«Si c'est gratuit, c'est vous qui êtes le produit» Vendre ses données personnelles, un marché qui émerge timidement

AFP

16.4.2019 - 09:13

Sur les rives de la rivière Han à Séoul 13 octobre 2016
Sur les rives de la rivière Han à Séoul 13 octobre 2016
Source: AFP/Archives

Toute donnée mérite salaire: c'est l'idée derrière un nouveau type d'applications qui payent les internautes pour marcher ou recevoir des emails, surfant sur la vague de défiance face à la collecte massive d'informations privées en ligne.

Les utilisateurs de WeWard, fraîchement lancé en France, pourront par exemple gagner environ 20 centimes d'euros tous les 8 kilomètres parcourus à pied.

L'application rémunère en réalité moins les pas que la possibilité de les cibler avec des offres géolocalisées. WeWard perçoit une commission quand un utilisateur se rend dans un restaurant ou chez un commerçant.

«Notre métier c'est de générer du trafic. Si on arrive à influencer les utilisateurs sur leur parcours, on va être rentables», explique Yves Benchimol, cofondateur de la société. «Sinon, on réfléchira à une monétisation différente, comme la publicité ciblée affichée sur l'application. Mais c'est moins rentable.»

«Si c'est gratuit, c'est vous qui êtes le produit»: la formule fonde les modèles économiques de géants comme Google et Facebook dont les revenus proviennent majoritairement de la publicité ciblée.

Ces plateformes vendent aux annonceurs des profils constitués à partir des données que leurs utilisateurs partagent, plus ou moins consciemment.

Chez WeWard, vous êtes toujours un peu le «produit», mais avec la promesse de partager les gains.

Corps humain

L'année dernière, avec l'adoption par l'Union européenne du Réglement européen sur la protection des données (RGPD), il est devenu plus difficile de pister les internautes et de récupérer leurs données à leur insu.

Mais le paradigme de l'échange d'informations personnelles contre des services «gratuits» n'a pas été bouleversé pour autant.

«Le marché de la donnée existe déjà. Nous, nous souhaitons que l'utilisateur soit impliqué», réclame Lucas Léger, expert de GenerationLibre, un think tank libéral.

L'idée de devenir propriétaire de ses données fait du chemin, avec, à la clef, la possibilité de les vendre – ou de les «louer».

Environ 40% des Français seraient ainsi prêts à vendre certaines informations à des entreprises, comme leur emplacement géographique ou leur historique de recherches internet, d'après une étude Harris Poll réalisée pour Symantec/Norton Lifelock (cybersécurité pour les particuliers).

Mais cette marchandisation potentielle attire aussi des critiques. Les données personnelles peuvent se comparer au corps humain ou à des libertés fondamentales, comme le droit de vote, et «elles ne peuvent pas être considérées comme des marchandises», assène Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du net, ONG française qui défend les droits des internautes.

«On ne peut pas conditionner l'accès à un service ou à un bien au fait de donner son consentement à la collecte de ses données personnelles», explique-t-il.

Pas les mêmes valeurs

Il n'empêche qu'un certain nombre de jeunes sociétés entendent explorer ce marché.

«Nous voulons construire une identité numérique, un compte dont vous pouvez vous servir dans n'importe quel contexte numérique, qui n'est pas fourni par une autorité centrale, et qui vous permet de contrôler totalement vos données», raconte Roger Haenni, cofondateur de la start-up suisse Datum.

Ses utilisateurs cryptent leurs informations et les stockent dans le réseau. Lancée en 2017, l'application, qui requiert une certaine expertise, ne compte que 60'000 personnes.

Elles bénéficient d'un modèle économique original: être payé pour recevoir des courriels publicitaires (en restant anonymes).

Le coût de l'email est évalué en fonction de la qualité du profil par rapport à la recherche de l'expéditeur, et la moitié du montant payé à Datum (entre 10 cents et 10 dollars), est reversée au destinataire.

Ogury, une société française spécialisée dans le recueil de consentements à partager ses données et dans le ciblage publicitaire, teste également ce marché de la donnée «payante».

Payer quelques euros pour accéder à des contenus sur une application mobile ou y accéder gratuitement en partageant ses données de navigation anonymisées et en recevant des publicités ciblées, c'est le choix que l'entreprise française Ogury compte offrir prochainement.

«L'utilisateur va avoir un choix très clair», détaille Jean Canzoneri, cofondateur d'Ogury. «On lui dira: +Avant, on te faisait croire que les services et les contenus étaient gratuits et on te volait ta data (tes données) dans la poche arrière... Nous, on ne te ment pas, on te dit que ce n'est pas gratuit, et tu peux payer soit avec ta data, soit avec ton argent+».

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