Témoignage exclusif «Les talibans n'ont pas changé en un jour» 

Valérie Passello

19.8.2021

Un jeune médecin afghan admis provisoirement en Suisse décortique la situation actuelle dans son pays et livre ses impressions avec lucidité. Pour lui, la solution ne consiste pas, pour les nations étrangères, à accueillir des Afghans exilés, mais à tenter de rétablir la paix dans ce pays qui ne l'a que trop attendue. Entretien.  

«Un pays, c'est comme une maman. Et c'est quand un enfant est près de sa mère qu'il se sent en sécurité», déclare Sayed Sayedi.
«Un pays, c'est comme une maman. Et c'est quand un enfant est près de sa mère qu'il se sent en sécurité», déclare Sayed Sayedi.
VP

Valérie Passello

19.8.2021

Menacé de mort parce qu'il n'était pas parvenu à réanimer un chef taliban victime d'une crise cardiaque, Sayed Sayedi s'est vu contraint de quitter l'Afghanistan il y a trois ans. Désormais à l'abri dans «une cage dorée», comme il dit, ce jeune Afghan de 29 ans n'aspire qu'à retourner au pays, son pays, pour prendre soin des siens, car c'est sa mission en tant que médecin. Abattu par la prise du pouvoir par les talibans, il se dit prêt à tout pour combattre le terrorisme, où qu'il se trouve. 

Quel est votre sentiment par rapport à la situation actuelle en Afghanistan?

Je me sens mal. Je vois ces attaques, les gens qui sont paniqués à l'idée de revivre l'horreur vécue il y a vingt ans, lorsque les talibans étaient au pouvoir... Les talibans ne sont pas «un gouvernement», ce sont des terroristes, des extrémistes. Ils ne montrent pas au monde le vrai visage de l'Islam.  

Mais ils promettent qu'ils ont changé, qu'ils seront plus modérés et respecteront les droits des femmes. Peut-on les croire?

Non. Cela fait une vingtaine d'années qu'ils massacrent, posent des bombes, tuent des enfants, attaquent et détruisent des universités et des mosquées, qu'ils interdisent aux filles d'aller à l'école. Il est impossible de leur faire confiance. Les talibans n'ont pas changé en un jour. 



Avez-vous de la famille sur place?

Mon père, ma mère et mes deux soeurs vivent toujours en Afghanistan. Ils ont fui leur maison au moment où le gouvernement a cédé sa place aux talibans. Mais pour aller où? Aucun pays ne les aurait laissés rentrer et les talibans sont partout. Comme ces derniers n'ont pas d'uniforme, il est difficile de les reconnaître immédiatement. Maintenant, ma famille est rentrée chez elle. J'ai aussi de la parenté plus éloignée et des tas d'amis restés au pays. Mais beaucoup sont morts. J'ai avec moi un livre où je garde de petites photos de mes amis. Je n'arrête pas d'enlever les images de ceux qui sont décédés.  

À quels changements le peuple afghan doit-il s'attendre, selon vous?

Il n'y a aucune perspective, pas de business et tous ceux qui travaillaient pour le gouvernement ont perdu leur emploi. Nous ne sommes pas un pays productif, nous dépendons principalement de l'importation. Petit à petit, la pauvreté arrive et va s'installer, sans aucune aide de la communauté internationale. 

Toutefois, au niveau international, plusieurs pays ouvrent leurs portes aux réfugiés afghans...

Pour moi, ce n'est pas une solution. Un pays, c'est comme une maman. Et c'est quand un enfant est près de sa mère qu'il se sent en sécurité. Il serait préférable de l'aider de l'intérieur, de rétablir la paix en Afghanistan, plutôt que d'accueillir indéfiniment des Afghans à l'étranger. Mais ce pays n'est qu'un laboratoire où se joue le jeu politique, on oublie que des gens comme vous et moi veulent juste y vivre.  



Grâce au marché de la drogue notamment, les talibans ont les moyens de s'armer. Comment les arrêter?

Bien sûr qu'ils ont cet argent, mais sans le soutien d'autres pays, ils ne pourraient rien acheter avec! Le Pakistan, les pays arabes, la Russie, la Chine et même les Etats-Unis leur fournissent leurs armes. Ils ont aujourd'hui des équipements de dernière technologie. Mais d'où les tiennent-ils? C'est à cela qu'il faut songer. En fournissant du matériel aux talibans pour combattre les Russes, les Américains les ont aidés à se construire. 

Que pensez-vous du retrait américain?

Les Américains ont tout fait pour servir leurs propres intérêts. Ils disent qu'ils ont atteint leurs objectifs. Mais comment ont-ils pu s'en aller comme ça, laissant derrière eux un gouvernement qui a tout de suite pris la fuite devant les talibans et un pays où les droits humains ne sont pas respectés? Ça n'a rien de démocratique que de lâcher une nation dans une telle situation. 



Quel est votre souhait pour l'Afghanistan?

Simplement que les gens profitent de la vie, relax, sans crainte, comme en Europe, dans la paix et l'unité. Mon grand-père disait à mon père: «tu verras, la paix reviendra». Mon père me l'a dit aussi et peut-être que je dirai la même chose à mes enfants ou à mes petits-enfants. Mais un jour, le droit règnera sur le monde. Si j'étais mort, je n'aurais pas pu me battre pour que cela arrive. C'est pour cette raison que j'ai fui. Je veux être «un haut-parleur» pour faire entendre la voix de mon pays.