«Bötschi questionne» L’amour et la vieillesse font-ils bon ménage?

«Mieux vaut la sobriété que l’ivresse, en tout cas pour tout ce qui touche à l’amour», nous confie Klaus Heer, thérapeute de couple suisse reconnu, à propos de l’intensité des émotions, des fausses attentes et des relations sexuelles dans le cadre de relations longues.

Monsieur Heer, quel est le pire aspect d’un chagrin d’amour?

Nous voulons être aimé à tout prix, mais aimé selon notre désir. En réalité, beaucoup ont constamment l’impression de ne pas en faire assez.

Comment imaginez-vous l’amour?

Je suis trop âgé pour faire fonctionner mon imagination. Je l'ai remplacée par l'expérience. En outre, c'est ainsi que l'amour m'est apparu comme un concept exigeant des prises de décisions et un certain investissement plutôt qu'une source de bien-être permanent.

L’âge entrave-t-il la faculté d’attachement à autrui?

Difficile à dire. S’attacher à quelqu’un est aisé; en revanche, préserver le lien s’avère plus exigeant et éprouvant, et ce quel que soit l’âge.

Vous avez dit que l’expérience vous a aidé à gérer l’amour à un âge avancé. Toutefois, il semble que la jeunesse est plus propice à l’amour que la vieillesse. Pourquoi?

Je n’ai pas dit que la vieillesse a fait de moi un meilleur amant. Néanmoins, alors que mon âge progressait, il m’est lentement apparu que l’amour ne jouait pas un grand rôle si c’était le bonheur que je cherchais.

Vous semblez faire preuve de détachement.

Absolument. Il vaut mieux miser sur la sobriété que sur l’ivresse. En tout cas pour ce qui touche à l’amour. Arthur Schopenhauer, le philosophe bougon, m’a séduit avec ses propos: «Espérer qu’une relation vous apporte du bonheur, quelle folie!» aurait-il rouspété. Non, il ne s’agit pas ici d’un pessimisme sombre mais plutôt d’un réalisme confiant.

Jeune homme, qu’attendiez-vous de l’amour?

Ma jeunesse a coïncidé avec l’esprit de l’année 68. Ainsi, ma conception de l’amour était pour le moins confuse. L’amour n’était pas une fin en soi, seule l’excitation comptait! Le fait que je ne sois pas devenu père à l’époque tient plus de la chance que de l’intelligence.

Aujourd’hui, qu’attendez-vous de l’amour?

À 76 ans, après avoir donné des thérapies de couple pendant 45 ans, je pense m’être élevé au-dessus du terrain cahoteux de l’amour. Désormais, je sais que le terme «attentes» signifie en réalité «problèmes». Dès que les attentes font leur apparition, je sais qu’elle me pèseront et me suivront comme un boulet. J’en suis conscient, mais se défaire de ses espoirs est ardu. Pour tout le monde.

Quand vous êtes-vous brûlé les ailes pour la dernière fois en raison d’attentes déplacées?

Hier soir. Juste après l’émission «10vor10», j’ai soudainement eu envie de la crème brûlée rapportée par ma femme de la Migros, tout spécialement pour nous deux. Toutefois, il est apparu que cette délicatesse avait déjà fait le bonheur de mes deux petits-enfants. Mes attentes étaient déplacées et la frustration fut intense.

Parmi les patients qui se rendent à votre cabinet, qu’attendent les personnes de plus de 50 ans?

Le plus frappant, c’est la déception insondable que ressentent mes patients vis-à-vis de la forme qu’a pris leur vie commune. La question qui se pose est la suivante: partir ou rester? Aimer ou rompre? Ils veulent trouver une solution à ce dilemme et retrouver ce qui a causé les premiers émois.

Comment arrivez-vous à sortir les gens de cette situation difficile?

En réalité, je les aide tout simplement à prendre conscience de l’évidence. Au cœur des reproches mutuels figure toujours la nostalgie: le désir d’éveiller à nouveau les sentiments. Je suis simplement un interprète, pas un soignant.

Pouvez-vous être plus concret? Comment réactiver l’amour chez un vieux couple?

Chaque couple dispose de ressources personnelles qui peuvent participer au réveil de l’amour. Par exemple, si un vieux couple se plaint d’une fatigue croissante, faites en sorte que tous deux réfléchissent à la chance que cela représente: une lassitude commune peut se muer en bonheur partagé.

Je suis certain qu’avec vos décennies d’expérience, vous disposez au moins d’un ou deux exemples concrets que vous pourriez mentionner sans pour autant vous montrer indiscret.

Un couple vieillissant est tout sauf spectaculaire. D’ailleurs, le renouveau ne l’est pas non plus. Toutefois, si l’on travaille avec les bases préexistantes, l’assainissement d’une relation ne peut qu’être positif. La fatigue est souvent présente. Il s’agit d’une matière première abondante que l’on peut réellement raffiner.

Comment fonctionne cette opération de raffinage?

Il faut tout simplement se blottir l’un contre l’autre, puis savourer la tendresse et la chaleur ainsi que laisser le silence s’installer. Se tenir et sentir le toucher de l’autre, rien de plus complexe. Puis, lentement, se laisser happer par les bras de Morphée, ensemble ou l’un après l’autre. À deux, il s’agit vraiment d’une expérience formidable.

Selon vous, qu’est-ce qui est inexcusable dans le cadre d’une relation amoureuse?

Je pars du principe que nous sommes, stricto sensu, capables de tout. Souvent, nos relations les plus intimes sont le théâtre d’insensibilité, de froideur, de mépris, de dédain, de pression et de violence, à une telle fréquence que nous ne le réalisons parfois pas. Que peut-on excuser? En la matière, il n’y a pas vraiment de contraintes. Ce qui se produit fréquemment, c’est qu’une goutte d’eau fasse déborder le vase.

L'assurance maladie rembourse neuf séances chez le kinésithérapeute pour les patients souffrant du dos. Combien de consultations sont nécessaires pour sauver un amour vieillissant ou pour se rendre compte qu’il vaut mieux laisser tomber?

Parfois, une seule consultation suffit pour que la situation se débloque.

Comment se déroule une consultation avec un couple?

La première consultation vise toujours à identifier le cœur du problème. Dans un premier temps, je veux déterminer ce à quoi les protagonistes veulent s’attaquer afin de sortir de l’impasse. Si deux personnes viennent me voir chacune avec leurs notes, elles auront des solutions fondamentalement différentes. La plupart du temps, ce sont ces idées qui sont à la source des problèmes et elles ne pourront pas contribuer à la solution. Le simple fait d’accepter cela facilite naturellement la transition vers un avenir meilleur.

Quelle est la suite des événements?

Par la suite, le premier thème abordé lors d’une nouvelle consultation est le chemin parcouru par le couple depuis le dernier rendez-vous. Puis, nous nous penchons sur les conclusions à tirer afin de pouvoir poursuivre cette route. Les relations sont un chantier permanent.

Rencontrez-vous toujours les deux moitiés d’un couple simultanément ou existe-t-il des consultations individuelles?

Je ne sais vraiment pas ce que je pourrais faire avec une seule moitié du couple… Un couple est seulement en mesure de réinventer son amour à deux, je ne suis qu’un assistant.

Lorsque vous déterminez que la relation ne pourra être sauvée, l’annoncez-vous directement au couple? Ou essayez-vous de faire en sorte que vos patients parviennent eux-mêmes à cette conclusion?

«Sauver» une relation ne me passionne pas. Je préfère plutôt déployer mes compétences professionnelles afin que le présent et l’avenir de deux individus vaille la peine d’être vécu. En couple ou célibataire, ce n’est pas à moi de le décider.

Parlons désormais de sexe. Change-t-il à mesure que l’âge progresse?

Chaque couple, qu’il soit jeune ou vieux, optera pour des relations sexuelles qui lui font du bien. L’excitation à proprement parler n’est pas prioritaire. La simple intention de vouloir se faire du bien vous permettra d’atteindre l’extase au lit.

Il se peut que certains couples n’aient plus de relations sexuelles depuis longtemps. Comment peut-on surmonter ce problème?

Problème? Ceci n’est pas un problème, seulement une réalité. Il ne s’agit pas de le «surmonter». On peut vivre avec. Et même bien vivre. Il n’y a rien de plus facile que de vouloir se faire du bien à deux.

Le chanteur allemand Konstantin Wecker a dit lors d’un entretien: «Un des plus grands avantages de la vieillesse est que l’on ne pense pas constamment au lendemain et que l’on vit davantage le moment présent que pendant la jeunesse.»

Tout à fait. Toutefois, il se peut que cette réflexion soit davantage un vœu pieux qu’une réalité. En tout cas, mes peurs et mes appréhensions ne m’ont pas affaibli au fil des années. Peut-être qu’il s’agit ici de la fameuse «sagesse de l’ancien» ou tout simplement d’une sorte de théorie romantique… Qui sait?

Quel âge voulez-vous atteindre?

Je ne veux pas vieillir, car je suis déjà vieux. Depuis longtemps. Suis-je habité du désir de contempler mon inexorable dépérissement? Je ne le sais pas. Pour l’instant, tout va encore bien.

Peut-on imputer cela au fait que vous vivez dans un couple heureux?

(Rires) Pourquoi voulez-vous savoir si je vis au sein d’un «couple heureux»? Vous pensez que c’est automatique pour les vieux couples? Voici ce que je peux vous dire: pour moi aussi, l’amour vieillissant réclame beaucoup d’attention. Lui aussi peut dépérir si je me repose sur mes lauriers.

À propos de Klaus Heer

Klaus Heer, à la suite de ses études de psychologie, a complété sa formation en psychothérapie et en thérapie de couple à Hambourg et à Berne. 40 années durant, il a travaillé avec des couples et s’est bâti une réputation pour les thèmes relatifs à l’amour, le couple et la sexualité. Il a écrit des livres spécialisés tels que «Ehe, Sex & Liebesmüh’» (Le couple, le sexe et la passion) et «Paarlauf. Wie einsam ist die Zweisamkeit?»(Le couple, se sentir seul à deux). Klaus Heer vit et travaille à Berne.

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