut avoir un oeil dessus, moi le premier, reconnaît le Français Adrien Petit. Ça peut être dangereux sur le plat si tu jettes un coup d'oeil 200 mètres avant un virage, tu peux toucher une roue.»
«Peser pour le pour et le contre»
«Mais quand tu es à 100 à l'heure dans une descente, tu es bien content de voir que le prochain virage est une courbe qui se referme, observe le poisson-pilote de Biniam Girmay à Intermarché. Il faut peser le pour et le contre.»
En cas de crainte de bordures, quand le peloton est disloqué sous l'effet d'un fort vent de côté, Windfinder est l'outil prisé des directeurs sportifs détaillant orientation et force des rafales.
«Il n'y a plus moyen de surprendre, constate avec mélancolie le Français Tony Gallopin qui a annoncé sa retraite en fin d'année à 36 ans. Tout le monde a les mêmes informations, le même système météo, le même système GPS.»
Après 16 ans dans le peloton, ses débuts semblent bien lointains au maillot jaune d'un jour en 2014: «Ça va paraître un peu ringard mais pour mon premier Tour d'Espagne (ndlr : en 2010), je suis parti avec la carte Michelin dans la valise.»