Une fake news vieille de 55 ans Quand les Etats-Unis inventent un motif de guerre

De Philipp Dahm

7.9.2019

Quiconque veut partir en guerre et recherche le soutien du peuple a besoin d’une bonne raison de le faire. Ou bien il faut savoir mentir, comme les Etats-Unis en 1964.

Nous sommes en 1964 – au Vietnam, une guerre civile fait rage depuis neuf ans et les Etats-Unis soutiennent le sud dans sa lutte contre le nord communiste. Au début de l’année, Washington a même mis en place une force spéciale secrète pour retourner la situation: le «Military Assistance Command, Vietnam», composé de membres des Navy SEALs, des Special Forces, des Marines et de la CIA.

La riposte

La task force mène des opérations secrètes au Vietnam, couvertes par l’«opération 34A», un plan top secret. Elle est également chargée de la surveillance électronique – telle était également la mission de l’USS Maddox lorsque le destroyer est entré dans le golfe du Tonkin le 2 août. Le Maddox doit déterminer les dégâts causés par une attaque des alliés sud-vietnamiens contre deux îles nord-vietnamiennes.

Le golfe du Tonkin.
Le golfe du Tonkin.
Google Earth

Washington soutient encore aujourd’hui que le Maddox se trouvait en dehors de la zone des douze milles marins, mais les historiens doutent de cette version des faits. Le 2 août à midi, trois torpilleurs nord-vietnamiens tentent d’encercler le destroyer et tirent prétendument – les torpilles manquent ensuite le Maddox, sur lequel seuls quelques impacts de balles de mitrailleuse sont retrouvés plus tard.

Le navire de guerre américain riposte, fait pleuvoir 280 obus sur son adversaire, désempare un torpilleur et demande un soutien aérien du porte-avions USS Ticonderoga. Quatre bombardiers Corsair décollent, coulent l’un des bateaux restants et endommagent gravement le second, selon les informations communiquées.

Il manque encore un motif de guerre

Pour Lyndon B. Johnson, qui a succédé à John F. Kennedy en novembre 1963, les incidents tombent à pic en cette année 1964 qui s’achève par des élections. Dès l’année précédente, le Pentagone a décidé d’intervenir au Vietnam – il ne lui manque plus qu’une raison pour légitimer la passe d’armes à la Chambre des représentants. Washington rejette également la demande du capitaine du Maddox, John Herrick, qui souhaite obtenir l’autorisation de quitter la zone. A la place, le navire est épaulé par l’USS Turner Joy.

Lyndon B. Johnson et son secrétaire à la Défense Robert McNamara ont dû être satisfaits de voir l’incident du 2 août être repris par la presse américaine – et, le 4 août, de voir les rédactions apporter au public le renfort nécessaire à un changement d’état d’esprit dans le pays. Ces dernières prétendent ce jour-là que le Maddox et le Turner Joy ont de nouveau été touchés par des torpilles venant de bateaux non identifiés – le Nord-Vietnam se cacherait probablement une nouvelle fois derrière l’attaque.

La Résolution du golfe du Tonkin n'a reçu que deux voix contre au Sénat, aucune à la Chambre des représentants. Cette résolution équivaut à une déclaration de guerre.

Quelques heures plus tard, des avions américains procèdent à des attaques de représailles contre des positions nord-vietnamiennes, avant que la résolution du golfe du Tonkin, adoptée à la Chambre des représentants par 416 voix contre 0, n’accorde au président Lyndon B. Johnson toute la liberté dont il a besoin dans la guerre du Vietnam.

Les doutes du capitaine John Herrick en personne quant à une attaque et leur propagation rapide vers Washington ne change en rien la trajectoire de la Maison-Blanche – notamment parce que le secrétaire à la Défense Robert McNamara n’en informe pas le président.

Rien de vrai

Mais le président exprime lui aussi des doutes en privé sur la version officielle des incidents du golfe de Tonkin et pense que la Navy «a tiré sur des baleines». Par la suite, en 1967, un lanceur d’alerte rapporte pour la première fois au peuple que le motif a peut-être été un mensonge. En 1971, les «Pentagon Papers» confirment cette suspicion, alors qu’en 1995 au Vietnam, Robert McNamara s’interroge sur ce qui s’est réellement passé à l’époque. La réponse: rien.

Une publicité de 1975 pour la Corsair A-7.

En 2005, des documents publiés par la NSA révèlent une fois pour toutes que l’incident du 4 août, qui a marqué un tournant dans le parcours de Washington vers la guerre du Vietnam, a été inventé de toutes pièces. Une vérité amère face aux innombrables victimes causées par le conflit entre 1955 et 1975 – les estimations vont d’1,3 à 4,2 millions de morts.

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