Interview exclusive «Les Allemands avaient abandonné ou juste battu en retraite?»

de Marlène von Arx

22.1.2020

Les acteurs Mark Strong et George MacKay sur le tournage de «1917», près des docks de Govan, à Glasgow.
Les acteurs Mark Strong et George MacKay sur le tournage de «1917», près des docks de Govan, à Glasgow.
Andrew Milligan/PA Images via Getty Images

Nous saurons bientôt si «1917» rapportera également des Oscars au réalisateur Sam Mendes. Le Britannique a été marqué par son étude de la Première Guerre mondiale.

M. Mendes, le film raconte l’histoire de Tom Blake (Dean-Charles Chapman) et Will Schofield (George MacKay), deux soldats fictifs chargés d’avertir le bataillon du frère de Tom Blake d’une embuscade allemande et, pour ce faire, de traverser une zone hostile. Vous avez tourné «1917» comme s’il s’agissait d’un unique plan-séquence sans coupe. Pour quelle raison?

Pour des raisons émotionnelles: Je voulais plonger les spectateurs dans la course des deux jeunes protagonistes. Pas à pas, à chaque souffle. Déployer l’histoire sur deux heures en temps réel semblait tomber sous le sens, dans la mesure où chaque coupe marque une distance. Mais bien sûr, c’est facile à dire. Le directeur de la photographie Roger Deakins et moi-même avons travaillé pendant longtemps sur cette chorégraphie entre la caméra et les acteurs.

Vous avez remporté plusieurs Golden Globes et balayé «The Irishman», «Marriage Story» et «Les Deux Papes», les concurrents favoris venus de Netflix. Vous êtes désormais en lice aux Oscars avec dix nominations. Cela prouve-t-il que le cinéma n’est pas encore mort?

C’est sur nous, les cinéastes, que cela repose en fin de compte. Si nous faisons des films qui sont réalisés avec les outils propres au cinéma – comme la technologie IMAX et le son surround – et qu’il faut voir sur grand écran, les gens iront aussi au cinéma. Mais c’est un défi de taille. Quand j’ai commencé avec «American Beauty», puis avec «Les Noces rebelles» et «Away We Go», une sortie en salle était garantie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sans l’enthousiasme de Steven Spielberg chez Amblin et des gens d’Universal, «1917» n’aurait pas pu voir le jour.

Le grand gagnant des Golden Globes: le réalisateur de «1917» Sam Mendes pose avec les prix du meilleur film dramatique et du meilleur réalisateur.
Le grand gagnant des Golden Globes: le réalisateur de «1917» Sam Mendes pose avec les prix du meilleur film dramatique et du meilleur réalisateur.
Keystone

Et pourquoi avez-vous choisi l’année 1917 de la Première Guerre mondiale?

Les Allemands s’étaient alors retirés derrière la ligne Hindenburg et les Britanniques se retrouvaient brusquement seuls après trois ans de guerre. Pendant quelques jours, il était impossible de savoir si les Allemands avaient abandonné ou juste battu en retraite. Cela semblait être le seul moment où quelqu’un pouvait transmettre un message derrière les lignes ennemies et voir ce panorama de destruction massive.

Votre grand-père Alfred Mendes a combattu durant la Première Guerre mondiale. Il a inspiré «1917» – et le film lui est dédié. Pouvez-vous nous parler de lui?

C’était un homme merveilleux. Je l’aimais beaucoup.

Pouvez-vous nous en dire plus à propos de lui?

Il était originaire d’une famille créole portugaise de Trinité, son arrière-grand-père avait émigré à Trinité au XIXe siècle. A l’adolescence, mon grand-père a été envoyé dans un pensionnat en Angleterre. A 17 ans, il s’est porté volontaire pour servir, comme tous ses amis. Plus tard, il a écrit des livres et des histoires et en dehors, il était également assez théâtral. Il ne parlait pas de son expérience de la guerre avec ses trois fils, mais nous, ses petits-enfants, écoutions des histoires qu’il nous racontait lorsque nous lui rendions visite à Trinité. Il avait alors soixante-dix ou quatre-vingts ans et cela nous intéressait lorsque nous étions enfants. Il s’asseyait sur le porche, se servait un rhum et racontait ses histoires. La morale de ses souvenirs était toujours que tout peut se terminer très vite et que nous sommes chanceux d’avoir ce que nous avons.

La transmission d’un message, comme dans le film, était-elle un de ces souvenirs?

Il a transmis de nombreux messages. C’était l’hiver et le brouillard rasait le sol. Comme il mesurait seulement 1,62 mètre, ils l’envoyaient à chaque fois, car il ne dépassait pas du brouillard au sol. Il a reçu une médaille. Il a capturé à lui seul dix soldats allemands. Mais il ne s’est jamais décrit comme un héros, bien au contraire. Il insistait sur la chance qu’il avait eue de survivre. Son ami a été pulvérisé juste à côté de lui; une fois, il a traîné un camarade gravement blessé à travers le no man’s land. Quand il est arrivé dans la tranchée, il était mort – il avait pris des balles qui auraient autrement touché mon grand-père. Le film est inspiré de ces histoires et de détails que j’ai découverts à l’Imperial War Museum.

Quelles traces la guerre a-t-elle laissées sur lui?

J’ai remarqué qu’il se lavait constamment les mains. Je me souviens que j’ai demandé à mon père pourquoi mon grand-père faisait cela. Papa a répondu qu’il se souvenait de la boue dans la tranchée, qu’il n’avait jamais vraiment réussi à enlever. Cela m’a marqué.

Votre grand-père est décédé en 1991. Pourquoi racontez-vous son histoire maintenant?

Il y a plusieurs raisons à cela: nous vivons à une époque où nous avons oublié ce que signifie le sacrifice – le sacrifice pour les autres également. Je m’inclus aussi tout à fait là-dedans. Nous vivons dans une culture égocentrique. La génération de la Première Guerre mondiale a fait des sacrifices pour quelque chose qui la dépassait. Pour une Europe libre et unie. Pour une idée qui allait aider leurs enfants et leurs petits-enfants à vivre dans un monde libre. Nous ferions bien de nous en souvenir dès maintenant. Cela peut sembler idéaliste, mais nous sommes ainsi des conteurs. Mais en fin de compte, je voulais simplement aborder des thèmes universels comme l’amour et l’amitié, ce que signifie le fait de rentrer chez soi et, de manière générale, d’avoir un foyer pour lequel on se bat. Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de connaissances sur la Première Guerre mondiale pour comprendre le film.

N’avez-vous jamais douté en vous disant que la Première Guerre mondiale est trop ancienne pour séduire le public actuel du cinéma?

Je vais vous montrer rapidement à quel point tout cela est encore d’actualité: avec Roger Deakins, je suis allé en France, là où la bataille de la Somme s’est déroulée. A la place du front de l’époque, on trouve désormais des terres agricoles. Un agriculteur a affirmé qu’il suffisait de se baisser pour trouver des vestiges de la guerre.

Etait-ce le cas?

Eh bien, devinez quoi: à mes pieds, il y avait un fragment d’obus et un morceau de fil barbelé. On trouve encore ce genre de choses partout. Selon l’agriculteur, il faudra 400 ans pour que la terre fasse réapparaître tout ce qui y est enfoui. Chaque mois, de nouveaux restes de squelettes sont découverts. Deux semaines avant, ils avaient retrouvé un crâne et un squelette auquel une boîte de tabac était accrochée. A l’intérieur se trouvait un exemplaire de «The Trials of Dr. Fu Manchu», dans lequel était inscrit le nom du propriétaire. La famille a été identifiée et a finalement pu l’enterrer dans le petit cimetière du village. Tout le monde était en larmes. Même Roger et moi n’avons pas pu retenir les nôtres.

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