Techno Géants du numérique: la taxe «à la française» définitivement adoptée malgré la «menace» américaine

AFP

11.7.2019 - 20:01

Inspirée d'un projet européen avorté, une taxe «à la française» sur les géants du numérique a été adoptée jeudi au Parlement, sur fond de tensions avec les Etats-Unis qui menacent la France de représailles.

Après un ultime vote à main levée du Sénat, la France est «le premier État à introduire en Europe une taxation» des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple) et autres Meetic, Airbnb, Instagram ou encore Criteo, a affirmé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.

Décidé à faire pression, Washington avait annoncé la veille avoir lancé une enquête sur les effets de cette taxe mise en place unilatéralement par la France dans l'attente d'un accord au niveau international. En fonction des conclusions auxquelles elle aboutit, cette enquête pourrait entraîner des mesures de représailles.

Une menace qui a provoqué l'ire de Bruno Le Maire: «Entre alliés, nous pouvons et nous devons régler nos différends autrement que par la menace», a-t-il lancé devant les sénateurs, soulignant que c'était «la première fois» dans l'histoire des relations bilatérales que l'administration américaine décidait d'ouvrir une enquête sous l'article de la loi du commerce dit «Section 301».

Pour M. Le Maire, la mise en place de la taxe française doit être pour les États-Unis une incitation «à accélérer encore les travaux sur une solution internationale de taxation du numérique à l'échelle de l'OCDE».

«Nous aurons d'ici dix jours le G7 des ministres des Finances, qui se tiendra à Chantilly, le secrétaire américain au Trésor sera présent. Accélérons les travaux au niveau international, trouvons une solution commune, trouvons une solution au niveau de l'OCDE et passons par des accords plutôt que par des menaces», a insisté le ministre.

La «taxe Gafa à la française» s'inspire largement d'un projet européen qui n'a pas abouti en raison des réticences de l'Irlande, de la Suède, du Danemark et de la Finlande.

Concrètement, elle vise les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires sur leurs activités numériques de plus de 750 millions d'euros dans le monde, dont 25 millions d'euros pouvant être rattachés à des utilisateurs localisés en France.

Mais cette solution unilatérale a vocation à n'être que temporaire, dans l'attente d'un accord au niveau mondial. M. Le Maire s'y est une nouvelle fois engagé.

«C'est une décision qui est juste, qui permet de rétablir de l'équité fiscale entre les grandes entreprises du numérique et les autres entreprises», a-t-il défendu devant la presse.

Le G20 Finances réuni début juin au Japon a enregistré des progrès sur ce dossier, même si Washington privilégie toujours une approche très large ne se limitant pas au secteur du numérique.

- «Un pis-aller» -

L'idée de la taxe à la française est d'imposer les géants du numérique à hauteur de 3% du chiffre d'affaires réalisé en France notamment sur la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plates-formes.

Au Sénat, elle a été adoptée avec le soutien de l'ensemble des groupes, hormis le CRCE à majorité communiste qui s'est abstenu, la jugeant très insuffisante.

Mais les sénateurs n'ont pas manqué de réitérer leurs réserves, à l'instar du rapporteur LR Albéric de Montgolfier. «Imparfaite économiquement», «complexe dans sa mise en oeuvre», elle ne peut constituer qu'«un pis-aller» temporaire, a-t-il jugé.

Pour le rapporteur, les pressions américaines montrent que la solution internationale «est la seule possible à terme».

Les menaces de Washington ont été largement commentées. Jean-Marc Gabouty (RDSE à majorité radical) a ironisé sur le nouvel «élan impérialiste» de Donald Trump, voyant «dans cette marque d'intérêt» pour les débats du Sénat «un réel honneur», «même si la démarche n'est pas forcément inspirée par la plus grande bienveillance».

Pascal Savoldelli (CRCE) a appelé le ministre à «tenir bon», tandis que le rapporteur mettait en garde contre les conséquences économiques que pourrait avoir la décision américaine, soulignant qu'il ne faudrait pas qu'elles excèdent les bénéfices de la taxe, «dont le rendement demeure à ce jour assez incertain».

La taxe, dont l'instauration avait été annoncée par Emmanuel Macron fin 2018, en pleine crise des «gilets jaunes», devrait rapporter 400 millions d'euros en 2019, et devait contribuer à financer les 10 milliards d'euros de mesures d'urgence économiques et sociales qui avaient alors été mises sur la table.

La taxation du chiffre d'affaires des activités numérique, choisie par le gouvernement «n'est pas un bon outil» et risque de pénaliser des entreprises françaises en croissance, a estimé Jean-David Chamboredon, le coprésident de France Digitale, qui fédère start-up et fonds d'investissements français.

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