Vaste dossier de corruption Un milliardaire russe défraie la chronique sur le Rocher

ATS

27.6.2024 - 08:14

Le vaste dossier de corruption visant le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev est désormais en suspens à Monaco. Une récente décision de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) prive l'accusation de pièces essentielles, sans dissiper les soupçons.

Le vaste dossier de corruption visant le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev est désormais en suspens à Monaco.
Le vaste dossier de corruption visant le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev est désormais en suspens à Monaco.
IMAGO/Bestimage

Keystone-SDA

Cette procédure vacille alors que la Principauté est secouée par les révélations distillées par Claude Palmero, l'ancien administrateur des biens de la Couronne limogé il y a un an, et par la perspective d'être à nouveau inscrite vendredi sur la liste grise de pays manquant à leurs obligations en matière de transparence financière.

Tout est parti d'une plainte en janvier 2015 de M. Rybolovlev contre le marchand d'art genevois Yves Bouvier. Le propriétaire du club de foot de l'AS Monaco accusait le Suisse d'avoir réalisé des marges exorbitantes, tournant à l'escroquerie, en lui vendant une impressionnante collection de tableaux, dont le «Salvator Mundi» de Léonard de Vinci, mais aussi des toiles de Picasso, Modigliani, Matisse, Van Gogh...

Procédures en cascade

L'affrontement judiciaire a donné lieu à des procédures en cascade en particulier à Monaco et en Suisse, jusqu'à ce que les deux hommes règlent définitivement leur différend fin 2023. Mais sur le Rocher, il a laissé dans son sillage deux enquêtes distinctes.

Tout d'abord, une plainte pour atteinte à la vie privée déposée en juin 2015 par une proche de M. Bouvier qui reprochait à l'avocate de M. Rybolovlev, Tetiana Bersheda, d'avoir transmis aux enquêteurs une conversation enregistrée à son insu lors d'un diner dans le luxueux appartement monégasque du milliardaire. Ce dernier a bénéficié d'un non-lieu en novembre 2023 et son avocate ukraino-suisse a été jugée et relaxée en mars.

Dans le cadre de cette procédure, Mme Bersheda a accepté en février 2017 de remettre aux enquêteurs le téléphone portable avec lequel l'enregistrement avait été réalisé, pour prouver qu'il n'était pas tronqué.

Milliers de messages exhumés

Mais un expert informatique mandaté par le juge d'instruction Edouard Levrault, magistrat français alors détaché à Monaco, y a récupéré des milliers de messages pourtant effacés. Et selon l'accusation, ces échanges révèlent que M. Rybolovlev a utilisé son entregent à Monaco pour tenter de piéger M. Bouvier.

En 2018, le milliardaire a été inculpé pour corruption active et trafic d'influence, aux côtés de Mme Bersheda et de hauts responsables monégasques comme l'ancien secrétaire d'Etat à la Justice Philippe Narmino, l'ancien ministre de l'Intérieur Paul Masseron ou encore trois anciens dirigeants de la police judiciaire et de la Sûreté publique.

Tout en réfutant les accusations sur le fond, la défense de M. Rybolovlev a contesté à tous les échelons la validité de la fouille du téléphone. Jusqu'à la CEDH.

Perquisition

Dans un arrêt du 6 juin, l'instance basée à Strasbourg a considéré que la récupération des messages privés et professionnels que l'avocate avait fait effacer était assimilable à une perquisition, que le juge Levrault n'avait pas respecté les dispositions protégeant les communications des avocats dans ce cas et qu'il avait demandé une expertise beaucoup trop large par rapport aux faits d'atteinte à la vie privée dont il était saisi.

Il revient désormais à la justice monégasque de voir si l'énorme dossier de près d'une centaine de tomes tient encore la route sans les messages exhumés du téléphone. L'instruction de cette affaire de corruption était close depuis décembre mais le parquet général, faute de bras, n'avait pas encore pu faire ses réquisitions.

Procédure «viciée»

Pour la défense de M. Rybolovlev, «toute la procédure s'en trouve viciée» et le non-lieu est inévitable, même s'il peut prendre des mois.

«Le dossier ne repose que sur les textos. Il n'y a pas de témoignage, pas d'écoutes téléphoniques, pas de valises d'argent... On ne voit pas comment il peut y avoir des poursuites sur une base à ce point illégale», assure Me Martin Reynaud à l'AFP.

Du côté de la justice monégasque, le procureur général n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP et aucun commentaire n'a fuité dans les médias.