Justice internationaleAung San Suu Kyi doit cesser le génocide
ATS
10.12.2019 - 14:38
L'ancienne icône de la paix Aung San Suu Kyi a assisté mardi aux appels de la Gambie, au nom du monde musulman, pour que la Birmanie «cesse le génocide» contre la minorité rohingya. Cela s'est passé au premier jour d'audiences devant la Cour internationale de justice.
Celle qui fut lauréate du prix Nobel de la paix en 1991 est à la tête de la délégation birmane devant la Cour qui siège à La Haye pour assurer elle-même la défense de son pays, à majorité bouddhiste, mis en cause pour les massacres et persécutions contre la minorité musulmane des Rohingyas. Depuis août 2017, quelque 740'000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les exactions de l'armée birmane et de milices bouddhistes, qualifiées de «génocide» par des enquêteurs de l'ONU.
Des milliers de personnes ont marché mardi dans plusieurs villes de Birmanie afin de soutenir Aung San Suu Kyi, qui a vu son image ternie au sein de la communauté internationale depuis qu'elle a pris la défense des généraux de l'armée birmane.
«Tout ce que la Gambie demande, c'est que vous disiez (à la Birmanie) de mettre fin à ces tueries insensées, d'arrêter ces actes de barbarie et de cesser ce génocide contre son propre peuple», a plaidé le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou, devant les juges de la CIJ.
Une religion différente
La Gambie, mandatée par les 57 États membres de l'Organisation de la coopération islamique, estime que la Birmanie a violé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, un traité de droit international approuvé en 1948. La CIJ, organe judiciaire principal des Nations unies, créé en 1946 pour régler les différends entre Etats membres, tient de premières audiences de mardi à jeudi dans ce dossier ultrasensible.
«Chaque jour à ne rien faire, ce sont plus de gens tués, plus de femmes violées et plus d'enfants brûlés vifs. Quel crime ont-ils commis ? Seulement celui d'être nés dans une religion différente», a dénoncé M. Tambadou, ancien procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda. «Un autre génocide se déroule sous nos yeux, mais nous ne faisons rien pour l'arrêter», a-t-il martelé.
La Gambie demande à la CIJ des mesures d'urgence pour mettre fin aux «actes de génocide en cours» en Birmanie en attendant que soit rendu l'arrêt définitif sur le fond de l'affaire, ce qui pourrait prendre des années.
«Défendre la dignité»
Vêtue d'une robe traditionnelle birmane, Aung San Suu Kyi, 74 ans, a écouté les déclarations des avocats gambiens des victimes rohingyas, notamment celui d'une mère dont le fils d'un an a été battu à mort et celui d'une femme enceinte de huit mois qui a été piétinée et violée à plusieurs reprises.
En Birmanie, des sympathisants de la cheffe de facto du gouvernement birman se sont rassemblés dans plusieurs villes, agitant des drapeaux. Quelque 2000 personnes ont marché dans les rues de Rangoun, la capitale économique, et des dizaines de milliers d'autres ont défilé à Mandalay (nord).
Les avocats de la Gambie ont toutefois dénoncé l'apparition d'énormes panneaux d'affichage à travers la Birmanie ces dernières semaines, montrant Aung San Suu Kyi avec trois généraux de l'armée birmane souriants. Pour l'avocat Paul Reichler, cela montre que ces derniers sont «tous impliqués» dans les exactions commises à l'encontre des Rohingyas. Cela prouve «que la Birmanie n'a absolument aucune intention de tenir ses dirigeants militaires pour responsables», a-t-il affirmé.
«Demander justice»
Suu Kyi devrait présenter mercredi la défense de la Birmanie, devenant l'un des premiers dirigeants à s'adresser personnellement aux juges de la Cour. Celle-ci n'a établi qu'une seule fois qu'un génocide avait été commis : le massacre de 8000 hommes et garçons musulmans en 1995 à Srebrenica, en Bosnie.
Aung San Suu Kyi devrait faire valoir que la CIJ n'a pas compétence en la matière, que l'armée birmane ciblait des rebelles rohingyas et que le pays est parfaitement capable de mener à bien ses propres enquêtes.
«Je demande que le monde nous rende justice», a déclaré Nur Karima, une réfugiée rohingya dont les frères et grands-parents ont été tués lors d'un massacre dans le village de Tula Toli en août 2017. «Je veux voir les condamnés être menés à la potence. Ils nous ont tués sans pitié», a témoigné auprès de l'AFP Saida Khatun, une autre réfugiée de Tula Toli.
Les autorités birmanes maintiennent quant à elles que les militaires n'ont fait que réagir aux attaques de la rébellion rohingya et qu'il n'y a eu ni nettoyage ethnique ni génocide.
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