Liberia Le Liberia accueille un procès pour crimes lors de la guerre civile

ATS

23.2.2021 - 18:17

Gibril Massaquoi, surnommé à l'époque "l'Ange Gabriel", est notamment accusé de meurtres, viols, actes de torture, ou encore de recours à des enfants soldats (archives).
Gibril Massaquoi, surnommé à l'époque "l'Ange Gabriel", est notamment accusé de meurtres, viols, actes de torture, ou encore de recours à des enfants soldats (archives).
ATS

Des juges finlandais ont commencé mardi à recueillir en un lieu tenu secret les dépositions de témoins dans un procès sans précédent sur le sol du Liberia. Il concerne des crimes de guerre perpétrés lors d'une des guerres civiles qui ont ravagé le pays.

«C'était en 2000...», a commencé le premier témoin, à charge contre l'ancien rebelle sierra-léonais Gibril Massaquoi.

Lors de la deuxième des guerres civiles du Liberia dont les rebelles sierra-léonais furent parmi les acteurs, cette femme apparemment âgée d'une quarantaine d'années faisait partie avec une amie des masses de civils déplacés par le chaos quand leur route a croisé celle de «ce type qui s'est présenté sous le nom de l'Ange Gibril Massaquoi». «Il a dit: je vais vous envoyer au ciel».

Depuis février, un tribunal finlandais juge Gibril Massaquoi en Finlande, où il vit depuis 2008 et où il a été arrêté en mars 2020 après la mobilisation d'ONG, en vertu de la législation conférant à la justice nationale la faculté de poursuivre des crimes graves commis à l'étranger.

Cinquantaine de témoins

Pour des raisons pratiques, comme la pandémie de Covid-19, la cour (quatre juges, deux représentants de l'accusation, un avocat de la défense) s'est déplacée au Liberia.

La cour va entendre pendant environ six semaines une cinquantaine de témoins à charge et à décharge dans une salle conditionnée de Monrovia dont la localisation est gardée confidentielle.

La cour réclame de conserver l'anonymat des témoins pour leur sécurité. Quelques journalistes suivent sur un écran dans une salle adjacente. Gibril Massaquoi, lui, peut suivre grâce à internet de sa prison à Tampere (sud de la Finlande).

Agé de 51 ans, surnommé à l'époque «l'Ange Gabriel», il est accusé d'une longue liste d'atrocités: meurtres, viols, actes de torture, recours à des enfants soldats et faits d'esclavagisme, caractérisant des «crimes de guerre aggravés» et «crimes contre l'humanité aggravés» perpétrés par lui-même ou ses soldats entre 1999 et 2003.

Dénégations de l'accusé

Il était alors un haut responsable du Front révolutionnaire uni (RUF), groupe armé sierra-léonais dirigé par le caporal Foday Sankoh, proche de l'ex-chef de guerre libérien devenu président Charles Taylor.

A Kamatahun, une localité aux confins du Liberia et de la Sierra Leone où Gibril Massaquoi est accusé d'avoir sévi et où la Cour s'est rendue la semaine passée, des habitants l'ont accusé d'avoir fait enfermer des civils, dont des enfants, dans deux bâtiments, avant de les réduire en cendres, selon le dossier d'enquête.

Au moins sept femmes ont été violées et tuées à Kamatahun et les cadavres d'habitants ont été découpés en morceaux et servis à manger à Gibril Massaquoi, dit le dossier.

Le premier témoin s'est souvenu comment, après avoir croisé celui qu'elle a présenté comme Gibril Massaquoi sur le chemin de Monrovia, elle et son amie ont continué leur route. «On a entendu des tirs nourris derrière nous. On s'est mise à courir dans tous les sens. Mon amie Felicia est partie dans une autre direction», a-t-elle raconté posément en confondant parfois les dates.

Le lendemain, elle a appris de la soeur de Felicia que cette dernière était morte.

Gibril Massaquoi encourt la prison à perpétuité. Il a nié toute implication par la voix de ses avocats à l'ouverture de son procès le 3 février en Finlande. Il affirme qu'il était ailleurs à l'époque et engagé dans des négociations de paix.

Tribunal finlandais, pas international

C'est un procès finlandais et non libérien. Les gouvernements libériens successifs, y compris celui de l'actuel président George Weah, se sont gardés jusqu'à présent de répondre aux appels à la mise sur pied d'un tribunal pour les crimes commis pendant les guerres civiles de 1989-1996 et 1999-2003.

Ces guerres, parmi les plus terribles qu'ait connues l'Afrique, ont été marquées par des exactions en tous genres. Elles ont fait 250'000 morts et laissé exsangue un des pays les plus pauvres de la planète.

Quelques affaires de crimes de guerre ont été instruites en dehors du Liberia – aux Etats-Unis ou en Europe – mais aucune dans le pays même.

Le policier qui a mené les investigations, Thomas Elfgren, insiste sur le fait que «ceci n'est pas un tribunal international sur le sol libérien (...) Au bout du compte, c'est un tribunal finlandais qui prendra une décision en Finlande».

Il refuse de se prononcer sur l'éventualité que le Liberia y trouve un encouragement à instaurer son propre tribunal. Mais il relève que ces auditions inédites n'auraient pas été possibles si les autorités libériennes ne les avaient pas approuvées.

Après le Liberia, la cour se rendra en Sierra Leone pour poursuivre son travail, avant de rentrer en Finlande dans environ deux mois. Le verdict est attendu en septembre.

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