En claquant ses deux premiers podiums en géant le week-end dernier à Kranjska Gora, Michelle Gisin a écrit une page du ski alpin suisse. L'Obwaldienne, qui est devenue la deuxième Helvète à monter sur la boîte dans toutes les disciplines, s'est confiée sur les secrets de sa réussite.
Michelle Gisin, le classement général semble être tabou chez vous. Se trompe-t-on ?
"(Rires) Ça ne me stresse pas plus que cela. Que l'on me pose cette question est déjà un énorme honneur. Cela veut dire que, jusqu'à maintenant, ma saison a déjà été magnifique, faite d'incroyables moments. Mais si on peut encore parler de ce classement général avant les finales, alors ce serait super..."
Vous essayez désormais d'être encore meilleure en vitesse, vu que vous n'avez plus aucun problème en technique…
"Aucun problème est un très grand mot. Après sept ans de guerre en slalom et seulement trois top 5, c'est incroyable de me retrouver là où je suis actuellement. Je fais des tops 5 à chaque course, même en faisant une grosse faute. C'est franchement assez cool. Je profite à fond de cette période. C'est d'autant plus fort que je me suis battue durant de nombreuses années. Mais je ne dois pas me reposer sur cela, le travail continue. Vous savez les autres skieuses ne dorment pas. En vitesse, je dois être patiente pour retrouver la confiance. Les résultats en géant et en slalom peuvent m'aider dans ce sens."
Faire un podium en géant était votre grand objectif de la saison. Ce but étant désormais atteint, quelles sont vos attentes ?
"Maintenant, tout ce que je veux, c'est skier et vivre de ma passion. Je m'estime très chanceuse. Il ne faut pas oublier que de nombreuses personnes doivent faire face à de grosses difficultés en ce moment à cause de la crise sanitaire. Des gens ne peuvent pas travailler. Je profite donc de cet instant, d'avoir pu égaler Vreni Schneider en montant sur un podium dans chaque discipline. Plus personne ne pourra me l'enlever."
Ce n'est certainement pas pour autant que vous allez vous contenter de cela...
"Non, le travail continue. Skier comme je le fais actuellement en géant me procure de belles sensations. Je veux continuer à en avoir encore. Je vais essayer de skier avec mon niveau actuel le plus longtemps possible."
Un mot sur Vreni Schneider. Avez-vous été en contact avec elle suite à votre podium à Kranjska Gora ?
"Elle m'a écrit sur les réseaux sociaux, ce qui était très sympa. Il y avait également un article dans lequel elle disait qu'elle était très contente pour moi. Elle disait que c'était magnifique et incroyable. C'était trop chou car elle a gagné beaucoup plus de choses que moi. C'était vraiment un énorme honneur pour moi car elle est une reine en Suisse. Ce qu'elle a fait, c'était de la folie. Quand je repense à tout ce qu'elle a gagné, je suis encore très loin d'elle."
Avec votre changement de statut, ressentez-vous quand même un peu de stress ?
"Il y en a certainement. Je dirais plutôt qu’il n'y a pas de stress, mais beaucoup de tension. C'est cela qui rend la chose belle. Sinon, je n'aurais pas de telles émotions. Quand j'arrêterai, je n'aurai certainement plus de tension. J'en profite alors un peu."
Vous avez récemment dit avoir beaucoup d'endurance grâce à votre père. Un avantage ?
"J'aimerais préciser ce qui a été dit : 'Je suis nulle en endurance.' C’est mon père qui est fort en endurance. Peut-être m'a-t-il transmis la faculté de récupérer. Et c'est vrai que je récupère très facilement. Je pense d'ailleurs que cela a son importance. Sinon, de nombreuses autres filles feraient également toutes les autres disciplines. J'ai discuté avec une fille de l'équipe de vitesse qui m'a dit qu'après une descente elle avait toujours de la peine à récupérer et à bien dormir à cause des émotions et de l'adrénaline. Alors que de mon côté, avoir trois courses par semaine est quelque chose de naturel. Bien récupérer m’aide donc beaucoup et ça doit être génétique."
Bien récupérer est certainement quelque chose de primordial pour vous qui faites toutes les disciplines. Etait-ce un choix délibéré de vous aligner sur toutes les courses ?
"Je ne pense pas que c'est quelque chose que tu peux décider. Tu as besoin de beaucoup de chance, de circonstances qui doivent t'aider. C'est devenu un but quand j’ai réalisé qu’il ne me manquait que deux disciplines - en slalom et en géant - sans podium. J'ai d'ailleurs toujours pensé que ce serait en slalom que ce serait le plus difficile. C'est toutefois désormais en slalom que je possède le plus de podiums. Je ne sais d'ailleurs pas comment cela s'est passé. Il y a deux ans, tout le monde me demandait pourquoi je ne laissais pas tomber cette discipline. J’avais dit que c'était une question de timing, que le timing n'était pas bon. C'est difficile à dire, mais c'est devenu un but il y a deux ans quand j'ai eu les autres podiums. C'était alors un rêve qui est devenu aujourd’hui réalité. Je pensais alors que ce serait cool de faire un podium dans toutes les disciplines. Je ne pensais toutefois pas vraiment que ce serait réalisable car il n'y avait que Vreni Schneider qui l'avait fait en Suisse. Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi moi je l'ai fait. Je pense surtout que c'est un énorme travail technique."
Contrairement à la majorité des skieuses, Mikaela Shiffrin en tête, vous enchaînez donc toutes les courses. N'êtes-vous donc jamais fatiguée ?
"Quand j'étais jeune, j'étais nulle physiquement. Il faut le dire une fois. J'étais vraiment une catastrophe. J'avais de longues jambes, ce qui me permettait de faire de bons sauts, mais je n'étais globalement pas bonne. Je ne fais pas beaucoup d'exercices pour gagner de la force. Je crois que je suis assez forte naturellement, à l'inverse de l'endurance. Mes entraînements d'endurance me permettent d'améliorer ma capacité de récupération. J'ai peut-être une certaine légèreté, alors que les autres sont très concentrées sur les résultats. De mon côté, j'ai beaucoup de plaisir. Cela aide peut-être. Pour Mikaela Shiffrin, c'est clair que c'est très difficile pour elle cette année suite au décès de son père. Plus globalement, cela fait plusieurs années que je suis certainement celle qui a participé au plus de courses. J'en profite et je prends du plaisir."
Actuellement, quelle est la chose la plus dure à gérer dans votre carrière ?
"La nourriture (rires) ! Après Kranjska Gora, j'ai eu faim pendant trois jours, pour être honnête. C'est très difficile car je n'ai pas vraiment faim avant les courses à cause de la tension. Il y a ensuite la deuxième manche, ce qui fait que j'arrive à l’hôtel sans n'avoir presque rien mangé durant toute la journée. Pour le moment, c'est cela la chose la plus difficile, surtout que les horaires changent tout le temps. Pour les autres choses, j'avais vraiment appris durant les dernières années. Par exemple, comment m'habituer aux skis, comment faire pour être bien centrée sur les skis… C'est d’ailleurs toujours différent entre les skis de slalom et ceux de descente."
Comment expliquez-vous la bonne gestion de votre corps ?
"J'ai dû beaucoup apprendre là-dessus. J'ai déjà connu le surentraînement quand j'étais jeune. Ce sont des choses qu'il faut toucher car, sinon, tu ne sais pas où sont tes limites. Je pense que, désormais, avec l’expérience de toutes ces années, mais aussi celles de ma sœur et de mon frère, lesquels m'ont toujours épaulé, cela m'aide énormément."