Techno Antitrust : les Etats-Unis s'attaquent à Google

AFP

20.10.2020 - 22:34

Fini, l'indulgence américaine pour ses géants technologiques : les start-up d'il y a vingt ans valent des milliers de milliards de dollars et ont accumulé un pouvoir tel que le gouvernement américain a lancé mardi des poursuites contre Google pour abus de position dominante, préfigurant de possibles actions similaires contre ses voisins Apple, Facebook et Amazon.

«Google est la porte d'accès à internet», a déclaré le numéro deux du ministère de la Justice, Jeffrey Rosen, lors d'une conférence de presse. Mais le groupe «a maintenu son monopole grâce à des pratiques visant à exclure la compétition et à lui nuire».

Le ministère et 11 Etats ont intenté une action au civil contre Google pour poursuite illégale de monopole dans ses services généraux de recherche et dans ses services de recherche publicitaire.

La société fondée en 1998 et devenue un synonyme d'internet se voit reprocher d'avoir usé et abusé de techniques pour exclure ses concurrents, en étant souvent «juge et partie». C'est par exemple le moteur de recherche par défaut sur de nombreux appareils et navigateurs, dont le sien (Chrome), et sur Android, son système d'exploitation mobile, dominant dans le monde.

Le ministère l'accuse ainsi de forcer les consommateurs et les annonceurs à utiliser ses services sur les appareils sous Android via des applis qu'il est impossible d'effacer (comme Google Maps), ce qui restreint considérablement la concurrence.

La plainte déposée à Washington appelle à des changements «structurels», et laisse donc envisager un possible démantèlement de certains pans du leader de la recherche en ligne.

«Nous n'excluons aucune option, mais les remèdes devront être décidés par le tribunal», a indiqué Ryan Shores, haut conseiller pour l'industrie technologique au sein du ministère. Les poursuites pourraient s'étaler sur plusieurs années.

- Plainte «douteuse» -

Google a qualifié cette plainte de «douteuse». «Les gens utilisent Google par choix et non parce qu'ils y sont forcés ou ne trouvent pas d'alternatives», s'est défendu Kent Walker, un vice-président du groupe de Mountain View (Californie), dans un communiqué.

«Nous ne sommes pas en 1990, quand changer de service était long et compliqué, et nécessitait l'achat et l'installation d'un logiciel avec un CD-ROM», se moque-t-il, avant de mentionner de nombreuses applications ultra populaires comme Spotify, Amazon ou Facebook qui ne sont pas installées par défaut sur les smartphones.

Il rappelle aussi que ses services sont gratuits et profitent donc au plus grand nombre.

«Ces poursuites ne feront rien pour aider les consommateurs. Au contraire, elles mettront en avant, de façon artificielle, des moteurs de recherche de moins bonne qualité, et feront monter les prix des téléphones».

Mais Google, comme ses voisins de la Silicon Valley (Apple et Facebook) et de Seattle (Amazon et Microsoft), suscitent depuis deux ans des réactions quasi allergiques chez un nombre croissant d'élus américains.

Les conservateurs les accusent de partialité politique et les progressistes s'inquiètent des atteintes au droit de la concurrence, de leur emprise sur les données personnelles et du renforcement des inégalités liées à leur ascension.

«Aujourd'hui c'est une étape, pas la ligne d'arrivée», a insisté Jeffrey Rosen. «Nous allons continuer à passer en revue les comportements des grandes plateformes numériques»

Le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley, très critique des «Big Tech», a affirmé qu'il s'agirait «du procès pour abus de position dominante le plus important en une génération.»

- Motivations -

La date de l'annonce, à deux semaines de l'élection présidentielle américaine, suscite de nombreuses critiques.

Les poursuites ont été «précipitées à la veille d'une élection où l'administration fait pression de manière agressive sur les entreprises de la tech pour qu'elles agissent en sa faveur. Le droit de la concurrence devrait être guidé par les intérêts des consommateurs et non par des motivations politiques», a ainsi réagi Matt Schruers de la Computer & Communications Industry Association, qui regroupe les grands noms du secteur.

La plainte est «bien formulée», a noté Eric Goldman, de l'institut high-tech de l'université Santa Clara, mais semble d'abord motivée par l'animosité de l'administration Trump à l'égard de la Silicon Valley, selon lui.

Les procureurs généraux des 11 Etats associés aux poursuites (Arkansas, Floride, Géorgie, Indiana, Kentucky, Louisiane, Mississippi, Missouri, Caroline du Sud, Texas et Montana) sont tous républicains.

Mais l'annonce a aussi été saluée à gauche, et diverses enquêtes ont été lancées sur les GAFA depuis 2019, par des agences fédérales, une commission parlementaire bipartisane et les procureurs de la quasi-totalité des Etats américains.

En Europe, en 2018, Google a déjà écopé d'une amende de 4,3 milliards d'euros des autorités de la concurrence, pour pratiques déloyales dans l'écosystème Android.

«Google fait face à ces questions depuis des années en Europe, où les lois antitrust sont plus strictes et les régulateurs plus agressifs. Ces poursuites c'est comme des vacances pour eux», estime Nilay Patel, rédacteur-en-chef de The Verge.

Pour remporter une victoire devant les tribunaux, le gouvernement américain devra réussir à prouver que les pratiques monopolistiques de Google portent atteinte aux consommateurs.

En 2001, après trois ans de procédure, le ministère de la Justice avait failli réussir à démanteler le groupe informatique Microsoft.

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