Interview Anny Duperey: «Le poids des pères, quand ils ont un caractère fort, est terrible»

De Caroline Libbrecht/AllTheContent

24.3.2020

Anny Duperey a incarné Catherine Beaumont, dans la série télé «Une famille formidable»
Anny Duperey a incarné Catherine Beaumont, dans la série télé «Une famille formidable»
Keystone

On connaît Anny Duperey l'actrice. On se souvient d'elle dans le rôle de Catherine Beaumont, dans la série télé «Une famille formidable». Mais c'est dans ses livres qu'Anny Duperey se livre. Elle revient sur les blessures profondes de son enfance.

Comment vivez-vous la période de confinement qui vient de débuter en France?

J’ai peur pour l’économie en général, et pour le spectacle vivant en particulier… Si seulement cela pouvait nous servir de leçon! Il faudrait qu’on gère autrement les ressources, qu’on arrête d’être si dépendants de la Chine qui est l’ouvrier du monde. J’espère qu’on tirera des leçons de cette crise sanitaire.

A travers votre livre «Les photos d’Anny» (éditions du Seuil), on vous découvre photographe. Quelle place cette passion a-t-elle occupé dans votre vie?

J’ai une exposition de 55 photos personnelles qui tourne de lieu en lieu, mais tout est suspendu pour le moment, pour cause de confinement. Prendre des photos m’a occupée pendant 20 ans, de 1974 à 1994. Un jour, je me suis mise à développer les négatifs de mon père. Cela a été le point de départ de mon livre autobiographique «Le voile noir», sur la non-mémoire et le deuil impossible. J’ai alors basculé sur l’écriture, cela a mis un terme à ma passion de la photo.

A l’âge de 8 ans, vous avez perdu vos parents, victimes d’une intoxication au monoxyde de carbone. Gardez-vous des souvenirs de votre enfance, de votre vie avec vos parents?

Aucun! Ce traumatisme a fait l’effet d’un obturateur, d’un voile noir sur les 8 premières années de ma vie. Mes livres sont très personnels, ils abordent des angles précis et différents de ma vie. Mes parents étaient photographes, mais ma mère avait arrêté de travailler pour s’occuper de ses filles. Cette vie-là ne lui allait pas du tout. Cela se voit sur les photos. Le changement de regard et de visage est incroyable. J’en parle dans mon livre «Le rêve de ma mère».

«Ce traumatisme a fait l’effet d’un obturateur, d’un voile noir sur les 8 premières années de ma vie.»

Au moment du décès de vos parents, votre petite soeur n’avait que 5 mois. Comment avez-vous vécu la suite des événements?

Cela a été une catastrophe. J’ai été recueillie par ma grand-mère et ma tante, du côté de mon père, à Rouen. Ma soeur a été élevée par nos grands-parents maternels. Pire que le chagrin, j’ai connu un déni du chagrin. En 1956, on ne connaissait pas les psychologues, surtout dans mon milieu très modeste. A l’époque, on se débrouillait avec ses émotions. Je voyais de temps en temps ma petite soeur, mais on n’était pas élevées ensemble. On se connaissait peu, et on avait une grande différence d’âge. A 17 ans, je suis partie vivre à Paris. Elle n’avait que 9 ans.

Depuis 1993, vous êtes marraine de SOS Villages d’enfants. Quel est votre message?

Il ne faut surtout pas séparer les frères et soeurs. Je connais le drame de la séparation de la fratrie, après un malheur familial ou quand les parents sont défaillants. Les enfants rêvent l’un de l’autre: le petit rêve que le grand remplacera le père et la mère, et le grand rêve que le petit sera l’ami idéal. A l’âge adulte, on essaie de rattraper le temps perdu, mais c’est impossible. Ma soeur n’a pas vaincu l’histoire, elle est décédée il y a dix ans.

Et vous, comment vous-êtes réparée?

Quand j’ai écrit «Le voile noir», ça a été un cri sous forme de livre. J’ai reçu tellement de lettres merveilleuses que je peux affirmer que les lecteurs ont changé ma vie. J’ai compris la non-mémoire, j’ai compris ma réaction aux événements. Ce n’est pas anodin de retrouver ses parents par terre, sur le carrelage de la salle de bain. Ma douleur était unique, mais les réactions des lecteurs m’ont ramenée dans le sort commun.

De 1992 à 2018, vous avez incarné Catherine Beaumont, dans la série «Une famille formidable». Joël Santoni, le créateur de la série, était lui aussi orphelin…

Ce n’est pas un hasard! On est devenus orphelins de père et de mère au même âge, on s’est créé un fantasme de famille comme on aurait aimé en avoir. Je pense que ça a été une part du succès. Cette série est née d’une nécessité, on l’a faite avec beaucoup de sincérité. Le public l’a senti!

Qu’aimeriez-vous que le public retienne de vous? Les livres, le théâtre, le cinéma…

Les livres! Les livres étaient là avant le théâtre. Souvent, après un traumatisme, on se reconstruit par le social, en aidant les autres, soit par l’artistique, ce qui a été mon cas. Ma tante m’a poussée dans ce sens! Elle s’est accomplie à travers moi.

Votre rencontre avec Bernard Giraudeau a-t-elle changé votre vie?

Oui, j’étais prête! C’était un rapport amoureux assez gémellaire, on se ressemblait. On avait le même âge à 8 jours près! Je ne voulais pas d’enfant: j’étais terrorisée par l’attachement, le risque de perdre et de souffrir. Je ne remercierais jamais assez Bernard de m’avoir fait changer d’avis. Il m’a dit un jour: «Le refus d’enfant à ce point, c’est une forme de suicide». C’était très juste! Quelques mois plus tard, j’étais enceinte.

Quel genre de mère étiez-vous?

J’ai essayé d’être la mère la plus légère possible avec mes deux enfants, Gaël et Sara. Je regardais les mères autour de moi et, généralement, je les trouvais lourdes et hyper protectrices. Je n’avais peur de rien pour mes enfants. J’avais connu assez de malheurs dans ma vie, il ne pouvait rien m’arriver. Je les observais grandir, mais de loin. J’ai voulu leur donner toutes les cartes entre les mains, ensuite c’est à eux de décider.

Comment avez-vous réagi quand ils ont décidé de devenir comédiens?

Pour mon fils, c’était moins évident: il a choisi de devenir comédien quelques jours après la mort de son père. Le poids des pères, quand ils ont un caractère fort, est terrible. Pour ma fille, je l’ai su tout de suite! Je la voyais faire des spectacles, c’était une évidence.

Aujourd’hui, à 72 ans, vous êtes célibataire et heureuse?

Nul n’est à l’abri d’une bonne surprise. Si elle arrive, on verra bien, mais je ne l’attends pas. Dans mon for intérieur, je n’y crois pas! On s’habitue terriblement à la solitude. J’ai la chance de continuer à tourner: j’ai deux séries en cours. Je suis aussi occupée par mon exposition de photos, et je peins. Je suis très créative et je ne m’ennuie pas. Aujourd’hui, j’ai pris mes marques seule.

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