La Russie a été lourdement condamnée par la CEDH dans l'affaire Sergueï Magnitski, un juriste mort en prison après avoir dénoncé un scandale de corruption, puis jugé à titre posthume. Une affaire qui avait déchaîné une tempête diplomatique entre Moscou et Washington.
Mauvais traitements, absence de soins médicaux adéquats, enquête incomplète sur les circonstances du décès, durée de détention provisoire excessive, condamnation posthume «intrinsèquement inadéquate»... La Cour européenne des droits de l'Homme reproche aux autorités russes de multiples violations des droits fondamentaux dans ce dossier.
Les juges strasbourgeois ont estimé que Sergueï Magnitski a été victime de mauvais traitements quelques heures avant sa mort et que la décision prise en mars 2013 par les autorités russes de classer sans suite l'enquête sur son décès était «superficielle».
Coupable d'évasion fiscale
En juillet 2013, Sergueï Magnitski avait été reconnu coupable à titre posthume d'évasion fiscale, lors d'un procès boycotté par sa famille. Sur ce point, la Cour souligne que «le procès d'une personne morte méconnaît manifestement les principes (du droit à un procès équitable)«. La CEDH avait été saisie par Sergueï Magnitski lui-même puis, après son décès, par son épouse et sa mère.
Le juriste travaillait pour le service fiscal d'un cabinet d'avocats de Moscou qui comptait parmi ses clients le plus gros fonds d'investissement étranger en Russie, Hermitage Capital, dirigé par un Américain.
En 2008, M. Magnitski a été arrêté après avoir dénoncé une machination financière de 5,4 milliards de roubles (environ 141 millions de francs) ourdie selon lui par des responsables de la police et du fisc au détriment de l'Etat russe et d'Hermitage Capital.
Décédé en détention provisoire à l'âge de 37 ans, en novembre 2009, il a succombé selon les services pénitentiaires russes à un malaise, mais une enquête du Conseil consultatif pour les droits de l'Homme auprès du Kremlin a conclu en 2011 qu'il avait été victime de coups et privé de soins. Aucune poursuite pénale n'a cependant été engagée à la suite de cette enquête.
Dommage moral
La Cour a condamné la Russie à verser 34'000 euros à son épouse et sa mère pour dommage moral, une somme importante au regard de celles habituellement octroyées par cette juridiction.
Alors que les deux femmes accusaient également les autorités russes de détention arbitraire, la CEDH ne les a pas suivies sur ce point mais a condamné la Russie pour un maintien excessif en détention provisoire.
«La Cour européenne a jugé manifestement infondée la plainte portant sur une détention arbitraire de M. Magnitski, reconnaissant que son arrestation et son placement en détention étaient parfaitement conformes à la Convention», a relevé le ministère russe de la Justice dans un communiqué cité par les agences de presse russes.
Pour Hugues de Suremain, coordinateur juridique du Réseau européen de contentieux pénitentiaire, une association de défense des droits des détenus, il s'agit d'une «condamnation accablante pour les autorités russes», qui démontre «un climat d'impunité généralisé».
«Cette affaire montre combien la tentative de réforme qui avait été impulsée à la fin des années 2000 par (Dmitri) Medvedev (alors président de la Russie, NDLR) pour rompre avec l'héritage du goulag a échoué», laissant la place à un «serrage de vis», estime-t-il.
Pression sur la Russie
Il souligne que l'arrêt Magnitski vient mettre à nouveau la pression sur les autorités russes au moment où doit se décider le sort d'un mécanisme national de prévention de la torture dans les prisons, mis en place en 2008, puis vidé de sa substance par l'éviction de tous les défenseurs des droits humains qui y participaient.
Tentaculaire, l'affaire Magnitski a conduit à l'adoption de «lois Magnitski» qui restreignent la liberté de mouvement et gèlent les avoirs des personnes accusées d'enfreindre les droits humains aux Etats-Unis, mais aussi en Grande-Bretagne, au Canada et dans les trois républiques baltes.
La Russie avait riposté avec l'adoption d'une loi dressant une liste d'Américains et d'autres étrangers indésirables sur son territoire, interdisant aussi l'adoption d'enfants russes par des Américains.
Membre depuis 1996 du Conseil de l'Europe, la Russie n'a exécuté pleinement que 38% des arrêts de la CEDH prononcés à son encontre, selon des chiffres communiqués au printemps dernier par un forum d'ONG russe de défense des Droits humains.
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