Un "God Save the Queen" aux airs de marche funèbre et des immigrés parqués dans des camps: "Not Tonight", jeu vidéo britannique sorti mi-août, dépeint une Angleterre post-Brexit désenchantée et xénophobe, qui traduit les inquiétudes de son auteur.
"J'ai l'impression que l'on fonce tout droit vers un précipice et que personne n'essaye de freiner. Ce jeu est une réponse à ce sentiment", explique Tim Constant, 40 ans, créateur de ce jeu indépendant, développé en 18 mois par une petite équipe de trois personnes.
On y incarne un videur ayant récemment perdu sa nationalité britannique, obligé d'enchaîner les petits boulots pour répondre aux demandes de plus en plus pressantes d'un gouvernement autoritaire dont la devise se résume à "Travaillez dur, ne cherchez pas les ennuis, et nous vous laisserons peut-être rester au Royaume-Uni".
Il s'agit de vérifier les identités des personnages du jeu via quelques glissements de souris, et de les autoriser, ou non, à entrer dans un bar ou une boîte de nuit, et plus tard dans le jeu, dans le pays.
Les graphismes en pixel art, minimalistes et colorés, rappellent les jeux d'aventure des années 90, tandis que les mécaniques ne sont pas sans évoquer celles de "Papers, Please", succès surprise de la scène indépendante publié en 2013.
"Habituellement, politique et jeux vidéo ne se mélangent pas, parce que cela peut rebuter certains joueurs", souligne Tim Constant.
Mais pour Olivier Mauco, fondateur de Game in Society et professeur à Science Po Paris, au contraire, cela peut être un plus: "C'est une expérience que vous faites vivre, une Grande-Bretagne dystopique.[...] Faire, c'est très différent, et donc ça a un impact parce que vous allez comprendre les conséquences, les impacts, vous-même vous allez faire des choix, et vous allez essayer de les raisonner".
- Pas d’ambiguïté -
Le jeu s'est placé dans le top 10 des meilleures ventes de la plate-forme de téléchargement Steam le week-end de sa sortie, et a reçu un accueil plutôt élogieux, avec une moyenne de revues "très positives" selon le barème du site.
Ce qui n'a pas empêché la multiplication des critiques dans les commentaires: "Beaucoup d'entre nous, joueurs, […] sommes fatigués de voir des programmes politiques s'introduire dans notre passe-temps favori", se plaint ainsi un joueur du nom de Drakhor. "Ce jeu m'intéresse mais je ne vais pas gâcher de l'argent pour de la propagande gauchiste", assène un autre, Progeria Pete.
En affichant d'emblée sa position europhile, le jeu perd sa capacité de surprendre et à cultiver le doute sur ses intentions.
"A avancer autant à visage découvert, ça ne va pas être aussi percutant. Ca va renforcer les positions des pro et des anti-Brexit, et le risque, c'est de passer à côté d'une partie du public", estime Olivier Mauco.
Un risque qui n'effraie guère Tim Constant: "Je me doutais qu'il y aurait du rejet autour de cette question", reconnaît-il. "Le vote a eu lieu donc même si je fais changer d'avis certaines personnes, cela ne changera rien. Mais ça pourrait les faire réfléchir un peu plus à la situation".
Pour la petite équipe derrière le jeu, le Brexit a déjà eu une conséquence bien réelle: "l'auteur des graphismes est Polonais. Il vient juste de repartir en Pologne à cause de l'incertitude sur ce qu'il va se passer".
"Not tonight" est pour l'instant disponible en anglais sur PC via les plate-formes de téléchargement pour une quinzaine d'euros. Il devrait sortir sur consoles début 2019.
Image du jeu vidéo indépendant 'Not Tonight', qui dépeint une Angleterre post-Brexit désenchantée, du britannique Tim Constant, à Londres le 21 août 2018
Le créateur du jeu vidéo indépendant 'Not Tonight', le britannique Tim Constant, à Londres le 21 août 2018
"Not tonight": un Brexit cauchemardesque raconté en jeu vidéo
Image du jeu vidéo indépendant 'Not Tonight', qui dépeint une Angleterre post-Brexit désenchantée, du britannique Tim Constant, à Londres le 21 août 2018
Le créateur du jeu vidéo indépendant 'Not Tonight', le britannique Tim Constant, à Londres le 21 août 2018
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