Interview Michèle Bernier: «Il est souvent très dur de dire "Je suis cocue"»

De Samuel Bartholin/AllTheContent

16.5.2019

Vive demain!, un spectacle où le chant, la musique se mêlent au comique d'observation
Vive demain!, un spectacle où le chant, la musique se mêlent au comique d'observation
Pascal Ito

Michèle Bernier vient de délivrer avec succès une première salve de représentations de son spectacle Vive demain! à Paris, au Théâtre des Variétés. Dans cette évocation humoristique du temps qui passe et des défis nouveaux qu’impose l’époque, la comédienne délivre un message de foi dans l’avenir et décoche un pied de nez aux déclinistes de tout poil. 

En attendant de la retrouver sur scène prochainement, ses aficionados suisses pourront la voir dans les prochains épisodes de «La stagiaire», la série qui place France 3 en tête des audiences les soirs de diffusion.

Vous venez de jouer votre nouveau spectacle avec succès à Paris. Y a-t-il une tournée de prévue dans les pays francophones?

Oui, on partira en tournée du mois de novembre à la mi-avril prochain. Je n’ai pas encore toutes les dates, mais normalement, comme toujours, on doit se rendre en Suisse, en Belgique… On essaiera aussi d’aller à La Réunion, en outre-mer. Il faut juste essayer de se caler avec l’emploi du temps de chacun, ses contraintes.

«Même dans les pays difficiles, les gens continuent de s’aimer, de procréer...»

Le titre du spectacle Vive demain! est très spontané, direct… Pourquoi ce choix?

Au départ, on est parti sur quelque chose qui était plus: «On nous l’avait dit» ou «On nous avait prévenus», un peu dans cette optique-là – c’est ce dont parle la seconde partie du spectacle: on nous avait dit qu’il fallait faire attention à la surconsommation, on ne l’a pas fait, et maintenant on crie «au secours»! Mais ça ne correspondait pas au fait qu’il faut malgré tout conserver de l’espoir, qu’on a besoin d’avancer, de miser sur l’intelligence humaine et ses possibles fulgurances… «Vive demain!» nous est venu dans le sens de dire qu’on a besoin de croire dans le futur, dans la jeunesse, dans le fait que celle-ci se bouge et porte ses rêves, qu’elle ne cède pas au: «C’est fini, c’est foutu, la fin du monde est pour 2050.» Même dans les pays difficiles, les gens continuent de s’aimer, de procréer: ce qui nous maintient, tous, c’est cet espoir dans la vie. Ça ne veut pas dire du tout qu’on vit dans le monde des Bisounours, au contraire, mais qu’on introduit un peu de positif.

Ce regard positif, vous l’appliquez aussi à vous-même, quand vous évoquez le passage à la soixantaine, le fait de devenir grand-mère…

Moi, j’aime profondément la vie, avec tout ce qu’elle comporte, y compris sa part de moments difficiles et de drames – ne serait-ce que parce qu’on perd les gens qu’on aime. Mais je trouve que la vie est fabuleuse, ce qu’on est, ce qu’on fait, d’avoir un cerveau… Je ne sais pas d’où tout cela vient, je ne suis pas très croyante, mais je trouve tout cela assez incroyable. L’être humain, depuis qu’il est sur terre, a traversé des choses bien plus effrayantes que ce qu’on connaît actuellement, et l’humanité est toujours là. J’ai cette idée folle de penser que des choses meilleures se préparent… Pour écrire le spectacle, avec la co-auteure Marie-Pascale Osterrieth, nous sommes beaucoup allées sur Internet, on a visionné énormément de choses… Il y a plein d’initiatives qui sont prises à travers le monde, de la part de gens qui ont acquis une conscience, pour vivre autrement. Tout le monde ne s’est pas résigné au: «Mon dieu! On n’y arrivera pas.»

«Entre femmes, on a l’habitude de se parler, mais il y a des choses qu’on ne se dit pas…»

Vos spectacles seule en scène font souvent écho aux évènements de votre propre vie, ainsi l’adultère et le divorce dans Le démon de midi, en 2000.

Sa propre vie, c’est la matière première qu’on a à portée de main, quand on réussit à prendre un peu de recul sur soi-même! Le démon de midi, ça a été une coïncidence assez démente, car c’était avant tout une BD de Florence Cestac, qui avait ainsi traduit sa propre histoire d’adultère. Je l’ai ensuite incarné au théâtre, alors que ça croisait ma vie privée, ce qui était dingue! Et ce qui y était dit correspondait aussi à des milliers d’histoires… C’est ce qui a fait le succès de ce spectacle, de se dévoiler ainsi: il est souvent très dur de dire «Je suis cocue», aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Entre femmes, on a l’habitude de se parler, mais il y a des choses qu’on ne se dit pas… D’où l’idée d’en faire un spectacle, où j’incarne une femme ordinaire, avec laquelle s’opère un rapprochement, un transfert… De plus au moment du «démon de midi», il y avait cette mode pseudo-psychanalytique de dire que les divorces, les familles recomposées, c’était quelque chose de facile, que tout se passait bien. Alors que ce n’est pas simple, de dire à un enfant qu’il ne verra plus son papa ou sa maman tous les jours, tout ça n’est pas facile, ça prend du temps.

«J’étais gâtée comme si on était milliardaires.»

Vous-même avez grandi dans un univers bohème et souvent assez chaotique (le père de Michèle, Georges Bernier alias «Professeur Choron», est le cofondateur des magazines satiriques Hara-Kiri et Charlie Hebdo, souvent en butte alors à la censure des autorités françaises)…

Complètement! Mais moi, on ne me l’a jamais fait ressentir comme tel. Quand on est enfant, on n’a pas la notion des choses, tout dépend de ce que vos parents vous disent ou ne vous disent pas. Les miens m’ont toujours dit: il n’y a pas de problème, j’étais gâtée comme si on était milliardaires. A l’époque, je ne savais pas ce que c’était qu’un chèque sans provisions, alors que mon père se retrouvait pourtant lui dans la merde! C’est plus tard que j’ai appris tout ça, on m’a raconté. «On va y arriver, on va se débrouiller…», disaient mes parents, qui partaient vendre leurs journaux dans la rue en cas d’interdiction: c’était un style de vie différent, un peu comme le vivent sans doute les enfants de forains, ou dans les cirques. De toute façon, vous savez, tant qu’il y a de l’amour, ça sauve de tout! Le reste… Ce ne sont que des nids de poule sur les routes.

On vous sent très épanouie, malgré les épreuves (le divorce, le décès de vos parents).

C’est la vie! Mais ce que mes parents m’ont auparavant donné, la force qu’ils m’ont transmis, c’est ce qui m’a fait telle que je suis. Un enfant va développer son propre caractère, plus tard il va faire ses propres rencontres, ses choix, mais la base, le point d’ancrage, c’est la famille. Les gens réussissent dans la vie à se relever des pires difficultés parce qu’il y a cet endroit où on sait qu’on ne sera pas renié, rejeté, où on peut puiser de la force, se régénérer. Je vois bien cela, avec mes enfants, mes proches, à quel point on se cherche quand on a besoin de se redonner un «coup de jus». Ce point d’ancrage peut aussi être l’amitié: j’ai des amis depuis 40 ans, c’est pareil, c’est d’eux aussi que vient ma force, de même que j’espère aussi donner de cette force à mes amis.

Michèle Bernier est Constance Meyer, la «stagiaire» qui cartonne sur le petit écran.
Michèle Bernier est Constance Meyer, la «stagiaire» qui cartonne sur le petit écran.
Francois Lefebvre/Elephant

Parlons de «La stagiaire», et de son héroïne, Constance Meyer, au parcours original: agricultrice qui se lance à 50 ans dans une carrière judiciaire…

C’est ce qui m’a attirée dans ce personnage! Je me suis dit que ce n’était pas juste une énième série policière. Pour moi, Constance est un personnage très moderne: je connais ainsi des gens qui, arrivés à 50-55 ans avec leurs enfants qui sont grands, ont eu envie de faire autre chose que ce qu’ils faisaient jusque là, découvrir un autre univers… A 30 ans, on est soucieux de construire une famille, de réussir son insertion professionnelle. Une fois que c’est fait, on se dit: j’aimais le piano, le tricot, n’importe quoi… Pourquoi ne pas me lancer dans cette nouvelle aventure? Grâce à la médecine, au confort dans lequel nous vivons, l’espérance de vie en bonne santé est beaucoup plus longue. En Allemagne, il y a même une centenaire qui s’est présentée à des élections! Donc ce choix de Constance est très moderne. En plus, ce qui est bien, c’est que son mari la soutient. Je trouve ça bien, j’aime le couple qu’ils forment ensemble, qui tient dans le temps, qui fonctionne sur la tendresse, l’humour… C’est ce qu’on essaie de faire transparaître, et je pense que le public aime ça aussi.

Il y aura donc une cinquième saison l’an prochain?

Oui, c’est quelque chose qui se prévoit en amont, car il faut écrire, la préparer… Si ca avait été un échec, tout aurait peut-être été annulé, mais là non, au contraire! On va donc commencer à tourner à partir du 17 juin.

«Incarner une femme qui ose, qui se permet, qui n’a pas peur, ca fait un bien fou.»

A l’image des «Frangines», le téléfilm à succès en 2002 où vous jouiez une chauffeuse routière, vous interprétez souvent des personnages de femmes issues de milieux populaires, ou de la classe moyenne, et qui ne se laissent pas marcher sur les pieds.

C’est ce qui marche avec les héros ou les heroïnes! C’est la personne qu’on voudrait être, mais qu’on a du mal à être, celui ou celle qui peut dire «merde» à quelqu’un. On se dit tout le temps qu’on est enfermé dans sa vie, qu’on arrive pas à dire les choses… Alors, incarner une femme qui ose, qui se permet, qui n’a pas peur, ca fait un bien fou. Ce sont des personnages qu’on n’attend pas, on est pas dans le coté «sexy», on est plus dans quelque chose qui ressemble à la vraie vie, et qui prend du coup une certaine portée…

On sent souvent dans les personnages que vous campez, votre gouaille, votre humour une certaine filiation avec la troupe du Splendid, quelqu’un comme Josiane Balasko…

Oui, et d’ailleurs, je répète en ce moment une pièce de Josiane, «Un grand cri d’amour», qui se jouera à Paris à partir du mois de mai et sera diffusée sur France 2 en juin, au cours d’une soirée spéciale!

Quatre femmes (dont vous) nominées cette année aux Molières de l’Humour. Un signe des temps?

Quatre femmes avec chacune un style très différent! Sans doute qu’il y a certainement aussi plus de femmes parmi nos pairs, dans ceux qui nous jugent, pour ces nominations… C’est peut-être aussi une manière de dire: «On ne vous a pas toujours gâtées, maintenant c’est à vous de jouer!» Peut-etre une excuse inconsciente, après tout ce qui s’est passé avec «Me Too», dans notre métier, dans le monde artistique, qui a été un peu malmené… Mais ce n’est pas un problème, je trouve ca très bien qu’on dise: «On a un peu déconné» et qu’on veuille remettre les pendules à l’heure!

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