Equipe de Suisse dames Pia Sundhage : «Les joueuses doivent sortir de leur zone de confort»

ATS

19.6.2025 - 11:33

Sélectionneuse de l'équipe de Suisse dames depuis un an et demi, Pia Sundhage (65 ans) va apporter toute son expérience à une formation qui s'apprête à vivre un grand moment avec un Euro à domicile. Ses joueuses «doivent sortir de leur zone de confort», espère la Suédoise, qui s'est longuement confiée à Keystone-ATS.

Pia Sundhage veut pousser les Suissesses hors de leur zone de confort avant l’Euro à domicile.
Pia Sundhage veut pousser les Suissesses hors de leur zone de confort avant l’Euro à domicile.
KEYSTONE

Keystone-SDA

- Pia Sundhage, comment êtes-vous venue au football?

«J'ai grandi dans le petit village de Marbäck, dans le sud de la Suède, où ne vivaient qu'environ 250 personnes. Et personne ne s'intéressait au football, sauf moi. À cette époque, les idées étaient fixes: seuls les garçons devaient pouvoir taper dans un ballon, les filles devaient le lancer. Mais je trouvais cela ennuyeux, alors je tapais aussi dans le ballon. Cela m'amusait beaucoup. Mes parents m'ont offert un ballon que je tapais contre la porte du garage à la maison. Parfois, une vitre se brisait. Mais mes parents nous ont toujours soutenus, mes cinq frères et sœurs et moi, même si nous étions très différents.»

- Mais ce n'est pas en tapant dans la porte du garage que vous êtes devenue une joueuse de l'équipe nationale suédoise...

«Non. Un jour, un entraîneur junior s'est approché de moi et m'a demandé si je voulais jouer un vrai match de football, un vrai, avec des buts, des filets, des maillots et un arbitre. J'ai répondu que oui, bien sûr, et il m'a répondu: +alors, tu devras tricher un peu+.»

- Dans quel sens?

«Nous avons changé mon nom, la fille Pia est devenue le garçon Pelle. Au bout d'un moment, j'ai eu l'impression qu'on m'appelait +Pelé+» (rires).

- Comment cela s'est-il passé pour vous?

«J'ai toujours été différente des autres enfants, mais c'est normal d'être différente, c'est normal de ne pas faire la même chose que toutes les autres filles. On me regardait comme un garçon et je m'en fichais, parce que mon meilleur ami a toujours été le foot.»

- Avez-vous toujours dû cacher votre féminité?

«A l'école, les garçons ont une fois dit aux enseignants que je jouais au football. Je n'avais pas osé dire quoi que ce soit, j'ai toujours été très timide. C'est seulement le football qui m'a rendue plus sociable. Les professeurs m'ont alors demandé si je préférais jouer au football pendant 40 minutes avec les garçons plutôt que de faire de la gymnastique. J'ai trouvé ça fantastique. Ensuite, j'allais toujours à vélo dans le village voisin pour jouer au football. A l'âge de 11 ans, j'ai alors joué pour la première fois dans une équipe féminine, le maillot était bleu et blanc.»

- Suiviez-vous le football autrement, ou ne faisiez-vous que jouer vous-même?

«A l'époque, il y avait deux chaînes à la télévision: Channel 1 et Channel 2, toutes deux en noir et blanc. Nous ne pouvions pas nous permettre d'avoir un téléviseur couleur. Tous les samedis à 16 heures, ils diffusaient alors les matches d'Angleterre. Et donc, j'étais toujours assise devant l'écran, même si la qualité de l'image était mauvaise.»

- Aimiez-vous particulièrement regarder une équipe?

«Quand j'étais enfant, j'étais une grand fan de Liverpool, je ne sais pas pourquoi» (rires).

-En 1984, vous avez remporté avec la Suède le tout premier championnat d'Europe féminin. Lors de la finale retour contre l'Angleterre à Luton, environ 2500 fans étaient présents dans le stade lorsque vous avez transformé le penalty décisif. Le tournoi se déroule maintenant en Suisse. De nombreux matches se joueront à guichets fermés. Auriez-vous pensé il y a 40 ans que le football féminin se développerait ainsi?

«Nous nous sommes toutes battues pour cela. Lorsque j'ai dit un jour, à l'âge de 13 ans, que je voulais devenir footballeuse professionnelle, on m'a répondu: +tu sais que tu es une fille?+ C'est pourquoi je me réjouis que nous en soyons aujourd'hui à un autre stade. A l'époque, nous devions nous entraîner à 21 heures, car le terrain était occupé avant. Aujourd'hui, de nombreuses joueuses peuvent être professionnelles et travailler chaque jour sur leurs capacités avec des coachs. Et la finale de 1984 n'aurait plus jamais lieu de la même manière. Le terrain était tellement difficilement praticable. Mais à l'époque, cela nous était égal, car nous étions tout simplement heureuses de pouvoir participer.»

- Au fait, y a-t-il eu une grande réception à Stockholm après votre titre européen?

«Quelqu'un de la fédération était là pour nous féliciter, mais il n'y avait pas grand-chose d'autre. Dans un journal, il y avait toutefois deux pages imprimées sur nous. Deux pages, avec une photo. Nous avons d'abord pensé qu'ils se moquaient de nous, mais ils ont vraiment écrit sur nous.»

- Lorsque vous avez rejoint l'ASF en tant que sélectionneuse au début de l'année 2024, les gros titres des journaux étaient assez importants. Le fait qu'une coach de votre renommée, qui a notamment entraîné les Etats-Unis, la Suède et le Brésil et qui a remporté deux médailles d'or olympiques, reprenne la petite Suisse a surpris beaucoup de monde...

«En tant que sélectionneuse nationale, tu as le privilège de pouvoir sélectionner les meilleures joueuses d'un pays. C'est vraiment cool. Le travail est certes le même partout, mais la culture et les attitudes des gens sont à chaque fois très différentes. Travailler dans différents pays et différentes cultures m'a rendue plus ouverte d'esprit et plus cosmopolite. Ce qui fonctionne aux Etats-Unis ne fonctionne pas forcément en Suède, et ce qui est compris en Chine pourrait ne susciter que des regards interrogateurs au Brésil. Je suis très reconnaissante de ces expériences».

- Quelles sont les observations que vous avez faites en un an et demi en Suisse?

«Au début, je pensais que la Suisse était semblable à la Suède. Maintenant, je peux dire qu'elle ne l'est pas» (rires).

- Pour quelle raison?

«Laissez-moi vous donner un exemple: si vous voulez faire quelque chose en Suisse, il faut d'abord remplir trois documents. Ensuite, il y a deux réunions, et à la fin, peut-être encore une conférence téléphonique. Donc, entre l'idée et le moment où une décision est prise, c'est souvent un long processus. Quand j'étais au Brésil, je pensais que je devais être patient. En Suisse, c'est encore une autre étape. (rires) Mais c'est compréhensible, car le Suisse ou la Suissesse ne veut en aucun cas commettre une erreur.»

- Constatez-vous également ce trait de caractère sur le terrain?

«Quand j'ai commencé en Suisse, j'ai essayé de trouver ce qui caractérisait les joueuses suisses, mais ce n'était pas si facile de compléter le transparent sur lequel j'avais écrit «identité suisse» par des mots-clés appropriés.»

- En raison d'une caractéristique suisse répandue, la réserve?

«Exactement. J'ai demandé aux joueuses ce qui les caractérisait physiquement, mentalement, techniquement, tactiquement, et il s'est avéré que les joueuses suisses sont bonnes dans tous les domaines, mais n'excellent dans aucun.»

- Et alors?

«J'ai trouvé cela intéressant. Aux Etats-Unis, j'étais dans un environnement où toutes étaient convaincues d'être les meilleures et de vouloir en tirer le meilleur. Et si, à leurs yeux, elles n'étaient pas encore les meilleures du monde dans un domaine, elles continueraient jusqu'à ce qu'elles y parviennent. Et les Brésiliennes dansaient beaucoup et trouvaient toujours le moyen d'être joyeuses, quoi qu'il se passe sur le terrain. Les Suissesses sont beaucoup plus réservées et sobres.»

- Comment gérez-vous cela?

«J'essaie de faire comprendre aux joueuses qu'elles doivent être à l'aise pour oser faire des choses, elles doivent sortir de leur zone de confort, faire des erreurs. La plus grande erreur que l'on puisse faire, c'est de ne pas essayer du tout. Dans le staff, nous avons des transparents sur lesquels on peut lire +essaie+, +encore deux pas+, ou +bats-toi+. Si les joueuses ne font jamais que ce qu'elles savent déjà bien faire, elles ne découvriront jamais à quel point elles sont fortes. Transmettre ce courage est probablement l'un des plus grands défis que je dois relever en tant que coach.»

- Quand sortez-vous donc de votre zone de confort?

«Quand je chante» (rires)

- Mais vous êtes une chanteuse passionnée?

«Oui, mais pas quand je dois chanter en allemand. Une fois, j'ai chanté à l'équipe +Ein bisschen Frieden+ de Nicole. J'avais mon téléphone portable comme ça (elle met sa main près de son visage) pour pouvoir lire les paroles. J'étais à l'aise? Absolument pas, c'était effrayant. Et mes entraîneurs adjoints m'ont juste demandé: +mais qu'est-ce que tu fais? Tu as perdu la tête?+ Et c'est exactement de ça qu'il s'agit. Ce malaise fait partie du jeu et nous avons chaque jour la possibilité de donner le meilleur de nous-mêmes.»

- La tension sera sans doute aussi palpable chez les joueuses le 2 juillet, lorsque la Suisse accueillera la Norvège à guichets fermés au Parc Saint-Jacques pour son entrée dans l'Euro. Votre équipe n'a pas gagné depuis huit matches, et la pression est déjà forte avant le coup d'envoi.

«La légendaire attaquante américaine Abby Wambach disait toujours +c'est un privilège de jouer sous pression. Si c'était facile, tout le monde pourrait être champion olympique, alors ça doit être difficile+»

- Cette longue disette ne vous inquiète-t-elle pas du tout?

«Nous ne marquons pas de buts, c'est un problème. Nous n'avons pas de véritables buteuses dans l'équipe. Mais je pense que nous avons de dix joueuses qui ont marqué deux fois. On peut soit considérer que nous n'avons pas de joueuse qui marque beaucoup, soit considérer que nous avons une équipe équilibrée dans laquelle beaucoup de joueuses peuvent marquer. Il y a toujours plusieurs perspectives.»

- Quel genre de match d'ouverture souhaitez-vous?

«En 2013, j'ai déjà joué un Euro à domicile en tant que coach de la Suède. J'ai vécu l'un des plus beaux moments en me rendant au stade, lorsque j'ai vu le nombre de personnes qui voulaient assister à ce match. Les supporters suédois et danois faisaient alors la fête ensemble, dans le calme. J'espère qu'à Bâle, je verrai non seulement des drapeaux suisses, mais aussi des drapeaux norvégiens. Il s'agit en effet de faire plus que gagner, il s'agit de créer ensemble un événement inoubliable. C'est aussi une grosse pression, oui, mais ce sera merveilleux.»

par Simon Scheidegger