Coach de Jérémy Desplanches depuis plus de cinq ans, Fabrice Pellerin s'est longuement confié à Keystone-ATS dans son fief de Nice. Le technicien français apprécie la spontanéité du Genevois.
Avez-vous été surpris par son titre de champion d'Europe conquis l'été dernier sur 200 m 4 nages?
«Non. Mais il y a deux échelles de temps. Pendant ses deux ou trois premières années à Nice, je n'aurais pas parié gros sur un titre européen. Il était polyvalent, mais n'avait pas d'argument fort à faire valoir. En revanche, pour 2018, avec le chemin parcouru, la vitalité qui était la sienne et la concurrence qui se dessinait, une médaille était jouable. Peut-être même le titre dans une finale où tout jouerait en sa faveur. Mais ça reste surprenant.»
Une médaille est-elle envisageable dès les championnats du monde 2019 (12-28 juillet à Gwangju), ou les JO 2020 demeurent-ils l'objectif prioritaire?
«Tout s'emboîte. Quand un nageur évolue à un certain niveau, il a toujours cet objectif olympique. Mais la natation est un sport ingrat qui repose presque exclusivement sur l'entraînement. Il y a des moments courts et espacés de plaisir en compétition, et si on ne vit ce genre de moments que tous les quatre ans aux JO, ça devient lourd en termes de plaisir différé. Je les laisse garder les Jeux comme fil rouge, mais ils doivent aussi être connectés au moment présent. Les quelques meetings que Jérémy disputera jusqu'aux Mondiaux doivent ainsi lui permettre de se positionner par rapport à la concurrence. Il n'y a rien d'interdit pour Jérémy. Mais sur le papier, il ne faut pas se leurrer, la concurrence va être exceptionnelle aux Mondiaux avec cinq ou six nageurs de plus qui valent 1'54-1'55. Il faut rester bien ancré sur le réel, savoir ce qui nous attend. Mais après, tout est permis dans le cadre d'une finale mondiale ou olympique. On ne peut pas présager des progrès que Jérémy effectuera d'ici là. S'il progresse d'une seconde, tout sera possible.»
Jérémy est-il le même homme que lorsqu'il a débarqué à Nice en 2014?
«Oui. C'est important, car quand on passe autant d'heures à s'entraîner, on tombe vite dans la routine. C'est un sport cyclique, où on répète sans cesse ses gammes. Jérémy a gardé son tempérament positif. Et il est curieux, il essaie des choses à l'entraînement. Il ne s'est jamais retenu de poser des questions. Il est dans l'échange et expérimentation, il vient me chercher sans attendre mes conseils. Il a toujours été en progrès, n'a jamais stagné, et a donc pu garder son énergie intacte. Il a une forme de naïveté, de spontanéité qu'on a lorsqu'on est jeune. Il doit la garder pour éviter l'usure, la routine. C'est un vrai point fort d'être toujours jeune dans son approche.»
Dans quel(s) domaine(s) a-t-il la plus grande marge de progression?
«Il est encore un jeune nageur, tant physiologiquement que physiquement. Sur plan physique, il a encore des choses à améliorer, il peut encore évoluer. Son corps absorbe le travail musculaire de façon saine. Certains nageurs transforment vraiment leur corps, et cela peut se retourner techniquement contre eux. Ce n'est pas le cas de Jérémy: il parvient à absorber la force, et il ne reste alors qu'une force utile. C'est très positif, car il garde une structure musculaire très saine, et cela n'a pas d'impact négatif sur sa technique. Certains nageurs deviennent plus athlétiques, mais perdent en même temps de la technique. Ce n'est pas du tout son cas. On a encore de la marge sur le volume d'entraînement. Il n'y a pas eu besoin d'en faire des tonnes pour qu'il grappille des dixièmes chaque année. On en a encore sous le coude. Il a quelques belles saisons devant lui pour progresser sans stress.»
Votre groupe pratique le taekwondo une fois par semaine. Est-ce avant tout pour se changer les idées?
«Non. Pour les nageurs de haut niveau, la maîtrise technique peut être un piège. On arrive à compenser beaucoup de choses par un geste techniquement juste, et on ne se met ainsi plus dans sa zone rouge. Je voulais une activité où les nageurs partent de zéro et se retrouvent en difficulté. Ils ne peuvent pas tricher. Je voulais aussi qu'il y ait de l'adversité, qu'ils doivent regarder leur adversaire dans les yeux, qu'ils soient capables de donner un coup. Il n'y a pas de contact physique en natation, mais en chambre d'appel on retrouve ces échanges de regards. Il faut de la prestance.»