TechnoLes réseaux sociaux, porte-voix de l'opposition vénézuélienne
AFP
30.1.2019 - 10:17
Le 23 janvier, quand Juan Guaido s'est autoproclamé président, les télévisions vénézuéliennes n'ont rien retransmis en direct. Mais des centaines de milliers d'internautes ont pu le voir sur Youtube, Facebook et Twitter, porte-voix de l'opposition.
"Aujourd'hui au Venezuela, les radios et les télévisions, si elles veulent rester à l'antenne, ne peuvent pas parler de Guaido", confirme Andrés Cañizalez, chercheur en sciences politiques de l'université catholique Andrés Bello.
Du coup, le jeune chef du Parlement, 35 ans, "est actuellement un leader 3.0, un leader dont l'unique manière de communiquer avec la société en ce moment passe par la maîtrise des réseaux sociaux".
Encore inconnu du grand public avant son coup d'éclat, il est depuis devenu la coqueluche des opposants à Nicolas Maduro, dans les rues du pays comme sur Twitter, où il a franchi mardi la barre du million d'abonnés, et Instagram, où il en compte 2,2 millions.
"Je jure d'assumer formellement les compétences de l'exécutif national comme président en exercice du Venezuela": au moment où Juan Guaido prononçait ces mots, la télévision publique VTV diffusait des images de manifestations chavistes.
Et la privée Venevision passait, elle, la telenovela "Recherche prince charmant".
- Internet perturbé -
Une telle attitude des médias vénézuéliens n'était pas une surprise pour les opposants au président Maduro.
"Cela fait des années que l'Etat censure les médias de communication, soit il en prend le contrôle soit il les force à s'auto-censurer", assure Melanio Escobar, directeur de l'ONG Redes.
Maintenant il y a même une interdiction "explicite" de parler de Juan Guaido, mais aussi "de la répression, des meurtres, des détentions arbitraires", ajoute-t-il.
"A mesure que le Venezuela s'enfonce dans une crise politique, la censure des médias de communication non gouvernementaux est de plus en plus flagrante et préoccupante", a dénoncé Reporters sans frontières dans un communiqué mardi.
Pour regarder Guaido s'autoproclamer président, ses partisans se sont rabattu sur les réseaux sociaux... avec parfois de mauvaises surprises.
L'observatoire de l'internet NetBlocks a signalé "des interruptions majeures d'internet au Venezuela, qui ont affecté Youtube, Google, les serveurs de la plateforme mobile Android et d'autres services" ce jour-là, qui était également une journée de manifestations massives de l'opposition.
"Les réseaux sociaux ont subi des interruptions notables, Facebook et Instagram étant coupés de façon intermittente", a-t-il souligné.
L'Institut Presse et Société (Ipys), association de journalistes au Venezuela, a fait le même constat, relevant "un service précaire tant sur l'internet fixe que mobile", avec un débit "moyen de 0,9 mégabit par seconde, soit une vitesse quatre fois moindre que la moyenne en Amérique latine".
RSF a également remarqué "des restrictions dans l'accès aux réseaux sociaux, qui sont utilisés massivement par les opposants à Nicolas Maduro".
- #Guaidochallenge -
"Depuis 2014, les réseaux sociaux ont été pratiquement le seul canal de communication auquel a eu accès l'opposition vénézuélienne", pour convoquer des manifestations, publier des communiqués ou diffuser des vidéos en direct, raconte Melanio Escobar.
De quoi agacer Nicolas Maduro, qui dénonçait en octobre 2017 la "dictature" des réseaux sociaux.
"J'ai presque envie de quitter Facebook", disait-il, "car je reçois chaque jour trois vidéos de Julio Borges (alors président du Parlement, contrôlé par l'opposition, ndlr) et elles m'arrivent toujours avant de manger, ça me donne la nausée".
Le dirigeant socialiste a, à plusieurs reprises, accusé les géants de l'internet de boycotter les messages de son camp, alors qu'il compte lui-même 3,5 millions d'abonnés sur Twitter et 528.000 sur Instagram.
Pourtant l'opposition "fait actuellement un usage plus intelligent des réseaux sociaux", estime Andrés Cañizalez: "Le message que donne Guaido sur les réseaux sociaux est plus frais, plus direct". Son annonce vidéo de nouvelles manifestations, dimanche soir sur Twitter, a été suivie par 665.000 internautes.
A l'inverse, Maduro se montre "toujours au combat, en train de faire des exercices militaires, comme pour donner l'idée qu'il a le contrôle", juge le chercheur.
Dimanche, le chef de l'Etat est apparu, dans une vidéo sur Twitter, au pas de course au milieu de soldats ou, casque sur la tête, sur le pont d'une embarcation militaire lors de manoeuvres de l'armée.
Evidemment, comme partout dans le monde, les réseaux sociaux servent aussi d'exutoire pour de nombreux Vénézuéliens, qui préfèrent réagir avec humour à la situation tragique de leur pays, en pleine crise politique, économique et sociale.
Ainsi, quand le gouvernement a accusé Juan Guaido de s'être entretenu secrètement avec de hauts responsables chavistes, le montrant supposément dans une vidéo, le visage caché sous un sweat à capuche, les internautes se sont empressés de dégainer le hashtag #Guaidochallenge.
Des photos de Britney Spears, Justin Bieber ou encore E.T. ont alors inondé Twitter... tous affublés d'une capuche.
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