Sous le coup de l’«émotion»? La plupart des hommes planifient-ils leur crime conjugal?

Julia Käser

21.1.2020

Contrairement à une croyance répandue, les violences conjugales ne sont pas commises sous le coup de l’émotion. (Image symbole)
Contrairement à une croyance répandue, les violences conjugales ne sont pas commises sous le coup de l’émotion. (Image symbole)
Keystone

Des violences domestiques qui se terminent par un meurtre – les femmes et les filles en sont encore et toujours les principales victimes. Selon une criminologue britannique, la plupart des crimes sont planifiés par leur auteur. Mais une autre criminologue met en garde: «L’étude britannique présente des défauts».

Toutes les deux semaines, une femme meurt en Suisse des suites de violences domestiques – un chiffre désormais bien connu. Les femmes sont sept fois plus souvent touchées que les hommes. Dans le monde entier, plus de 80'000 femmes et filles en sont victimes chaque année.

Mais contrairement à la croyance populaire, ces actes sont rarement commis sous le coup de l’émotion – au contraire: dans une nouvelle étude, la criminologue britannique Jane Monckton Smith conclut que la plupart des féminicides sont planifiés, comme l’a rapporté initialement «Infosperber».

Pour réaliser son étude, elle a examiné au total 372 féminicides et développé un modèle comportant huit niveaux d’escalade que traverse une relation affectée. Ce modèle vise à aider les autorités à identifier plus rapidement et plus efficacement les criminels potentiels afin de prévenir les actes de violence brutaux.

Comportement possessif et harcèlement, deux signes précurseurs

Selon Jane Monckton Smith, une grande partie des criminels potentiels devient visible très tôt, parfois même avant la relation dans certaines circonstances. Les délits en question sont l’usage de la violence et le harcèlement. Elle constate même que plus de 90% des victimes ont été harcelées avant d’être tuées.

Le schéma tracé par la criminologue est toujours le même: au fur et à mesure de la relation, le criminel potentiel développe un comportement possessif et un désir de contrôle. Le couple néglige les autres relations sociales, s’isole et le criminel potentiel essaie d’exercer un contrôle émotionnel, social et financier sur sa partenaire. La crainte de perdre ce contrôle ou d’une éventuelle séparation est en fin de compte à l’origine du meurtre qui s’ensuit.

Les menaces, le chantage, la violence et le harcèlement sont autant de moyens employés pour garder le contrôle. Si la partenaire n’y réagit pas, le revirement se produit chez le criminel potentiel. Il commence à imaginer le meurtre, planifie le crime – et finit par passer à l’acte.

«L’étude présente des défauts»

A travers son étude, Jane Monckton Smith laisse entendre que les féminicides pourraient être empêchés par les autorités – précisément parce qu’ils sont planifiés et non pas commis spontanément. Est-ce vraiment aussi simple que cela?

«Non», répond Nora Markwalder, criminologue et professeure adjointe de droit pénal à l’université de Saint-Gall. «Des violences domestiques se produisent sans cesse – la plupart des victimes sont des femmes, mais les hommes sont également touchés –, mais il est difficile de prévoir lorsqu’elles se terminent par un meurtre.»

Nora Markwalder souligne une faiblesse de l’étude, qui ne prend en compte que les cas qui se sont réellement terminés par un meurtre. «On ne sait donc pas si les violences domestiques sans meurtre suivent aussi ces niveaux d’escalade, ni où se situent les différences entre les deux types de cas.» Elle juge pourtant ce point crucial pour l’évaluation des risques.

«Nous savons que les deux tiers des relations qui donnent lieu à un meurtre sont conflictuelles. Un cinquième des auteurs sont connus de la police. Mais cela signifie aussi que la police ne sait rien des quatre cinquièmes restants.» Et c’est justement l’un des grands problèmes d’après Nora Markwalder – le chiffre noir élevé.

«Les statistiques officielles ne sont que la partie émergée de l’iceberg»

Un autre problème est lié au fait que les affaires de violences domestiques en cours sont trop souvent classées à la demande des victimes. Une modification de la loi prévue pour le 1er juillet vise à y remédier et à limiter le pouvoir décisionnel des victimes.

«Il est très difficile d’obtenir une condamnation pour un procès dont la partie lésée elle-même ne veut pas, souligne toutefois Nora Markwalder. Dans la plupart des cas, il s’agit de délits commis entre quatre yeux – si la victime refuse de témoigner, il s’ensuit un manque de preuves.»

Une chose est avant tout indispensable, précise-t-elle: la collecte de données supplémentaires sur les violences domestiques, par exemple sous forme d’interrogatoires des victimes et d’entretiens avec les coupables. Selon Nora Markwalder, les statistiques officielles ne sont pas suffisamment probantes et ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Pour saisir l’ampleur du problème, il faudrait connaître plus de détails sur les constellations reliant la victime et le coupable, poursuit-elle. En effet, une chose est certaine: «Si l’on connaissait les circonstances dans lesquelles les violences domestiques s’intensifient au point de devenir mortelles, on aurait fait quelque chose depuis longtemps.»

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