Nuit de cristal, il y a 80 ans Comment le jeune Herschel se vengea et déclencha une spirale meurtrière

Philipp Dahm

9.11.2018

Le 9 novembre 1938, la Nuit de cristal fut le théâtre du déchaînement d’une foule nazie meurtrière. Le déclencheur: un attentat perpétré à l’encontre d’un Allemand à Paris. L’auteur: un frêle juif de Hanovre malmené par la vie.

Si vous aviez été juif pendant le Troisième Reich en 1936, vous auriez trouvé l’atmosphère pesante et inquiétante. Depuis la prise de fonction d'Adolf Hitler au poste de chancelier du Reich trois auparavant, des troupes de voyous issus de la SA attaquaient constamment les commerces et citoyens juifs. Des centaines de juifs étaient au chômage, car les postes de fonctionnaires, juges ou avocats leur étaient interdits. Depuis 1935, la loi de Nuremberg était en vigueur. Ce texte interdisait à tout personne non juive de fréquenter des juifs, et qualifiait cela de «Rassenschande» (honte raciale).

L’attentat à Davos a failli déclencher la Nuit de cristal

C’était un affront terrible pour les patriotes qui se sont battus pour l’Empereur pendant la Première Guerre mondiale. Sur 550'000 juifs allemands, 100'000 combattirent au front. 12'000 de ces soldats tombèrent au champ d’honneur pour Guillaume II. 35'000 furent récompensés pour leur bravoure. En 1936, les juifs étaient toujours en vue, mais dans la base de donnée de la police secrète d’Etat, la «Judenkartei». Le NSDAP faisait tout son possible pour que la minorité soit considérée comme l’ennemi  public numéro un et rendue responsable de tout ce qui n’allait pas dans le Reich.

Entre 1932 et 1934, Wilhelm Gustloff établit 27 bases et 14 groupes locaux du NSDAP en Suisse.
Entre 1932 et 1934, Wilhelm Gustloff établit 27 bases et 14 groupes locaux du NSDAP en Suisse.
Domaine public

Herschel Grynszpan ressentait cette atmosphère. Bien que ce jeune juif de Hanovre  n'eût que 15 ans, il voulait quitter ce pays qui n’avait plus rien à lui offrir. Son départ tomba presque à l’eau au début de l’année: le ministre de l'Éducation du peuple et de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, réfléchissait à la mise en œuvre d’«actions» d’envergure contre les juifs, car un événement historique en Suisse lui avait offert le prétexte parfait.

L’étudiant juif David Frankfurter abattit un homme du nom de Wilhelm Gustloff devant un appartement à Davos. Toutefois, Goebbels n’exploita pas ce meurtre du chef de la branche suisse du NSDAP pour mettre en œuvre son programme. En effet, Berlin ne voulait pas de mauvaise presse avant les Jeux olympiques.

Bonne atmosphère lors des Jeux olympiques de 1936: une Américaine salue le Führer.
Bonne atmosphère lors des Jeux olympiques de 1936: une Américaine salue le Führer.
Domaine public

Un jeune homme de 1,54m, 45kg et 15 ans en fuite

Le jeune Herschel ne soupçonnait rien lors de la préparation de sa fuite. Il disposait d’un passeport polonais. Son père, un tailleur, avait quitté la partie russe de Pologne pour rejoindre Hanovre dix ans avant la naissance de Herschel. C’est en Allemagne que ses trois enfants virent le jour. Son benjamin ne trouvait ni formation ni emploi dans le Reich. Le frêle gamin quitta l’Allemagne en juillet 1936 et se rendit tout d’abord à Bruxelles, chez un oncle, avant qu’un autre oncle ne l’embarquât pour rejoindre Paris en septembre.

Ce frêle garçon juif de 1,54m et 45kg se rendait à la synagogue, mais fréquentait également des établissements où se rendaient des homosexuels. Le jeune garçon intelligent fit beaucoup d’efforts pour obtenir un permis de séjour en France, en vain. En 1938, Herschel, alias Herman Grünspan, se trouva face à un dilemme. Son passeport polonais était périmé et les autorités voulaient l’expulser. Toutefois, il ne pouvait rentrer à Hanovre car il n’avait pas les papiers nécessaires.

L’oncle dut cacher Herschel à partir du mois d’août. Ce dernier ne pouvait pas travailler et était recherché par la police. C’est dans ce contexte désespéré qu’il reçut une carte postale le 3 novembre de la part de sa sœur, Ester Beile «Berta» Grynszpan. Cet événement allait bouleverser sa vie. Cette missive décrivait le «grand malheur» qui avait frappé la famille, ainsi que 17'000 autres juifs en Allemagne.

L’«Action polonaise» toucha profondément Herschel

Le déclencheur: Varsovie adopta une loi, selon laquelle les Polonais à l’étranger perdaient automatiquement leur nationalité s’ils y passaient plus de cinq ans. Berlin réagit à cette mesure à la fin du mois d’octobre avec l’«Action polonaise». Tous les concernés furent touchés de la même façon que le furent les Grynszpan de Hanovre: «Le jeudi soir, la police de la sûreté nous a rendu visite, nous devions aller au commissariat et prendre nos passeports», décrivit Berta. «Tout notre quartier y était réuni. On ne nous a pas dit ce qui se passait, mais on a vite compris qu’on était finis.»

Ces gens comprirent qu’ils devaient quitter le pays aussi rapidement que possible. «J’ai insisté pour pouvoir retourner à la maison afin de prendre quelques objets. J’y suis allée avec un agent de police et j’ai pu prendre quelques vêtements essentiels. C’est tout ce que j’ai pu sauver. Nous n’avons pas le moindre sou.» Les Grynszpan arrivèrent dans la ville polonaise de Zbąszyń, qui s’appelait Bentschen jusqu’en 1920 et qui devait alors héberger des milliers d’expulsés.

Soupe itinérante, Zbąszyń, 1938.
Soupe itinérante, Zbąszyń, 1938.
Yad Vashem/Domaine public

Alors que Herschel découvrait les conditions atroces dans les camps d’internement, il prit une décision. Après une dispute avec son oncle à propos d’argent pour ses parents, il quitta sa cachette, prit une chambre individuelle et écrivit une lettre d’adieux à ses parents, Sendel et Ryfka. Le jour suivant, il fit l’acquisition d’un pistolet pour la somme de 235 francs et se rendit à la représentation étrangère allemande. Étant donné que l’ambassadeur n’était pas présent, Herschel dut rechercher une autre cible.

Cinq tirs «au nom de 12'000 juifs »

Victime de l’«Action polonaise» : distribution de repas à Zbąszyń.
Victime de l’«Action polonaise» : distribution de repas à Zbąszyń.
Synagoge Essen, Bestand Schauder

Grynszpan prétendit avoir besoin de documents importants, c’est ainsi que Ernst Eduard vom Rath le reçut. Herschel et le fonctionnaire se connaissaient: «Vous êtes un sale Allemand», cria Herschel, «et maintenant, au nom de 12'000 juifs, je vais vous donner un autre type de document.» Il dégaina son pistolet et appuya cinq fois sur la gâchette. Une balle toucha l’épaule et une deuxième l’abdomen, tandis que le diplomate quittait la pièce en appelant à l’aide, pour finir par s’écrouler.

Le tireur se laissa prendre sans résister. Deux jours plus tard, le 9 novembre 1938, sa victime succomba à ses blessures. Hitler et Goebbels prirent connaissance de la mort du diplomate alors qu’ils étaient à Munich. Ils planifièrent immédiatement de nouvelles mesures. Le soir même, Goebbels prit la parole devant des hommes du NSDAP et de la SA et fit savoir que le parti ne ferait rien, mais qu’il n’empêcherait rien non plus.

Fortunes juives pour combler le déficit

Son ministère se montra plus précis dans ses directives: «Les synagogues juives doivent brûler sur le champ et les pompiers ne doivent pas intervenir. Le Führer souhaite que la police n’intervienne pas. En cas de résistance, il faut tirer des coups de feu en l’air immédiatement.» C’est le début de la Nuit de cristal qui coûta la vie à 400 hommes et femmes. En outre, 30'000 Juifs furent déportés.

Après l’incendie du Reichstag en 1933 et l’attentat contre Gustloff à Davos, les nazis utilisèrent l’assassinat de vom Rath pour prouver l’existence d’une «conspiration mondiale juive» et ainsi légitimer leurs actions. Ce sont en particulier les riches juifs qui furent déportés lors des pogroms du mois de novembre: Berlin estimait leur fortune à 8,5 milliards de reichsmarks, auxquels s’ajoutaient 4,8 milliards en titres. Les nazis avaient besoin de cet argent afin de combler un immense déficit qui s’élevait alors à 2 milliards de reichsmarks.

1938, Goebbels et Hitler encadrant Leni Riefebnstahl, la réalisatrice du Triomphe de la volonté. En arrière-plan, il est possible de voir Bertha et Heinz Riefenstahl.
1938, Goebbels et Hitler encadrant Leni Riefebnstahl, la réalisatrice du Triomphe de la volonté. En arrière-plan, il est possible de voir Bertha et Heinz Riefenstahl.
AP

Ces pogroms, pourtant prévus depuis longtemps, furent qualifiés «d’expression spontanée de la colère du peuple». Selon la propagande, le Führer n’en savait absolument rien. Ces éclats de violence n'étaient en réalité qu’une étape supplémentaire vers l’Holocauste, analyse le journal «Die Zeit». D’ailleurs, l’organe de presse du NSDAP le concèdait sans atermoiement.

La foule déchaînée

À ce moment, l’organe de presse du NSDAP, le «Völkischer Beobachter» («L'Observateur populaire»), écrivit dans ses pages: «Les tirs qui ont résonné dans l’ambassade allemande à Paris ne marquent pas seulement le début d’une nouvelle attitude allemande vis-à-vis de la question juive, ils sont également un signal à tous les étrangers qui n’ont pas encore compris que seuls les juifs entravent l’entente naturelle de tous les peuples.»

Herschel Grynszpan, qui n’avait que 17 ans à l’époque, servit de «motif» au déclenchement de la Nuit de cristal. Il fut emprisonné à la prison juive, à proximité de Paris et y attendit son procès pendant 20 mois. Après sa victoire sur la France, le régime nazi le transféra à Berlin, dans une prison de la Gestapo, et ce, afin d’organiser un procès public. Toutefois, Hitler veilla à ce que le procès ne se déroula pas, de crainte que l’accusé ne révélât l’homosexualité de hauts dignitaires nazis.

La chanson «Kristallnaach» du groupe de Cologne BAP.

C’est pourquoi Herschel fut transféré au camp de concentration de Sachsenhausen, puis au pénitencier de Magdebourg. La dernière note à son propos date de 1942: les autorités allemandes estimaient qu’il fût assassiné avant la fin de la guerre. Sa sœur Berta périt pendant l’Holocauste. Seuls ses parents et son frère purent se sauver: ils fuirent l’Union soviétique pour débuter une nouvelle vie à Eretz, en Israël.

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