Techno Les «cyber-guerriers» à l'œuvre dans les élections indiennes

AFP

16.5.2019 - 13:03

La commission électorale d'Inde a forcé les géants d'internet à retirer des centaines de pages ou messages durant les gigantesques élections législatives, mais ceux-ci ne constituent qu'une goutte d'eau dans l'océan d'infox autour de ce scrutin, estiment les experts.

Durant les six semaines de vote du géant d'Asie du Sud, scrutin qui termine dimanche, le parti au pouvoir Bharatiya Janata Party (BJP) et la principale formation d'opposition, le parti du Congrès, ont dévolu des armées de «cyber-guerriers» à la lutte d'influence sur les réseaux sociaux.

Les deux camps s'accusent mutuellement de recourir à des comptes automatisés (bots) ou agressifs (trolls) pour bombarder les quelque 900 millions d'électeurs indiens de messages, vrais ou faux.

Tous les coups sont autorisés dans la guerre des mots et vidéos entre le Premier ministre sortant Narendra Modi et le leader de l'opposition Rahul Gandhi.

Les insultes échangées à distance entre les deux responsables politiques – Gandhi qualifiant Modi de «voleur», ce dernier le surnommant «pappu», qui signifie «idiot» en hindi – sont instantanément partagées des milliers de fois sur les réseaux sociaux ou les applications de messagerie privée.

De faux montages photos montrant un drapeau pakistanais à un meeting de Rahul Gandhi, ou Narendra Modi mangeant avec le Premier ministre pakistanais Imran Khan, font partie des infox débusquées par l'AFP durant la campagne électorale dans le géant d'Asie du Sud.

Les origines de ces images sont inconnues mais les experts estiment que la campagne se joue en grande partie sur internet et à l'intérieur des applications de smartphones dans ce pays de 1,3 milliard d'habitants, de plus en plus connecté.

Le vote indien cru 2019 a été «une élection basée sur les applications où, à côté des appels positifs à l'implication d'électeurs, WhatsApp, ShareChat, Helo, TikTok, Instagram ont été utilisés pour des campagnes de propagande et de désinformation», explique Sangeeta Mahapatra, chercheuse sur l'Asie au German Institute of Global and Area Studies d'Hambourg.

Sashi Tharoor, un cadre du parti du Congrès et ex-ministre, a dénoncé dans un récent éditorial le «danger» que représente ce phénomène pour la démocratie, craignant que «de nombreux votes soient déposés sur la foi de désinformation».

Quelque 500 millions d'Indiens ont accès à internet, un nombre en croissance rapide. 300 millions d'entre eux sont enregistrés sur Facebook et 250 millions utilisent la messagerie WhatsApp.

- Un groupe WhatsApp sur six -

Le BJP, formation la plus riche du pays, et le Congrès ont des centaines de personnes travaillant à plein temps à leur campagne sur les réseaux sociaux. Ces dernières sont appuyées par des dizaines de milliers de volontaires qui relayent les messages de leur parti sur les plateformes numériques.

Directrice de la stratégie numérique pour le Congrès, Divya Spandana affirme à l'AFP que son parti possède 300.000 groupes WhatsApp et peut faire parvenir ses messages à 20 millions de personnes chaque jour.

Selon elle, le parti cherche seulement à faire entendre sa voix et non à attaquer l'adversaire. «Nous faisons les tendances des réseaux sociaux sans artifices, contrairement au BJP qui utilise des bots», dit-elle.

Une affirmation contrée par Amit Malviya, responsable des réseaux sociaux du BJP. «Le compte Twitter de Rahul Gandhi a été pris en flagrant délit d'utiliser des bots d'Indonésie, Russie, Ouzbékistan pour gonfler sa présence sur Twitter», déclare-t-il à l'AFP.

Le BJP n'a pas donné de détails sur le nombre de ses «cyber-guerriers», ainsi que les a nommés son président Amit Shah, mais selon la presse indienne le parti a davantage d'employés et de groupes WhatsApp que le Congrès.

D'après la chercheuse Sangeeta Mahapatra, jusqu'à un groupe WhatsApp sur six en Inde est lancé par un parti politique.

Cela «montre que les partis sont complices du malaise de désinformation dont l'Inde souffre», estime-t-elle.

«Clairement, leurs messages ne vont pas être tenus par l'éthique de l'information objective. C'est un secret de Polichinelle que les branches numériques de la plupart des partis sont des relayeuses de désinformation.»

À la date de lundi, la commission électorale indienne avait fait retirer 637 messages Facebook, 145 messages Twitter, cinq vidéos Youtube et 31 messages WhatsApp transférés.

«Il y a de la bonne volonté et beaucoup de gens qualifiés qui se penchent sur ce problème, mais la technologie n'est pas assez mûre pour contrer une telle désinformation, qui implique des images, de la vidéo et du texte en langue locale», juge Kiran Garimella, chercheur au Massachusetts Institute of Technology.

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