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«Bötschi questionne» Ellen Ringier: «J’ai toujours fait preuve d’une certaine retenue»
Bruno Bötschi
29.11.2018
L’éditrice et juriste Ellen Ringier s’indigne lors de cet entretien sur le fait que les épouses suisses ne sont pas perçues comme des personnalités à part entière. Elle dévoile en outre la raison pour laquelle elle n’est jamais entrée dans l’arène politique et pourquoi elle apporte son soutien au film documentaire suisse «#Female Pleasure».
Il est onze heures du matin dans le lumineux bureau d’Ellen Ringier situé dans le quartier zurichois de Seefeld. La Lucernoise de 67 ans est l’épouse d’un des hommes les plus fortunés de Suisse. Le couple Ringier figure au 141e rang des plus grosses fortunes de Suisse selon le classement établi par le magazine «Bilanz». La revue économique estime la fortune des Ringier à 950 millions de francs.
Le magazine «Annabelle» a toutefois relaté un jour dans ses colonnes que Madame Ringier a autant de points communs qu’une épouse classique de la Côte d’Or que Lady Gaga en a avec l’Orchestre philharmonique de Berlin. «La docteure en droit ne consacre pas son temps aux manucures ou à des séances chez un coach personnel mais à rendre le monde meilleur».
Les sujets de notre discussion en cette fin de matinée vont traiter d’engagement, d’argent et d’égalité des droits. Madame Ringier boit une dernière gorgée de café, aspire encore une bouffée de sa cigarette avant que nous commencions une série de questions anodines sous la forme alternative «Ou bien …. ou bien».
Madame Ringier, nous allons nous livrer aujourd’hui au jeu des questions – réponses: je vous pose un maximum de questions auxquelles vous devez répondre le plus rapidement et spontanément possible au cours de la prochaine demi-heure. Si l’une des questions ne vous convient pas, dites simplement «Je passe».
Il y a deux ou trois questions taboues auxquelles je ne répondrai pas.
Plutôt Lucerne ou Zurich?
Zurich.
Angela Merkel ou Simonetta Sommaruga?
Angela Merkel. J’apprécie sa sérénité.
Vos idées les plus révolutionnaires lorsque vous aviez 12 ans?
Sauver le monde.
Votre modèle?
Tous ceux qui œuvrent pour le bienfait du monde – Albert Schweitzer, Henri Dunant, Florence Nightingale.
Notre entretien a duré exactement 55 secondes jusqu’ici. S’agira-t-il d’une interview à un rythme trépidant? Sûrement pas.
Vous a-t-il manqué des modèles de réussite féminins au cours de votre enfance?
Non, c’était un sujet important à mes yeux. J’étais fascinée par la reine Christina de Suède qui s’est opposée au mariage voulu par son père. Elle dut par conséquent renoncer au trône. Je me suis intéressée à la politicienne israélienne Golda Meir ainsi qu’à la célèbre femme de sciences Marie Curie, seule figure féminine à avoir obtenu le prix Nobel dans deux disciplines jusqu’à présent. Les personnages féminins ont été un thème central à mes yeux, j’ai lu de nombreuses biographies. Ces ouvrages, mais également l’éducation que m’a transmise ma mère ont renforcé ma conviction de ne pas vouloir devenir plus tard une simple femme au foyer soumise à la pression collective d’un groupe que l’on nomme «société». J’ai su très tôt que j’étais libre de mes choix et c’est ce que je souhaitais ardemment.
Votre grand-père affirmait que «dans la vie il faut toujours donner une chance aux autres». Quel écho cette phrase a-t-elle eu sur vous durant votre adolescence?
Cette phrase s’est vite avérée fructueuse. J’ai rapidement ressenti, malgré le fait de n’être pas du tout croyante, que j’étais vouée à mettre mes talents et capacités au service des autres. La phrase était en outre associée à un transfert de biens: mon grand-père m’a offert une grosse somme d’argent afin que je ne sois pas dépendante des hommes. Un cadeau incroyable car j'ai donc su dès l'âge de 12 ans que je pourrai suivre ma propre voie et qu’il y aurait toujours un filet de sécurité. Dans les années 1950, il s’agissait surtout pour une femme de bien réussir son mariage. Cela n’a jamais été un problème pour moi, même si aujourd’hui je peux dire que j’ai réussi mon mariage (elle éclate de rire). L’une de mes deux sœurs n’est, à l’heure actuelle, toujours pas mariée.
La personne sociale et engagée que vous êtes devenue aujourd’hui, est-ce dû à votre grand-père?
Mes parents, tout comme mes grands-parents d’ailleurs, m’ont fortement influencée. Ma grand-mère paternelle d’éducation catholique affirmait que ce que l’on fait pour soi peut aussi être fait pour les autres.
Est-il bien exact que votre père vous a empêchée de faire des études de médecine?
Il m’a indiqué que ce serait les seules études qu’il ne financerait pas.
Pourquoi ne voulait-il pas que vous deveniez médecin?
Les notes de chimie et de physique obtenues lors de mon examen de maturité ne lui inspiraient pas suffisamment de confiance quant à la réussite de mes études.
On dit de vous que vous êtes une personne au grand cœur. C’est évidemment simple lorsque l’on dispose d’un compte en banque aussi garni que le vôtre.
Je réfute obstinément cette affirmation de cause à effet. Premièrement, je ne dispose malheureusement pas de tant d’argent, sinon je ne m’engagerais pas depuis 30 ans dans la collecte de fonds et ne serais pas aujourd’hui au bureau mais plutôt à l’extérieur au soleil. Deuxièmement, on peut aussi avoir un grand cœur sans pour autant faire de don, en consacrant par exemple son temps aux autres plutôt qu’en donnant de l’argent. Je veux dire par là en aidant directement ses voisins. Que pensez-vous si tout un chacun jetait un coup d’œil par la fenêtre et réfléchissait au fait que, chez la vieille dame d’en face, les stores sont toujours baissés, même si celle-ci est habituellement réveillée de bonne heure? Pourquoi, en constatant cela, ne nous rendrions-nous pas vite à son domicile pour demander si tout va bien? Je suis convaincue que si les voisins s’entraidaient davantage, le monde irait bien mieux dans nos contrées.
Cela signifie que la loi habituelle du silence règne chez les gens très fortunés: on possède de l’argent mais on ne l’évoque pas, ce dont ne se soucie guère Ellen Ringier. Alors voyons si c'est vraiment le cas.
L’héritage n’est-ce pas quelque chose de profondément injuste?
L’héritage n’est point juste, sans être pour autant profondément injuste. Ce qui est surtout injuste est le fait que les héritiers ne fassent rien de leur argent dans l’intérêt général de la société mais le consacrent exclusivement à leur bien-être personnel.
Vous avez aussi été surnommée «la mendiante importune». Cela vous offense-t-il?
Cela me fait mal seulement lorsque la rumeur dit que je fais tout cela uniquement à des fins personnelles. Mais à 67 ans, je savoure chaque année qui passe comme un bonus et suis au-dessus de telles choses.
Quel est le degré de générosité des Suisses fortunés?
Je ne peux pas affirmer de généralités à ce sujet. Je crois que les Suisses sans grande richesse sont très généreux. Il suffit de regarder à chaque fois les montants qu’atteignent les appels de dons de la Chaîne du Bonheur. Notre pays récolte des sommes faramineuses issues de dons. Et j’espère que tous les Suisses disposant de gros moyens financiers peuvent apporter leur modeste contribution jusque dans les pays défavorisés.
La richesse a-t-elle une obligation contraignante?
Absolument.
Quand lancerez-vous enfin une initiative en faveur d’une dimension sociale contraignante de la propriété?
Je ne crois pas avoir de chances de faire passer une telle initiative au regard du fort entêtement qui règne. J’espère pourtant, non, je dirais même que je suis convaincue, que je pourrais inciter, au cours de mon existence, de nombreuses personnes à adopter un tel mode de vie.
Vous avez déjà été sollicitée à deux reprises pour vous présenter aux élections du Conseil national, mais vous avez à chaque fois refusé …
… c’était il y a fort longtemps.
La troisième sera la bonne alors?
Je n’ai assurément aucune visée de carrière politique à l’âge de 67 ans. C’est désormais au tour des quarantenaires de s’investir.
En 2012, vous affirmiez dans une interview: « Je ne suis pas très politisée, je milite simplement contre l’injustice».
Tout à fait.
Le magazine «Annabelle» a écrit à votre sujet que vous aviez autant de points communs avec une épouse classique de la Côte d’Or que Lady Gaga en a avec l’Orchestre philharmonique de Berlin. Est-ce exact?
C’est exact.
La Suisse est-elle aussi moderne que l’on veut bien le croire?
Non.
Encore une réponse du tac au tac.
Quel est votre principal projet actuellement?
Je me consacre, et pas seulement actuellement, mais depuis 17 ans, à la fondation «Elternsein». Elle se caractérise par des besoins financiers importants, même si le nombre de lecteurs du magazine pour parents «Fritz+Fränzi» ne cesse de croître. Uniquement l’année dernière, nous avons enregistré une croissance de lectorat de 21%. Cela signifie que le besoin d'assistance des parents dans le domaine de l'éducation demeure important dans ce pays. Je dirais même que la progression continue.
Vous militez actuellement, en votre qualité de productrice du documentaire «#Female Pleasure» (qui sera à l’affiche côté francophone en mars 2019, ndlr), pour une sexualité féminine libérée. Pourquoi vous engagez-vous en faveur du film de la réalisatrice suisse Barbara Miller?
Lorsque la question du film a été abordée pour la première fois, cela m’a ouvert les yeux: toutes les religions du monde et plus particulièrement les cultures découlant de ces religions ont un dénominateur commun.
Lequel?
Les hommes sont tout puissants et détiennent le pouvoir. Le rôle des femmes se cantonne à trois choses: l’église, la cuisine et les enfants. Après m’en être rendu compte, il était évident que j’allais soutenir ce film.
Melanie Winiger, qui apporte également son soutien au film en tant que productrice, déclare que le film «#Female Pleasure» traite de «l’injustice la plus ancienne au monde», soit l’oppression sexuelle des femmes au nom de la religion et de la culture.
C’est vrai, à l’exception de la culture juive. Il existe dans le Talmud un passage indiquant qu’un homme est tenu de satisfaire sexuellement sa femme selon les déclarations que m’a faites un spécialiste en droit. Dites-le donc aux hommes chrétiens déambulant dans la rue.
Doris Wagner, l’une des protagonistes du film, a vécu au sein de la communauté ultrareligieuse «L’œuvre» et a été abusée là-bas par un prêtre. Quelle est votre opinion sur cette femme?
Doris Wagner est un excellent exemple de femme qui a réussi à traiter les événements passés, et ce également parce qu'elle est très intelligente. A la fin du film, on l’aperçoit en compagnie de son mari et de leur enfant. Doris Wagner est totalement consciente du bonheur qu’elle a la chance de vivre aujourd’hui. Je pense qu'elle se retrouve encore plus elle-même, davantage que la plupart des femmes qui se marient un jour sans se soucier le moins du monde des conséquences. Après s'être mariées et avoir eu des enfants, de nombreuses femmes ne voient que les difficultés qui en découlent et l'intrusion dans leur liberté personnelle - au lieu d'être heureuse d'être présente pour un homme et un enfant, tout comme Madame Wagner.
Cinq femmes courageuses sont les personnages centraux du film. Elles brisent les tabous du silence et de la honte que leurs communautés sociétales ou religieuses leur ont imposés. Quant à vous, à quel point êtes-vous courageuse?
Bien moins courageuse. C’est également lié au fait que je porte un nom qui doit me rendre en permanence attentive à ce que je fais afin de ne pas nuire à la réputation de celui-ci. C’est du moins la résolution que j’ai prise. C’est pourquoi j’ai toujours fait preuve d’une certaine retenue ou me suis mise en retrait au cours de ma vie. Cela répond également à votre question sur le fait que je ne me sois jamais engagée en politique.
Expliquez-nous donc cela.
Dans notre pays, l'épouse n'est pas perçue comme une personnalité à part entière. Je serais donc toujours vue comme la femme de l’éditeur. Tout ce que j’aurais entrepris aurait été attribué à mon mari ou, pire encore, à l’entreprise.
Amy Schumer déclare dans une interview: «Être une femme, c’est de la merde». Elle a fait cette déclaration par rapport au fait que les femmes sont sexualisées dans la vie publique. L’humoriste et actrice américaine a-t-elle raison?
Je comprends tout-à-fait le point de vue d’Amy Schumer. Mon cas est toutefois un peu différent. La beauté n’a jamais été un critère au cours de ma jeunesse. Mon père m’a laissée évoluer avec une coupe de cheveux très courte. Il ne m’est ainsi jamais venu à l’idée, durant mes années de gymnase, de jouer la carte de la féminité. Je suis aujourd’hui contente d’une telle décision. Je ne me suis jamais définie par rapport aux signes extérieurs de la féminité mais seulement selon ceux de l’humanité. Je suis convaincue que le rayonnement que l’on dégage nous revient en retour. J’ai toujours été considérée comme Ellen et jamais comme une personne ayant des attributs féminins particuliers et qui devrait, pour cette raison, chercher à se montrer spécialement attractive.
Le débat sur le sexisme suscité par le mouvement #MeToo dure depuis plus d’une année. Quelle est votre expérience avec les sales types?
Il y a eu beaucoup d’allusions déplaisantes, de remarques idiotes et parfois même des agressions physiques. J’ai toujours su me défendre. Lorsqu’un homme me collait trop lors d’une séance par exemple, je disais à voix haute: «Puis-je avoir un peu plus de place s’il vous plaît?» Cette phrase suffisait à le ridiculiser. Je trouve qu’il faut veiller, avant de se poser en victime, à tout mettre en œuvre afin qu’une telle situation ne se produise pas.
Un mouvement tel que celui de «#MeToo» est-il vraiment légitime?
Oui, il l’est. Et des films tels que «#Female Pleasure» sont indispensables, car il est grand temps de pouvoir débattre publiquement sur ces sujets-là. Et je ne suis malgré tout pas certaine que la situation connaîtra un dénouement heureux – surtout pour les hommes. Je vous donne un exemple: j’ai suivi l’intégralité de l’audition, d’une durée de 30 heures, de Brett Kavanaugh avant sa nomination comme juge auprès de la Cour suprême des Etats-Unis. Mes conclusions sont les suivantes: cet homme est une catastrophe dans sa fonction de juge et n’aurait jamais dû être élu. En revanche, j’ai trouvé totalement déplacé d’introduire dans la discussion des allégations d’abus datant de 36 ans et ne pouvant être corroborées par personne, d’autant plus qu’il a sans aucun doute encouragé, toute sa vie durant, les femmes à embrasser une carrière de juge. Il m’a semblé que cette discussion était d’ordre purement politique et par conséquent abusive. Cela a néanmoins démontré le comportement persistant d’un candidat acculé.
Plus précisément: les hommes suisses ont-ils adopté une autre attitude à votre égard?
Une femme devient invisible dès qu’elle atteint la soixantaine.
Pourquoi les femmes qui veulent accéder au pouvoir sont attaquées si durement sur leur apparence?
C’est lié à une certaine incertitude des hommes. C’est pour ainsi dire le dernier recours qu’il leur reste. Les hommes ont senti depuis longtemps que les femmes d’aujourd’hui sont avantagées par leur capacité à penser de manière globale. De nos jours, on compte moins sur la force physique mais bien plus sur l’empathie. Auparavant, les personnes réagissant de manière émotive se voyaient immédiatement considérées comme inaptes. Souvenez-vous de Lilian Uchtenhagen, qui, à cause de sa prétendue émotivité, a échoué dans sa campagne pour le Conseil fédéral. C’est honteux! La société actuelle, et donc les hommes aussi, savent qu’émotivité et rationalité doivent aller de pair. Et beaucoup d’hommes doivent encore se faire à cette idée.
Pourquoi l'économie suisse est-elle si dure envers les femmes ?
Les femmes sont généralement plutôt directes. Au cours de ma vie, j’ai siégé dans plus de deux douzaines de conseils de fondation au minimum. Il s’agissait toujours d’ONG ou d’associations à but non lucratif. Je n’ai jamais été sollicitée pour siéger dans un conseil d’administration d’une entreprise car tout le monde savait que je me serais montrée intraitable sur les sujets à caractère social. Et cela perturbe naturellement les flux de trésorerie ou du moins le rendement. Je suis convaincue que de nombreuses femmes agiraient de manière similaire. Les hommes sont au contraire souvent obnubilés par le succès immédiat et n’attachent que trop peu d’importance à l’aspect durable.
Les femmes sont-elles peut-être tout de même de meilleures personnes?
Pas du tout.
Un jeu typiquement masculin auquel vous êtes imbattable?
Qu’est-ce que qu’un jeu masculin?
Le jass par exemple.
Pour le jass, c’est tout le contraire, je perds à tous les coups.
La femme la plus puissante avec laquelle vous avez déjà soupé?
J’ai eu une seule fois l’occasion de côtoyer Madame Merkel lors d’un apéritif dînatoire. Sinon personne d’autre ne me vient à l’esprit actuellement.
Et l’homme le plus puissant avec qui vous avez déjà soupé?
Lors du Forum économique mondial de Davos, j’ai pu être une fois la voisine de table du politicien sud-africain Mangosuthu Gatsha Buthelezi. Il y a eu quantité d’hommes célèbres avec lesquels je me suis entretenue lors d’un souper, mais je ne citerai aucun nom.
Les plaisanteries entre personnes de sexes différents sont-elles en train de disparaître de nos jours?
Je crois qu’une certaine crainte gagne les hommes. Un homme ne peut plus aujourd’hui faire une petite plaisanterie ou poser la main sur l’épaule de son interlocutrice. Tout est devenu un peu excessif. Le comportement, le rapport entre hommes et femmes est, d’une façon ou d’une autre, mis à mal. Cet aspect stupide du politiquement correct ne laisse plus de place à la spontanéité et aux émotions dans de nombreux domaines. C’est terrible. Je trouve que les tensions entre les deux sexes, lorsqu’elles ne sont pas mal utilisées, sont quelque chose d'incroyablement beau. Il serait très dommage si l’on ne pouvait plus vivre cela.
Durant les années 1980, le rédacteur en chef Peter Übersax a fait augmenter de plus de 40% le tirage du «Blick» pour atteindre les 400'000 exemplaires grâce à son concept disant que le «sexe est bon vendeur». Qu’avez-vous pensé de cela?
Ce n’est pas mon entreprise, je ne possède aucune action et n’ai rien à dire, si bien que je ne porte pas de jugement là-dessus.
Avez-vous jubilé en 2017 lorsque la direction de Ringier a annoncé renoncer à la «star du jour», généralement présentée en tenue légère?
Non, car je n’ai aucune objection concernant la «star du jour» légèrement vêtue. J’apprécie cependant la position de mon mari vis-à-vis des femmes. Et il a réussi à pratiquement l’imposer dans toute l’entreprise, également auprès du «Blick».
Êtes-vous d’accord qu’il faut apprendre chaque année de nouvelles choses?
Dans mon cas, il s’agit plutôt d’oublier quelque chose chaque année (elle éclate de rire).
L’être humain peut-il changer?
S’il le désire, alors oui.
Trouvez-vous qu’il y a davantage d’égalité des droits entre hommes et femmes de nos jours?
Oui.
La fête des mères, est-elle nécessaire?
(Elle réfléchit un instant) Non.
Et la Journée de la femme?
Non.
Les femmes représentent 51% de l’humanité. D’un point de vue purement arithmétique, les femmes sont-elles donc coupables de n’être pas majoritaires au sein de comités importants? Etes-vous d’accord avec cette affirmation?
C’est faux.
Que faut-il faire afin qu’une véritable égalité entre hommes et femmes devienne réalité?
Cela débute par une compréhension fondamentale de la notion de respect envers les femmes. Jusqu’ici, la société a toujours cédé le pas aux hommes. Les hommes ont donc toujours défini les normes, se sont développés et n’ont pas tenu compte des autres groupes de la société.
Vous voulez dire les femmes?
Pas seulement, mais aussi les enfants, les aînés, les handicapés ou toutes les personnes défavorisées sous quelque forme que ce soit. L’être humain doit apprendre en définitive à prendre du recul.
Que pensez-vous des quotas?
J’ai toujours été opposée à cela. Je constate cependant que sans quotas, rien n’évolue et que, par conséquent, on ne pourra éviter de travailler sans y avoir recours temporairement - probablement même s’ils sont prescrits par la loi.
Rita Süssmuth, ancienne ministre allemande de la Famille, déclarait dans une interview à l’hebdomadaire «Spiegel»: «Les quotas sont particulièrement insuffisants. Je milite désormais pour la parité».
Je crains que sur la base des quotas ou de la parité, les femmes soient élues exclusivement en fonction de leur sexe et non pas de leurs compétences.
L’affinité entre âmes, existe-t-elle?
Je n'aime pas le terme «affinité», mais il existe une harmonie dans les valeurs. Il y a toutefois aussi une adéquation dans le comportement, dans la manière dont on interagit les uns avec les autres. Je rencontre toujours des couples qui vivent dans une certaine proximité. Ils parlent de la même manière, aiment les mêmes aliments, se montrent affectueux l’un envers l’autre. Et ce même lorsqu’ils ont des opinions politiques radicalement différentes.
Passons maintenant aux questions sensibles, par exemple celles concernant Michael Ringier, son époux.
Est-il exact que vous avez connu votre mari, l’éditeur Michael Ringier, lors du carnaval de Lucerne?
Oui.
Étiez-vous tous les deux déguisés?
Seulement moi. Notre clique portait à cette époque un quelconque costume bleu. Mon amie et moi-même ne savions pas jouer d’un instrument utilisé dans la «Guggenmusik» si bien que nous avons reçu des cymbales géantes. Au bout d’un moment, je n’arrivais plus à les porter et je n’avais qu’une idée en tête: rejoindre le premier bistrot sur ma route. Nous sommes ainsi entrées au Mövenpick situé sur la Grendel où j’ai rencontré mon mari actuel.
Avez-vous eu le coup de foudre?
Non. Suite à une grosse déception amoureuse à mes 16 ans, il m’arrivait de pleurer de temps en temps, et cela même encore une année après. C’est pourquoi je ne me suis pas particulièrement focalisée sur les hommes pendant longtemps. Je ne craignais pas de rester seule pour toujours, j’étais grande et mince, ce que l’on considère ma foi comme attractif, mais j’avais besoin de garder une certaine distance. Mais lors de notre première rencontre avec mon mari actuel, j’ai tout de suite ressenti qu’il était une personne hors du commun.
Et voilà aujourd’hui 42 ans que vous êtes l’épouse de cet homme…
… nous sommes ensemble depuis 45 ans et, c’est vrai, mariés depuis 42 ans.
Comment faire pour que son mariage soit une réussite?
Par le travail – en travaillant ensemble, en travaillant sur soi-même. Et chaque décision que l’on prend doit s’effectuer dans l’intérêt des deux partenaires.
Et comment un couple doit-il se disputer correctement?
Il faut commencer par s’écouter mutuellement.
Et est-il vrai qu’en matière d’éducation de vos deux enfants, votre mari a joué le rôle du «papa libéral et que vous avez dû interpréter celui de la méchante sorcière qui imposait les règles»?
Oui, j’ai bien repris le rôle de la sorcière.
Cela a dû plutôt vous répugner.
Et comment! Mais avant l’existence du magazine «Fritz & Fränzi», les parents se sont très souvent fiés à leur propre expérience. A la maison, chez mes parents, c’était plutôt l’inverse: ma mère était la maman-poule câline adorable et très généreuse alors que mon père était un officier qui définissait les règles et veillait au respect de celles-ci.
Comment décririez-vous votre mari en une seule phrase?
Il se montre généreux à tous les égards.
Est-ce exact que votre mari vous donne des aphorismes qu’il a écrits lui-même?
Au début c’était ainsi – plutôt que de m’offrir un misérable bouquet d’ikebana à trois tiges.
Quel cadeau avez-vous offert récemment à votre mari?
Nous ne nous faisons plus de cadeaux depuis longtemps à l’occasion de Noël et de nos anniversaires, à l’exception des 70 ans de mon conjoint, qu’il fêtera le 30 mars 2019, et à qui j’ai prévu d’offrir un très beau présent. C’est la première fois que j’y songe une année à l’avance. Mon mari est toujours si généreux, raison pour laquelle je souhaite une fois lui offrir quelque chose de grandiose.
Votre mari a dit un jour de vous: «En vérité, c'est une personne qui fait le bien, avec la ferme conviction qu’elle peut aider les autres, qu’ils le souhaitent ou non!» Est-ce vrai?
C’est malheureusement vrai. Mon mari ajouterait encore que j’ai un certain côté missionnaire.
On poserait volontiers encore quelques questions à Ellen Ringier au sujet de son mari Michael Ringier, c’est amusant, mais nous arrivons gentiment à la fin de notre entretien, et il nous reste quelques demandes d’ordre personnel, très personnel.
Où trouve-t-on une Ellen Ringier complètement détendue?
Elle n’existe pas.
Quelle a été la période la plus heureuse de votre vie jusqu’à présent?
Nos premières années de mariage, lorsque nous vivions à Hambourg, ainsi que mon enfance, qui fut tout aussi merveilleusement belle.
Et les années les plus sombres?
Les années de puberté de mes deux filles.
De quoi avez-vous peur?
D’une maladie ou d’une intervention chirurgicale qui me rendrait dépendante des autres.
Vous aurez 67 ans dans quelques semaines. Pensez-vous parfois à la mort?
Très souvent.
Êtes-vous membre d’une organisation pour le droit de mourir?
Je suis membre d’Exit depuis de nombreuses années.
Vous avez déclaré un jour ne pas vouloir «mourir riche». Cette affirmation est-elle toujours valable?
Oui. J’ai deux filles et je réfléchis depuis longtemps jusqu’à quel point je dois mettre de l’argent de côté pour qu’elles puissent encore en bénéficier. Après en avoir discuté avec elles, je suis arrivée à la conclusion suivante: c’est OK pour elles si je ne leur transmets rien car j’ai mis une grosse part de mon argent dans la fondation «Elternsein» au cours des dernières années. Cette décision est également liée au fait que nos enfants peuvent compter sur leur père qui leur laissera quelque chose. En effet, comme je l’ai mentionné auparavant, je n’ai en principe rien sur le fait de transmettre un héritage. C’est pourquoi j’approuve les déclarations du milliardaire américain disparu Howard Hughes qui a dit un jour qu’il ne léguerait pas plus de cinq millions de dollars à ses enfants. C’est bien assez d’argent pour construire quelque chose de solide, effectuer des investissements ou fonder une start-up. Mais c’est insuffisant pour se prélasser et ne rien faire le reste de son existence.
A propos d'Ellen Ellen Ringier
Ellen Ringier a grandi à Lucerne en compagnie de deux sœurs. Son père était commerçant et collectionneur d’art, et sa mère issue d’une famille de banquiers londoniens. Elle épouse l’éditeur Michael Ringier en 1976. Le couple a vécu durant sept ans en Allemagne. Ellen Ringier obtient le titre de docteur en droit à l’issue de ses examens en 1980. Depuis 1990, elle s’engage bénévolement en faveur de diverses organisations et exerce des fonctions à vocation culturelle et sociale. Elle crée en 2001 la fondation «Elternsein». Le couple est parent de deux filles adultes et réside à Küsnacht.
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