Lifestyle «Notre société valorise l'hypersexualisation des femmes, mais stigmatise celles qui cherchent à accéder au plaisir» (Dalila Kerchouche)

Relaxnews

16.10.2020 - 19:23

Dalila Kerchouche, auteure de «Sexploratrices» aux Editions Flammarion.
Dalila Kerchouche, auteure de «Sexploratrices» aux Editions Flammarion.
Source: Relaxnews

Dans «Sexploratrices» (Editions Flammarion), Dalila Kerchouche a rencontré des femmes – de tout âge – qui se sont recentrées sur leur propre désir/plaisir sexuel, se sont libérées de nombreux carcans, et ont finalement appris à (mieux) se connaître. La journaliste et écrivaine revient sur cette révolution sexuelle, sans détour ni tabou. 

Qu'est-ce qu'une Sexploratrice ?Dans mon livre, je ne définis volontairement pas ce mot. Parce que tant d'injonctions contradictoires inhibent et corsètent la sexualité féminine qu'il m'a paru urgent et important de les questionner… et surtout pas d'en rajouter ! 'Sois sexy, mais pas trop', 'Sois désirable, mais pas désirante', 'Sois libérée, mais ne te salis pas'... Cinquante ans après la libération sexuelle des années 70, le regard social sur la sexualité féminine est impitoyable et inhibant. Mon idée est que chaque femme, en lisant mon livre, élabore sa propre définition de ce mot. J'aimerais encourager les femmes à réfléchir sur leur propre sexualité. Ma définition de ce mot est donc personnelle : pour moi, une Sexploratrice est une femme qui déconstruit la sexualité que son éducation et sa socialisation lui ont transmise. Elle questionne ces normes sexuelles actuelles, qui favorisent plutôt le plaisir masculin, pour remettre sa jouissance au centre de sa vie. Pour inventer une sexualité moins codifiée, moins conventionnelle, plus libre, et donc plus singulière. Elle invente une sexualité qui lui ressemble.

Comment définissez-vous la sexualité de la Sexploratrice ? Pour une Sexploratrice, la sexualité est un moyen d'introspection et d'expression de soi. Elle n'est donc pas dans une course effrénée à la jouissance, ni dans la quête de l'orgasme à tout prix, elle est dans une reconquête de soi. C'est une femme qui 'sexplore' et s'explore. Ni rebelle, ni soumise, elle est dans l'affirmation d'elle-même, en se reconnectant à ce que Françoise Dolto appelait 'le génie de son sexe'. Ces Sexploratrices montrent que la sexualité n'est pas figée, mais fluctuante, mouvante, vivante. Elles se sont libérées de ce que la société attend d'elles et elles ont appris à être plus proches de leurs désirs, comme de leurs non-désirs. En transformant leur sexualité, elles ont transformé leur vie. 

Quel est le point de départ de ce livre ? Mon livre est parti d'un constat sur la grande hypocrisie actuelle vis-à-vis du plaisir féminin. Notre société valorise l'hypersexualisation des femmes, mais stigmatise les femmes qui cherchent à accéder au plaisir, et porte sur elles un regard moralisateur et dénigrant. Aimer le sexe reste valorisant pour un homme, mais sale et dégradant pour une femme. Le 'Slut-shaming' ou 'stigmatisation des salopes' fait des ravages sur internet, et pousse des très jeunes filles au suicide. Ces normes restent très puissantes. Elles maintiennent les femmes dans une sexualité passive, où elles sont objets de désir, et non sujets de leur désir. Le livre s'appuie également sur la deuxième révolution sexuelle de la décennie 2010-2020, qui s'accélère depuis #MeToo. De plus en plus de femmes remettent en question les normes hétéro-patriarcales, les rapports de pouvoir et la domination masculine qui se jouent dans leur vie intime. C'est cette révolution féminine invisible que j'ai voulu mettre en lumière.

Vos Sexploratrices ont entre la trentaine et la soixantaine, ne peut-on pas l'être à 20 ans ?Si, bien sûr ! Comme on peut l'être à 70 ans ! J'explique justement qu'il n'y a pas d'âge pour faire sa révolution sexuelle. Certaines instagrameuses ou youtubeuses de 20-30 ans font un travail remarquable de déconstruction des stéréotypes sexuels sur les réseaux sociaux. Pour moi, elles sont des sexploratrices. Je pense par exemple à Camille, de @jemenbatsleclito. J'ai rencontré quelques sexploratrices de 20 ans, mais elles n'ont pas souhaité témoigner car elles étaient au tout début de leur chemin. Elles estimaient qu'elles manquaient de légitimité, ou d'expérience, pour aider d'autres femmes à mieux se connaître. Il est également question de l'élan puissant de ces femmes qui réinventent à tout âge une sexualité joyeuse, égalitaire, consciente, relationnelle, émotionnelle et spirituelle. Il est peut-être plus puissant après 45-50 ans car les femmes se libèrent des enjeux d'une sexualité à but reproductif. Ce travail d'introspection et de déconstruction commence plus souvent après la trentaine car il peut s'avérer éprouvant, et nécessite de rouvrir des blessures intimes, d'explorer les abus physiques ou psychiques que l'on a pu subir. C'est un travail de guérison et de restauration de soi.

Paradoxalement, dans les médias, comme dans la littérature, il est plus question de la sexualité des 18-35 ans que de celle des quinquagénaires et plus. Pourquoi ce paradoxe ?Nos représentations sont très biaisées par le culte du jeunisme. La sexualité des quinquagénaires est hors champ, car jugée peu 'bankable', peu télégénique. Alors que pourtant, j'en ai pris conscience dans mon enquête, la cinquantaine peut être un âge d'émancipation, de renouveau, d'affirmation de soi. La sexualité des quinquagénaires que j'ai rencontrées n'a rien de mortifère, au contraire, elle est extrêmement riche, variée, vivante et en expansion ! Les histoires que mes Sexploratrices m'ont racontées m'ont émues, fait rire, sourire, pleurer, rager… Les récits de vie de ces aventurières de l'intime sont passionnants et édifiants.

La résilience, qu'elle soit liée à un vécu ou aux diktats imposés par la société, est un point sur lequel vous revenez régulièrement dans l'ouvrage. Est-ce que la jouissance est impossible sans résilience ?Je ne dis pas que la jouissance est impossible sans résilience. On peut jouir sans être résilient. Mais il me semble important, dans son parcours sexuel, de bien connaître ses limites, de prendre conscience de ses fragilités, de savoir ce dont on a envie, ou pas. D'être au clair dans son rapport aux autres pour savoir et sentir à qui on a affaire lorsqu'on rencontre un partenaire sexuel potentiel. L'introspection me semble importante car elle aide à activer des capteurs internes – de protection, de respect de soi, de préservation de son intégrité – qui peuvent être émoussés par notre éducation ou notre socialisation. Quand on a été conditionnée depuis toute petite à 'faire plaisir', à avoir honte de son corps, à se soucier davantage de son apparence que de son ressenti, il est évident que cela impacte notre comportement sexuel. 

Beaucoup des Sexploratrices que vous avez rencontrées ont découvert la jouissance ailleurs qu'avec leur conjoint-mari. Comment expliquez-vous cela ?Après des années de vie commune, nombre de couples s'installent dans une sexualité routinière. Et les femmes s'ennuient beaucoup plus vite que les hommes. Plusieurs Sexploratrices ont découvert la jouissance avec d'autres partenaires que leur mari car les normes sexuelles conjugales restent très centrées sur le plaisir masculin. La pénétration reste l'alpha et l'oméga de tout rapport. Alors que l'on sait que 70% des femmes ne jouissent pas dans un rapport uniquement pénétratif. Quand elles 'sexplorent' ailleurs que chez elles, elles découvrent de nouveaux partenaires, qui ont parfois déconstruit eux-mêmes leur sexualité, elles expérimentent des pratiques plus variées, elles osent davantage aller vers le sexe oral, le slow sex, la sexualité sacrée, des approches souvent plus adaptées à la physiologie du plaisir féminin.

L'une de vos Sexploratrices, Florence, 62 ans, parle de la ménopause comme de la période idéale pour faire sa révolution sexuelle. Le sexe est-il plus libéré après 50 ans ?Il faut arrêter de présenter la ménopause comme la porte de l'amertume, de la maladie et de la mort. Je suis sûre que l'on n'a pas à 'subir' sa ménopause, que c'est au contraire un moment où l'on peut prendre le pouvoir sur sa féminité, sur sa sexualité, la dessiner, la transgresser et finalement l'habiter comme on le souhaite. Ce n'est pas parce qu'on a 55 ans qu'on est condamnée à avoir des relations sexuelles uniquement pour faire plaisir ou garder son mari. Pour nombre de femmes, comme Florence, la ménopause est une période de libération, d'émancipation, de renouveau, de renaissance sexuelle. Avec les changements hormonaux, certaines voient leur libido s'exacerber ! Elles ont aussi moins de charge mentale familiale, elles peuvent s'accorder plus de temps pour leur vie personnelle, affective et sexuelle. A la cinquantaine, Florence a appris à se 'prioriser', sans culpabiliser. Elle se conforme moins à ce que la société attend d'elle, autant dans sa vie familiale, professionnelle et sexuelle. Elle s'écoute davantage. Et cela rejaillit sur toutes les dimensions de sa vie.

Dans l'inconscient collectif, la ménopause est liée à l'arrêt de la sexualité. Comment expliquer cet autre paradoxe ?La ménopause ne signifie pas la fin de la sexualité, mais plutôt la fin de la reproduction. Mais contrairement à l'homme, qui est menacé par les troubles de l'érection au fil du temps, le vieillissement sexuel n'a pas de conséquences sur la jouissance féminine. Avec les changements hormonaux, parfois la libido est en berne, parfois elle est exacerbée. La ménopause sert souvent de révélateur à ce que vivent les femmes.Hélas dans les représentations culturelles, les femmes disparaissent brusquement des radars après 50 ans. Le corps change, et se réduit plus à un 'objet de désir masculin'. Notre regard est conditionné par le 'male gaze', le fait de percevoir le monde à travers le prisme masculin. Parce qu'elles sont moins désirées, les femmes ménopausées n'auraient plus de sexualité… Alors que c'est souvent le contraire. Nombre de femmes font leur révolution sexuelle à 50 ans : elles réinvestissent leur corps et voient leur désir, longtemps éteint, se réveiller, s'animer, vibrer à nouveau.

Comment aider les femmes à se recentrer sur leur propre désir et non sur celui de leur partenaire ?En développant une sphère d'auto-érotisme, par exemple. En apprenant à aimer son corps, à le caresser avec volupté, à le chérir, à en prendre soin. Si une femme est à l'aise avec son corps, et apprend à se connaître, elle pourra mieux affirmer ses désirs, exprimer à l'autre ce qu'elle aime et ce qu'elle n'aime pas, ce qu'elle a envie (ou pas) d'expérimenter, dans sa vie intime comme dans sa vie sociale. Les Sexploratrices que j'ai rencontrées ont appris à dialoguer avec leurs partenaires, à faire de leur plaisir, de leurs pratiques, de leurs désirs et de leurs fantasmes, un sujet de discussion, d'échange et de partage. Sans tabou, sans peur, sans honte. Les voies de l'épanouissement intime sont innombrables. Il existe aujourd'hui de plus en plus de conférences, d'ateliers et de stages sur le plaisir féminin. Il est possible d'expérimenter le slow sex, la sexualité énergétique, la méditation orgasmique, le tantra, le tao… Chacune peut devenir experte de son corps, libérer son bassin des tensions qui bloquent l'énergie sexuelle, dé-génitaliser la sexualité pour explorer la capacité du corps entier à éprouver du plaisir. Cette quête n'est pas seulement hédoniste, mais aussi existentielle et d'empowerment au féminin. Quel que soit l'âge, il y a une forme d'indépendance qui s'acquiert avec la jouissance, qui implique du courage, de savoir dire à l'autre ce que nous désirons sans avoir peur de ne pas se conformer aux normes.

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