Interview Bruno Solo: «Bien sûr, je sentais la modestie de nos moyens»

Samuel Bartholin / AllTheContent

20.12.2018

Bruno Solo nous raconte les guerres de religion dans cette deuxième saison de «La guerre des trônes».
Bruno Solo nous raconte les guerres de religion dans cette deuxième saison de «La guerre des trônes».
Nathalie Guyon / Centre des monuments nationaux/ france.tv

Bruno Solo, qui a enchaîné les succès sur le grand et petit écran avec «La vérité si je mens» et «Caméra café» avant de se tourner vers le théâtre, présente cet hiver à la télévision la deuxième saison de l’émission historique de France 5: «La guerre des trônes: la véritable histoire de l’Europe», consacrée aux affrontements entre dynasties royales qui ont jalonné l’histoire. Un rôle inattendu? Pas pour ceux qui connaissent le comédien, passionné d’histoire, issu d’un milieu parisien modeste mais où l’on cultivait le goût de la culture et du savoir, comme il nous le raconte pour «Bluewin».

«La guerre des trônes» a choisi de parler de l’histoire de l’Europe par le prisme des affrontements entre dynasties royales…

Ce qui me plaît dans cette émission, c’est de montrer les conséquences de décisions de la part des monarques, du pape prises à partir de motifs parfois dérisoires: de l’orgueil mal placé, une recherche de vengeance, de la mesquinerie… Par exemple, on voit le roi Henri II, le fils de Francois 1er, qui veut légitimement se venger de Charles Quint, qui l’a maintenu otage dans sa jeunesse, et va pour cela s’allier aux prince protestants et mettre en péril les équilibres européens! L’émission montre cette part d’humain, les rois et les princes ne sont pas sacralisés… Autre exemple, Charles IX, qui n’avait pas les épaules pour supporter le poids de sa fonction, et va être dépassé par les évènements lors de la Saint Barthélémy. Cela montre cette faiblesse des monarchies, qui explique le fait qu’elles vont être amenées avec le temps soit à disparaître, soit à ne plus gouverner.

«Moi, c’est Catherine de Médicis qui me fascine!»

Quel personnage historique vous intéresse particulièrement?

Moi, c’est Catherine de Médicis qui me fascine! Cette Italienne qui a eu du mal à s’imposer à la cour de France, qui va réussir, qui va placer ses fils sur le trône, qui est d’une intelligence et d’une sensibilité hors du commun. C’est un personnage extraordinairement complexe, et qui a été un peu injustement sali à travers l’histoire…

Cette passion pour l’histoire vient de loin?

J’ai toujours aimé l’histoire, je regardais tout jeune les émissions d’Alain Decaux, qui parlait durant deux heures, avec sa carafe d’eau et ses diapos qui s’encharnaient maladroitement! J’étais gamin mais j’adorais ça, j’adore les grands narrateurs, qu’on me raconte des histoires! J’ai donc adoré en raconter plus tard. J’aime faire ça, même les voix off! Me retrouver dans la salle des cartes de la série, avec les petits soldats: bien qu’il faille faire plusieurs prises, que ce soit fastidieux, franchement, je prends mon pied!

L'émission décrit la grandeur et les vicissitudes des monarchies européennes.
L'émission décrit la grandeur et les vicissitudes des monarchies européennes.
Nathalie Guyon / Centre des monuments nationaux/ france.tv

Il y a une citation du philosophe Alain que vous reprenez souvent: «Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable; estimez-le, il s’élèvera». La guerre des trônes, c’est de la télé qui élève?

(Pensif) Je crois… J’essaie, dans la mesure du possible, de faire mes choix artistiques ainsi que mes choix de vie à l’aune d’une certaine réflexion, même s’il m’arrive aussi bien sûr d’être paresseux intellectuellement. Mais je crois que c’est ça que j’aime dans l’histoire: elle permet de mieux comprendre le monde d’aujourd’hui, et même si on ne peut pas complètement le changer, d’au moins l’encaisser avec un peu moins de violence! Ça permet de ne pas ignorer tout ce qui s’est déjà passé avant quand on parle de flux migratoires, de démocratie, d’Europe… Quand on a cette curiosité, ça permet de mieux appréhender les choses.

«Je viens d’une famille de gauche, un peu «anar»...»

Est-ce cela qui motive aussi vos engagements associatifs, politiques, comme auprès du Rassemblement écologiste pour le vivant, le parti créé par Aymeric Caron?

Vous êtes très renseigné! Oui, ça, ça fait partie de mon ADN, c’est atavique… Je viens d’une famille de gauche, un peu «anar», mon grand-père avait fait la guerre d’Espagne. On ne se reconnaissait pas dans la famille dans le communisme, qui avait été dévoyé, mais on avait du respect pour les militants communistes, ceux qui vendaient leur journal le dimanche matin. Un de mes oncles a aussi créé «La gueule ouverte», le premier journal écolo de France… Donc je viens de ce vivier-là, et il serait très difficile pour moi que mes engagements ne soient pas en écho avec ceux de mes parents.

«On n’était pas dans la misère, on mangeait à notre faim»

Vous dites que votre père, qui est décédé récemment, vous a transmis beaucoup…

Mon père disait toujours: «Il m’est odieux de suivre autant que de guider.» C’est une phrase de Nietzsche… Ce n’était ni un mouton de Panurge, ni un guide, il était un peu dans une position d’observateur, de prolétaire éclairé: il était ouvrier dans le bâtiment, mais il choisissait ses chantiers, et quand on lui a proposé de passer petit patron, il a refusé, il préférait garder sa liberté. C’était quelqu’un qui n’était pas matérialiste, il n’y avait pas d’idée de manque, avoir des chaussures à la mode, une belle voiture: il s’en foutait. Il gagnait peu, ma mère ne travaillait pas, mais on n’était pas dans la misère, on mangeait à notre faim, et on partait en vacances, un peu au petit bonheur la chance. Bien sûr, je sentais la modestie de nos moyens: on vivait à quatre dans un petit appartement, je partageais une chambre avec ma sœur… Mais il n’y avait pas de sensation d’étouffement, d’être empêchés de faire ce qu’on voulait: mon père m’a fait voyager, et toujours fait sentir qu’il était possible d’aller vers les autres.

«Beaucoup de ce que je suis aujourd’hui, je le dois à ce voyage.»

Il vous a même emmené un jour en Amérique…

Beaucoup de ce que je suis aujourd’hui, je le dois à ce voyage, ça a été déterminant pour moi. Au début, on devait partir tous ensemble, mais ma mère a eu peur pour ma sœur – qui avait sept ans, j’en avais treize – parce qu’on partait sans trop de moyens, sans savoir trop où on allait dormir et manger. Donc je suis parti seul avec mon père et on s’est rendu aux États-Unis, au Mexique et au Honduras. On est arrivés à New York, c’était en 1977, l’année la plus violente dans l’histoire de la ville, là où le plus de crimes ont été commis. On était dans Harlem, mon père me tenait la main… On sentait les tensions, mais c’était fascinant: le quartier noir, le quartier juif, chinois, italien… C’était la chose la plus dépaysante à vivre pour un jeune garçon comme moi! On est allés à Chicago, à San Francisco en plein mouvement gay, puis au Mexique. Quand je suis rentré, j’étais riche de toute cette effervescence! Auparavant, mon père nous avait déjà emmenés au Portugal, en pleine Révolution des œillets, pour voir la fin de la dictature de Salazar… En fait, il voulait un peu nous faire vivre l’histoire de l’intérieur, justement!

Justement, l’Amérique des «petits blancs» déclassés a élu Trump, partout montent les populismes. Les univers sociaux semblent paradoxalement plus cloisonnés qu’alors…

Eh oui, mais à force de mépriser les gens, ils peuvent avoir des réflexes méprisables! On a cessé d’estimer et d’essayer d’élever les gens, et de dire que l’émancipation sociale, intellectuelle et même économique passe avant tout par la curiosité! Il y a tellement d’avidité de la part de certains qui sont au pouvoir, et des grands groupes, des Gafa: on a arrêté de donner les moyens aux gens de penser, ils sont épuisés et n’ont plus le temps. Il y a les réseaux sociaux, mais ils sont souvent dévoyés… Les informations en chassent une autre, il y a une impression de tourbillon, les gens n’ont plus le temps de s’épanouir, ils ont peur, il y a énormément de frustrations. Moi, j’ai grandi dans un quartier populaire, à Paris, qui n’était alors pas encore devenu «bobo». Il y avait un brassage socio-culturel, qui a été fondamental pour moi, fils d’ouvrier, qui fréquentait d’autres fils d’ouvriers, de concierges, mais aussi de médecins, d’artistes, et tout ça m’a aidé, aussi.

Vous étiez sur les planches du théâtre, cette année, pour «Baby», et auparavant dans «L’heureux élu», avec votre complice Yvan Le Bolloc’h. Vous vouliez depuis longtemps être sur la scène ensemble?

Moi, j’ai toujours voulu jouer, mais du coup j’ai ainsi amené Yvan à la comédie. Quand on a commencé au Top 50, il faisait le présentateur, et je faisais le trublion, je jouais des personnages. A force de me voir faire le «con», il a réalisé que je m’amusais plus que lui! Il se trouvait enfermé: c’est un métier difficile, animateur! Il faut recevoir avec la même ferveur l’Abbé Pierre et Maïté. Je n’ai rien contre Maïté et la cuisine, mais je préférerais quand même, je pense, parler de son action avec l’Abbé Pierre… Donc, à force, il a eu envie de jouer, c’est venu à 33 ans: une vocation tardive, mais sincère! Il s’y est mis et a travaillé corps et âme, et c’est devenu ensuite le comédien de «Caméra Café». C’est vrai que nous avions tout fait ensemble jusqu’alors, de la télévision, du cinéma, mais pas encore de théâtre, et donc c’était une sorte d’accomplissement. C’est à refaire, mais pour l’instant, on n’a pas encore trouvé la pièce, on cherche… De mon coté, j’ai pas mal d’autres projets en cours au théâtre, à la télévision.

«Soit on ne me propose rien, soit les films qu’on me propose ne sont plus ceux que j’ai envie de faire!»

On ne vous voit plus beaucoup en revanche au cinéma?

On m’y offre moins de choix: soit on ne me propose rien, soit les films qu’on me propose ne sont plus ceux que j’ai envie de faire! Je ne citerai pas les films que j’ai refusés ces trois dernières années, certains ont bien marché d’ailleurs, mais peu importe! Là aussi, j’essaie de rester fidèle à mes principes, et pour le cinéma dont je rêve, on ne vient pas me chercher! Stéphane Brizé («En guerre», «La loi du marché», NDLR), il m’aime beaucoup, mais il ne me propose pas de jouer dans ses films, il a son acteur fétiche, qui est Vincent Lindon… J’adorerais tourner avec Jacques Audiard, mais il ne sait même pas que j’existe, ou alors je ne l’intéresse pas! Des gens comme Anne Fontaine («Marvin ou la belle éducation»), je ne rentre pas dans leur réflexion… Peut-être ils se disent que j’ai trop le profil d’une vedette télé, et que ça va phagocyter le projet? Je n’en sais rien, je ne sollicite pas non plus… Mais bon, si je suis très impatient dans la vie, je suis en revanche très patient dans mon métier. Et puis, si je devais mourir en faisant du théâtre, ça ne me déplairait pas.

Avoir été nommé aux Molières, l’an dernier, a du être une vraie satisfaction…

Oui, surtout pour une pièce comme «Baby»! J’essaie d’être très cohérent dans mes choix depuis quelques années, de même à la télévision: quand je joue un flic, comme dans «Deux flics sur les docks», avec Jean-Marc Barr, c’est un flic très imprégné de sa conscience de classe, j’aime ça.

Vous aimez cet univers du polar?

J’ai grandi avec Simenon… Dans ses romans, l’intrigue est un peu figée, mais les corps bougent, bouillonnent, j’adore! «L’affaire Saint Fiacre», «La tête d’un homme», «Maigret tend un piège», «La vérité sur bébé Donge», «La Mort de Belle» - que j’ai joué d’ailleurs… A chaque fois que je joue dans une adaptation de Simenon, je relis son œuvre et je me rends compte à chaque fois que Simenon est le Dostoïevski français… Ou belge, plus exactement. Dostoïevski, on est écrasé par le génie de l’écriture, comme Stendhal, Balzac ou Hugo. Des sommes! Chez Simenon, on est à hauteur d’homme, il nous regarde et montre des gens animés par des tourments dont ils n’arrivent pas à se dépêtrer, se débrouillent avec les moyens qui sont les leurs, parfois crasseux, parfois mesquins: il y a une humilité dans son écriture et ses personnages. Et moi, j’adore jouer ça, m’effacer derrière ce type de personnages, c’est ce que j’aime dans mon métier. L’année prochaine, 2019, sera l’année Simenon, je vais faire une lecture d’un autre de ces livres, «Le chien jaune», et j’ai rédigé la préface d’un des neuf tomes de la réédition de toute son œuvre, au Seuil, aux cotés de Douglas Kennedy, Bertrand Tavernier, Pierre Assouline… C’est pour moi une très grande fierté.

«La guerre des trônes, la véritable histoire de l’Europe»: vendredi 21 décembre, 20h50, France 5. Avec Swisscom TV Air, vous profitez gratuitement de Swisscom TV sur votre ordinateur, votre tablette et votre Smartphone. Ainsi, vous pouvez regarder Swisscom TV, vos enregistrements inclus, où que vous soyez.

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