Techno Des «sourdoués» formés au numérique en langue des signes, une première

AFP

24.5.2019 - 09:03

Vincent, Geoffroy et les autres ne quittent pas des yeux leur professeur. Un excès de zèle ? Non, une nécessité. Ici, étudiants et enseignant sont sourds et la formation de ces futurs webdesigners se fait en langue des signes, une première en France.

«Être sourd, c'est un plus dans le webdesign, métier artistique et technique», assure Cédric Richard, gérant de la Scop Signes & Formations qui organise ce cursus inédit au sein du Campus numérique de la région Auvergne-Rhône-Alpes à Lyon.

«Les sourds appréhendent le monde visuellement et, grâce à la structure de la langue des signes, leur pensée, leur syntaxe est visuelle, en 3D. Pas linéaire, comme celle des entendants», explique-t-il à l'AFP. «C'est un atout pour concevoir des interfaces» de sites internet.

Cette année, ils sont neuf élèves, de 18 à 34 ans, à suivre cette formation certifiante en alternance dans la première école des métiers du numérique ouverte aux sourds. A la rentrée prochaine, ils passeront au code, avec une formation de développeur web, également en langue des signes française (LSF).

Sourd lui-même, leur professeur, Michel Gonzalez, pro des outils numériques, «signe» ses explications aux élèves puis, dans un second temps, pointe les différentes étapes sur un écran.

Une pédagogie adaptée pour ces «sourdoués», leur nom de guerre plein d'humour, venus de toute la France et de Suisse pour l'un d'entre eux.

Chacun, devant son ordinateur, a son propre parcours: niveau bac +2 ou +3, CAP ou BEP dans des métiers manuels, nés dans des familles de sourds ou d'entendants (comme 95% des petits sourds). Certains ont appris la LSF très tôt, d'autres bien plus tard.

«Les seuls prérequis pour la formation --en un an et bientôt deux-- sont une grande appétence pour le numérique et une bonne maîtrise de la LSF», souligne Judith Pennetier, de Signes & Formations, chargée de rechercher les entreprises prêtes à accueillir les élèves en alternance.

Les jeunes suivent pour leur part un module «construire son insertion professionnelle».

- Lever les freins psychologiques -

Côté employeurs, «il faut lever les freins psychologiques. On peut parler de +handicap partagé+, sourit Mme Pennetier. «Mais ça marche ! Après un an de formation, ce sont des +juniors+ tout à fait employables».

Ainsi, Vincent Marchal, 24 ans, né de parents entendants, s'est vu proposer un contrat de professionnalisation de développeur web par la jeune société Wisolv où il est en alternance 15 jours par mois à Villeurbanne.

«Ca se passe bien au travail. J'ai appris quelques signes à mes collègues, on communique par écrit, on tchate. Ils ne me laissent pas seul dans mon coin», raconte à l'aide d'une interprète LSF le jeune titulaire d'un BTS, qui a fait un service civique de 8 mois... dans la gendarmerie.

«Si nous pouvons engager Vincent, nous n'hésiterons pas. Il est compétent, son rapport à l'image est fort», assure l'un des gérants de Wisolv, Xavier Haas.

Ces métiers du numérique, en forte tension, représentent une formidable opportunité pour les sourds... et les entendants. «4.000 à 6.000 postes ne sont pas pourvus dans notre seule région», déplore le directeur du Campus Christophe Menanteau, qui avait été contacté par Signes & Formations, basé à Saint-Étienne.

Le taux de chômage chez les sourds est près de quatre fois supérieur à la moyenne nationale.

«Invisible, ce handicap sensoriel est source de souffrance psychique, de sentiment d'infériorité, de décrochage scolaire», explique Cédric Richard. «Il y a aussi beaucoup d’illettrisme chez les sourds».

A peine 5% des sourds accèdent aux études supérieures. «Beaucoup abandonnent par manque d’accessibilité aux enseignements, malgré leur envie d'apprendre», déplore-t-il.

Langue inventive, subtile, la LSF, développée par l'abbé de l’Epée au XVIIIe siècle, a été longtemps interdite en France au profit de «l'oralisme», l'apprentissage de la parole.

Autorisée à partir de 1977, enseignée à partir de 1991, elle n'a été reconnue langue à part entière, par la loi, qu'en 2005. Une option LSF au bac a été créée en 2008 puis un Capes en 2010.

Le Campus Région numérique accueille 850 étudiants --entendants-- et déménagera en 2020 à Charbonnières-les-Bains, près de Lyon, avec l'ambition, en s'agrandissant, de faire de la région «la Silicone Valley européenne».

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