"Défi pour la démocratie"Masquées et aseptisées, les campagnes électorales?
Valérie Passello/ATS
15.1.2021 - 11:58
«Défi pour la démocratie», «compliqué»,«différent», «incertitudes», ce sont les termes utilisés par les politiques pour évoquer les campagnes électorales à venir dans les cantons de Fribourg pour les communales, de Neuchâtel ou du Valais pour les cantonales. Covid oblige, le marathon ne se jouera pas au serrage de mains, les candidats et les partis doivent se réinventer.
Comment mener une campagne électorale en pleine période de pandémie? La question ne s'était jamais posée jusqu'ici, mais elle s'impose aujourd'hui, à l'approche des élections dans plusieurs cantons romands.
Du côté de Neuchâtel, où les autorités cantonales seront renouvelées le 18 avril, les partis élaborent leur stratégie pour s'adapter au contexte pandémique.
C'est par exemple le cas des Verts, témoigne Roby Tschopp, candidat au Conseil d'Etat neuchâtelois: «Pour nous, l'équation se complique encore par la décision qui a été prise à l'issue des élections fédérales, qui avaient engendré un "littering" intolérable, de renoncer à la pose d'affiches "sauvages" malgré l'efficacité de ce canal de communication. Un groupe de campagne constitué autour de la présidence est à l'oeuvre depuis plusieurs semaines déjà au sein du parti», indique-t-il.
Facebook/VertsNeuchâtel
Le Parti socialiste (PS) neuchâtelois a lui aussi son comité de campagne, actif depuis l'été dernier, confie Florence Nater, candidate à la candidature pour le Conseil d'Etat: «Dans le canton, nous avons eu les élections communales en octobre dernier. Dans ce contexte, nous avons déjà expérimenté une campagne un peu différente.»
Interrogé mercredi dans la Liberté, le conseiller d'Etat fribourgeois Didier Castella, en charge des institutions, évoque le début de la campagne pour les élections communales du 7 mars: «Formellement, les rassemblements politiques peuvent avoir lieu. Mais effectivement, il ne va pas y en avoir beaucoup. Candidats et partis auront peur que cela ne crée un dégât d’image en raison de la pandémie», note le magistrat libéral-radical.
Comme il n’y a pas de manifestations, «il est difficile de mener campagne sur le terrain, relève encore Didier Castella. Nous en avons discuté avec l’Association des communes fribourgeoises et avec les préfets». Et le constat est clair à ses yeux: «C’est un défi pour la démocratie».
Travail de terrain indispensable malgré tout
En Valais, le conseiller d'Etat Frédéric Favre est candidat PLR à sa propre succession à l'Exécutif cantonal. Il insiste sur le travail accompli, qui fait partie intégrante de la campagne, selon lui: «D’une part, la situation n’empêche pas totalement les rencontres, mais elles se font en petits groupes. D’autre part, on s’appuie sur les sections communales, ou des districts du parti, mais aussi sur les réseaux non-partisans et les liens tissés avant ou durant ces quatre dernières années pour entrer en contact avec les citoyens.»
Facebook/PLRValais
Durant son mandat à la tête du Département de la sécurité, des institutions et du sport, l'élu a rencontré nombre de citoyens. Il cite par exemple la présentation du dossier de Sion 2026 ou encore le soutien apporté à la Création d’une Constituante: «Ces rencontres comptent, il ne suffit pas de se présenter à la population quelques mois avant les élections», considère l'élu.
Candidat visant le maintien d'un siège de gauche à la tête de l'Etat valaisan, le socialiste Mathias Reynard avoue une certaine frustration de ne pas pouvoir courir les marchés, les écoles ou les gares: «J'ai eu la chance de pouvoir participer à une campagne fédérale, ce qui fait que les gens me connaissent. Mais il est vrai que tout ce que nous allons mettre sur pied en nous adaptant à la pandémie est très différent des rencontres avec la population sur le terrain. Et c'est justement ça que j'apprécie le plus, en temps normal.»
La Neuchâteloise Florence Nater partage cet avis: «Même si de meilleures perspectives sont à espérer d'ici le mois de mars, tous les gestes de protection vont rester de mise longtemps encore et ils impactent la possibilité de mener une campagne de proximité, chaleureuse et conviviale.»
Forte présence... virtuelle!
À défaut de serrer des mains sur les marchés ou de débattre au bistrot du coin, les candidats doivent faire preuve de créativité et utiliser des moyens compatibles avec les mesures restrictives imposées par le contexte pandémique.
Pour tous, la campagne se déroulera essentiellement sur les réseaux sociaux, par la distribution de matériel imprimé, l'affichage dans la plupart des cas, ainsi que par les médias.
Facebook/PSValais
Le Neuchâtelois Roby Tschopp ajoute: «Les Verts prévoient d'organiser des rencontres virtuelles interactives entre la population et les personnes candidates, sous forme de sessions en direct. Dans la mesure où la situation sanitaire le permettra, une présence en chair et en os sur le terrain doit avoir lieu également.»
Mathias Reynard revient sur la stratégie du PS valaisan: «Un programme participatif a été élaboré. Les réseaux sociaux seront renforcés et sans cesse alimentés de vidéos, de cartoons, de photos ou de visuels. Nous avons aussi supprimé la distribution du matériel de campagne habituel pour offrir du gel hydro-alcoolique: quelque chose d'utile pour les gens.»
Si quelques rencontres, limitées à dix personnes, étaient prévues, elles sont compromises par les récentes décisions de la Confédération, poursuit le candidat: «Cinq personnes, c'est quand même très limité. Nous opterons sans doute pour des réunions Zoom et autres. Toute notre stratégie évolue continuellement avec les nouvelles prescriptions.»
Facebook/PS Neuchâtel
Outre la présence sur les réseaux, Florence Nater considère quant à elle: «Maintenant il s'agira aussi d'aller à la rencontre de la population autrement.» En cultivant les contacts déjà établis avec des associations engagées sur le terrain dans la société civile, en se mettant à disposition pour des services ou en fixant des présences en ligne, pour dialoguer librement avec les personnes qui le souhaitent. «C'est sans doute moins quantitatif qu'une réunion publique dans un stand ou à l'occasion d'un vernissage, mais peut-être plus qualitatif», estime-t-elle.
Engagez-vous, qu'ils disaient...
Si la pandémie et ses conséquences à court, moyen et long terme viennent ajouter des difficultés à la gestion du gouvernement, cela ne semble pourtant pas effrayer les candidats.
"Effectivement, diriger le Département de la sécurité et l’une des deux taskforces en période de pandémie est un défi supplémentaire qui demande d’être à 200% au service des Valaisans et Valaisannes. Il s’agira de continuer à assurer la sécurité sanitaire de la population, de trouver des solutions pour les entreprises touchées par la crise, d’assurer la stabilité de nos institutions. Et en même temps, les défis d’avant la pandémie seront toujours présents, nous devrons aussi nous projeter à moyen et long terme», estime Frédéric Favre.
Son adversaire Mathias Reynard est tout aussi motivé: «C'est un défi passionnant. Oui, ce sera peut-être plus dur, mais je le vois comme un engagement au service de la collectivité. Je m'engage pour conserver une sensibilité de gauche au Conseil d'Etat, à l'écoute de la population. Encore plus en temps de crise, il est toujours bon d'avoir de la diversité autour de la table.»
À Neuchâtel, Roby Tschopp relève: «La situation financière du Canton sera fortement péjorée par la crise sanitaire et les conséquences sociales de la pandémie commencent déjà à se faire sentir (...). La législature sera par conséquent remplie d'incertitudes et beaucoup moins prévisible qu'à l'ordinaire. L'enjeu pour le Conseil d'Etat consistera à réagir rapidement à l'évolution de la situation afin de prendre les meilleures décisions de sortie de crise. Les difficultés à affronter seront inédites et d'autant plus motivantes.»
Pour Florence Nater, qui travaille dans le domaine de la santé mentale, l'après-pandémie va en effet amener son lot de défis: «J'observe une péjoration de la santé psychique de nombreuses personnes, ce qui constitue aussi une priorité dans l'action politique présente et future (...) cette crise a montré comment le rôle de l'Etat, à tous les échelons de l'organisation politique, a été déterminant.» Un rôle qui, pour elle, sera tout aussi crucial par la suite. «Les crises, climatique et pandémique, constituent peut-être aussi des opportunités. Celles d'engager quelques changements plus fondamentaux dans notre société», conclut-elle.
La politique, occultée par le virus?
Reste la question des électeurs. Après plus d'une année à parler et entendre parler presque uniquement du coronavirus, la population s'intéresse-t-elle encore à la politique?
Sans conteste, affirme Mathias Reynard: «Au sens noble du terme, oui. Pas à la politique politicienne et aux querelles de partis, mais les gens s'intéressent à la manière dont on répond aux crises et cela n'a jamais été aussi concret qu'aujourd'hui.»
Pour Frédéric Favre, il est primordial que les citoyens continuent à s'intéresser à la politique, à fortiori dans le contexte actuel: «La pandémie a créé beaucoup d’incertitudes et suscite des craintes pour l’avenir chez de nombreuses personnes ; chez d’autres, il y a une certaine lassitude. Présenter notre vision et nos projets pour les prochaines années devrait susciter le débat sur des projets positifs, montrer notre confiance en l’avenir, nous permettre de débattre d’une orientation différente de notre société», affirme-t-il.
L'avis de Florence Nater sur la question est moins tranché. La socialiste a certes pu observer un certain détachement dans son entourage par rapport à la politique avant la pandémie. Mais aussi un regain d'intérêt depuis, «eu égard à l'impact des décisions qui ont dû être prises pour y faire face». Elle reste néanmoins convaincue que les personnes engagées en politique doivent tout mettre en oeuvre pour se rapprocher des citoyens.
Le Vert Roby Tschopp ne se perd pas en conjectures: «La participation aux scrutins du deuxième semestre 2020 présente une image contrastée. Les élections semblent moins mobiliser que les votations. Difficile de prédire ce qu'il en sera au printemps 2021.» L'avenir dira si le virus a boosté la participation des électeurs ou, au contraire, s'il a affaibli leur intérêt pour la politique.