Peut-être était-ce là le décor qu'il fallait à cette équipe de Suisse, au pied du Salève et de sa face droite et menaçante comme un mur, pour prendre la mesure du vertige. Le vertige de ces nuits sans lendemain, où les destins, collectifs et individuels, se mêlant dans l'urgence d'un Euro 2020 paraissant insaisissable, se forgent ou s'évaporent.
Nul besoin d'insister sur la signification de ce match contre l'Irlande à Genève (20h45), quatre jours après une défaite 1-0 au Danemark ayant épaissi les frustrations ainsi que les contours du doute et de la peur. Troisième de son groupe des éliminatoires, la Suisse a encore la chance d'avoir une totale mainmise sur son avenir. Trois succès, contre les Irlandais puis, en novembre, face à la Géorgie et à Gibraltar, et l'affaire sera pliée.
Dans la douleur, certes, mais une douleur qui serait partiellement noyée dans un flot de joie et, surtout, de soulagement. Parce que l'équipe nationale, cette équipe nationale, ce qu'elle est devenue, ne peut pas envisager de ne pas prendre part à un Euro réunissant vingt-quatre sélections, soit près de la moitié du continent.
L'heure sera aux choix, mardi au Stade de Genève. Tactiques et humains, s'agissant de Vladimir Petkovic. Quel système? Quels joueurs? Quel discours, à même de galvaniser un effectif dont il est légitime d'interroger l'esprit de révolte? Quel coaching, durant la rencontre, en particulier dans ces dernières minutes si souvent désolantes depuis quelques mois?
Ce match sera un moment de vérité pour ce Mister dont le besoin d'amour et de reconnaissance ne saurait être exaucé qu'au travers du prisme des mathématiques – le résultat et rien d'autre -, et sûrement pas à grands coups d'appels à l'union nationale. Aussi vains que, parfois, pathétiques.
Quelle image, quel soutien?
Aux joueurs également – surtout même – de choisir quelle image d'eux et de l'équipe nationale ils souhaitent renvoyer. Parce qu'en définitive, si les options et la ligne du sélectionneur sont centrales dans l'écriture d'une histoire, elles ne le seront jamais autant que les prestations des acteurs. Et c'est justement du score de mardi que dépendra la lecture de ce récit au grand cours.
On sait les internationaux, nonobstant quelques lacunes qu'il serait important de combler, capables de belles choses. Mais est-on convaincu de leur volonté commune? De leur aptitude à la souffrance pour l'intérêt général? De leur faculté à s'extirper de leurs schémas trop scolaires – et donc prévisibles – pour prendre le risque d'oser le cambouis et l'efficacité sale?
Le public devra lui aussi choisir. Il pourra siffler, conspuer et rabrouer à la première occasion (manquée). Ou alors pousser, encourager, réconforter. Pour accompagner l'équipe nationale sur la route du seul résultat qui vaille vraiment mardi: la victoire. Car un succès, accompagné de deux autres le mois suivant, on l'a dit, ouvrirait les portes de l'Euro. Un succès offrirait même à la Suisse une moitié de joker supplémentaire, puisque si l'Irlande ne bat pas le Danemark lors de son dernier match, Vladimir Petkovic et ses hommes pourraient se contenter de deux nuls en novembre.
Hic et nunc
En fait, même un point mardi face aux Irlandais (dans l'idéal un 0-0) ne serait pas rédhibitoire, pour autant que les Boys in Green ne s'imposent pas à Dublin contre les Danois. La défaite est en revanche interdite, pas par les chiffres mais par l'évidence: pour que Xhaka et Cie restent en course, il faudrait que le Danemark ne fasse plus aucun point, y compris lors de la réception de... Gibraltar le 15 novembre.
La Suisse est donc à l'heure du choix. Les internationaux suisses sont donc à l'heure du choix. Les plus anciens, promus guides depuis le départ de plus anciens qu'eux, et les plus jeunes, porteurs d'espoirs qui doivent éclore hic et nunc. Au coeur de cette campagne où la possibilité d'un bonheur est disputée par l'imminence d'un crash, le vertige. Celui de destins, collectifs et individuels, qui se décideront en 90 minutes et des poussières.