Emmanuel Macron Emmanuel Macron : une course à l’Élysée gagnée d’avance ?

Grégoire Galley

14.3.2022

Dans un peu moins d’un mois, les Français se rendront aux urnes afin d’élire leur président. 

Emmanuel Macron semble bien parti pour effectuer un second quinquennat.
Emmanuel Macron semble bien parti pour effectuer un second quinquennat.
KEYSTONE

Grégoire Galley

14.3.2022

Éclipsée par la guerre en Ukraine, cette campagne présidentielle peine toutefois à emballer les foules. Pourtant, le futur chef de l’État devra relever d’immenses défis dans les cinq années à venir. Professeur en Études européennes à l’Université de Fribourg, Gilbert Casasus analyse le quinquennat d’Emmanuel Macron et décrypte les principaux enjeux du prochain scrutin présidentiel. Entretien.

Quel bilan tirez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron ?

Gilbert Casasus : «Le bilan d’Emmanuel Macron est globalement positif bien qu’il ait dû affronter de graves crises pour lesquelles il a partiellement été tenu pour responsable. C’est le cas pour la crise des gilets jaunes. Emmanuel Macron a également été confronté à la pandémie de la Covid-19. Comme tous les dirigeants de la planète, il n’y était pas préparé. Mais il s’en est plus ou moins bien sorti. Concernant la guerre en Ukraine, il est au-devant de la scène et s’est imposé comme l’homme fort de l’Europe. En revanche, je serais plus critique à l’encontre de son leitmotiv du «en même temps». Les limites de cet adage sont apparues beaucoup plus rapidement qu’il ne l’aurait cru ou voulu. Le constat ne souffre d’aucune ambiguïté : le «en même temps» est plus au centre-droit qu’il ne l’est au centre-gauche. Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron n’a pas réformé le système économique et social et n’a surtout pas réussi à combattre les inégalités qui persistent bel et bien en France».

La pandémie de Covid-19 et la crise ukrainienne ont-elles renforcé ou affaibli la position d’Emmanuel Macron ?

«Vu de Suisse, deux aspects retiennent notre attention. Premièrement, la lutte contre la Covid-19 a renforcé le poids des politiques sanitaires et le rôle protecteur de l’État. En tant que président de la République, Emmanuel Macron a tenu la route, même si la France a eu du mal à prendre des mesures rapides pour contenir la flambée des cas au début de la pandémie. Dans ce sens, on se souvient des patients français accueillis dans les hôpitaux helvétiques. Deuxièmement, concernant la crise ukrainienne, Emmanuel Macron a immédiatement été à la hauteur de sa tâche, s’est imposé plus que nul autre sur la scène européenne et internationale, en conformité parfaite avec son discours de la Sorbonne de 2017 qui évoquait sa vision de l’avenir de l’Europe».

L’opposition critique Emmanuel Macron en disant qu’il cherche à effacer le débat démocratique. Ces critiquent sont-elles justifiées ?

«Les mêmes critiques avaient été formulées à l’encontre de François Mitterrand en 1988 ou à l’adresse de Jacques Chirac en 2002. Un président qui se représente a inévitablement une double casquette. Aujourd’hui, Emmanuel Macron a tout intérêt à se présenter plus en président de la République qu’en candidat à l’élection présidentielle. Deux hasards du calendrier le confortent dans sa posture. Le premier est que la France préside le Conseil européen jusqu’au 30 juin 2022. Le second, et bien que cela soit triste à dire, n’est autre que la crise ukrainienne. Dans l’opposition, trois ou quatre candidats vacillent : à l’origine plutôt pro-russes, ils essayent, tant bien que mal, de se démarquer du Kremlin. A droite, c’est le cas de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour, à gauche celui de Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure, de celui du communiste Fabien Roussel. Ces gens n’ont certes pas le même degré de sympathie pour Vladimir Poutine, mais ils adoptent chacun une position ambigüe face à la Russie. Leur tentative de rétropédalage vis-à-vis du dirigeant russe a quelque chose de désespérant».

Eviter le débat avec les autres candidats est une stratégie risquée pour le chef de l’État ?

«Non, cette stratégie de se placer au-dessus des partis n’est pas risquée pour Emmanuel Macron. Elle est conforme à l’esprit de la Ve République. Si Emmanuel Macron l’emporte le 24 avril, il fera partie des trois Présidents de la Ve République à avoir été élus et réélus au suffrage universel direct. En cas de victoire, il rejoindrait là François Mitterrand et Jacques Chirac qui furent les seuls à avoir accompli deux mandats jusqu’à leur terme. Qu’on le veuille ou non, un président réélu est un président qui aura marqué son époque. Emmanuel Macron a aussi redonné une légitimité à la Ve République alors que beaucoup d’observateurs pensaient, il y a encore peu, que celle-ci allait mourir de sa belle mort. Si Emmanuel Macron gagne, elle n’est pas condamnée à brève échéance».

Tous les sondages donnent Emmanuel Macron gagnant. Que peut-il arriver au président sortant pour qu’il ne soit pas réélu le 24 avril prochain ?

«Aujourd’hui, il n’existe aucune raison objective pour que Emmanuel Macron ne soit pas réélu. Seule une alliance contre-nature entre tous les opposants au macronisme pourrait favoriser un tel cas de figure. Mais, alors ce serait le mariage de la carpe et du lapin, une alliance entre les plus nationalistes et une gauche des plus radicales».

Pensez-vous que le vote en faveur d’Emmanuel Macron est un vote «par défaut» ?

«Le vote pour Emmanuel Macron n’est pas un vote «par défaut». C’est plutôt le vote d’une France à la fois ouverte et en mal d’équilibre. Ce vote traduit aussi un glissement à droite de la France, mais pas vers l’extrême droite. D’ailleurs, la gauche sera vraisemblablement, une fois de plus, absente du second tour de l’élection présidentielle comme ce fut le cas en 1969, 2002 et 2017. Aujourd’hui, la gauche française baigne dans le plus grand des désarrois. Anne Hidalgo et Fabien Roussel sont relégués dans les profondeurs du classement, alors que Jean-Luc Mélenchon demeure le mieux placé dans les sondages. Mais, c’est là un constat affligeant pour la gauche française, car Mélenchon n’a aucune chance de gouverner. Celle-ci doit sortir de son cul-de-sac idéologique dans lequel elle s’est elle-même fourvoyée. Finalement, ce sont l’extrême-droite et Emmanuel Macron qui profitent des difficultés d’une gauche qui est laissée à son triste sort»!

Qui voyez-vous en face de Macron au second tour ?

«Si Eric Zemmour n’avait pas connu l’épisode ukrainien et s’il n’avait pas tant louvoyé, il aurait pu gagner des points pour être présent au second tour. Mais, il est victime de sa proximité idéologique avec Vladimir Poutine. Il faut toujours se méfier des sondages, quoiqu’un remake entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen demeure le scénario le plus vraisemblable. Même si la leader du Rassemblement national se présente sous les traits d’une extrême-droite «soft», l’arrière-boutique de son parti n’a pas changé. Toutefois, l’arsenal idéologique du RN est plus faible qu’il ne le fut il y a quelques années.  Par conséquent, les ralliements de certains cadres du Rassemblement national au profit du camp d’Éric Zemmour ne sont pas à sous-estimer pour les années à venir».

Un scénario à l’américaine avec une victoire d’un candidat de l’extrême-droite n’est-il donc vraiment pas envisageable ?

«Au lendemain de la seconde guerre mondiale l’extrême-droite avait momentanément disparu, pour renaître au milieu des années 50. Puis, elle s’est peu à peu liquéfiée durant les 30 glorieuses, avant de retrouver une certaine vigueur au milieu des années 80. Aujourd’hui, elle constitue un acteur de premier plan de la politique française. À cet égard, une partie non négligeable des gilets jaunes se situe à l’extrême-droite. Celle-ci profite également de la crise de la droite traditionnelle. Cependant, il existe une barrière idéologique entre l’extrême-droite et la droite de gouvernement. Cela s’explique aussi par l’histoire, tous les présidents français, comme Emmanuel Macron, ayant constitué ou constituant un excellent rempart contre de telles mouvances».

Quels seront les grands défis du futur président de la République ?

«Son principal défi aura pour nom l’Europe. Cela signifie qu’il devra faire comprendre à ses partenaires que cette dernière peut et doit être un havre de paix et un pôle d’avenir économique, technologique, environnemental, démocratique et politique face aux États-Unis, à la Chine et contre cette puissance «fascistoïde» qu’est la Russie de Poutine. Si Emmanuel Macron est réélu, il devra, plus que jamais, rester l’homme fort de l’Europe. En 2027, il ne pourra pas se présenter pour un nouveau mandat. Par conséquent, la politique internationale et européenne sera au centre de son second quinquennat. Il devra bien évidemment relever d’autres défis internes comme la réforme institutionnelle, la revalorisation des bas salaires et des classes défavorisées ou encore faire comprendre aux Français que le nationalisme français constitue le plus grand poison pour leur pays. Ce défi sera compliqué à relever car le nationalisme se trouve sur une pente ascendante. La force des partis d’extrême-droite et certaines dérives idéologiques de l’extrême-gauche en sont la preuve. Quoiqu’il en soit, en cas de réélection, Emmanuel Macron va se heurter à d’énormes pôles de résistance concernant notamment les questions liées à la transformation culturelle de la France. C’est à ce prix qu’il entrera dans l’histoire d’ici cinq ans».