Interview Brad Pitt: «On a tous quelque chose que l’on regrette»

De Marlène von Arx

24.9.2019

Un voyage au bout de notre système solaire et au fond de lui-même: Brad Pitt parle de son dernier film «Ad Astra», évoque ses éventuelles envies d’Oscar – et dévoile l’endroit où il entend finir sa vie.

Nous nous trouvons ce jeudi à l’Hotel Roosevelt de Los Angeles: de l’autre côté de la fenêtre, des touristes en short déambulent sur Hollywood Boulevard. Brad Pitt, considéré comme un prétendant aux Oscars pour son rôle d’astronaute dans le drame introspectif de science-fiction «Ad Astra», entre dans l’Academy Room et lance devant une assemblée de journalistes: «C’est ma dernière interview de cette tournée promotionnelle après deux mois et deux films!»

Le soulagement se lit sur le visage de l’acteur de 55 ans. Nous nous plongeons donc tout de suite dans une discussion autour de l’odyssée mélancolique de science-fiction dans laquelle Brad Pitt recherche son père disparu dans l’espace et en apprend beaucoup sur lui-même.

Dans «Ad Astra», vous incarnez l’astronaute Roy McBride. Avez-vous réalisé un rêve de petit garçon avec ce rôle?

Pas vraiment. Je trouvais les aventuriers passionnants, à l’image de Sir [Edmund Percival] Hillary, le premier homme à avoir gravi le mont Everest. C’était empreint de romantisme à mes yeux. Je ne me souviens pas des premiers pas [de Neil] Armstrong sur la Lune. J’ai vu des photos plus tard. Ce qui se passe loin d’ici ne me préoccupe pas. La science-fiction est un nouveau genre pour moi, mais il me plaît. Un de mes films préférés durant mon enfance était «Aliens, Le retour», que mon père m’a emmené voir beaucoup trop tôt au cinéma. Mais jusqu’à présent, je n’avais jamais trouvé de film de science-fiction auquel je pouvais contribuer ou qui abordait le genre sous un nouvel angle.

Roy McBride voyage jusqu’à la planète Neptune pour trouver des réponses sur lui-même. Quelles sources utilisez-vous lorsque vous vous posez des questions sur l’univers?

Parfois, des livres spirituels ou des podcasts. Je suis abonné à un podcast sur la philosophie. Je médite et j’essaie d’entrer en psychothérapie. Et je discute avec des amis, c’est ce qui permet de ressortir le plus de choses.

Procédez-vous aussi à un dialogue intérieur comme dans le film?

Mon dieu, trop souvent! Ce chuchotement dans notre tête qui nous hante jusque dans notre sommeil. Et quand nous nous réveillons, il continue. A mes yeux, c’est l’un de nos plus grands défis en tant qu’êtres humains – ou du moins pour moi: être avec les gens autour de nous dans l’immédiat et faire taire la voix qui se fait entendre dans notre tête.

Que dit cette voix?

Tout ce qui est possible. Cela peut être une voix critique, inquiète ou confiante vis-à-vis de nous-mêmes, ce qui est dangereux. Ce serait tellement bien si nous pouvions simplement accepter ce que la journée nous apporte. Ce n’est pas quelque chose de passif, cela nécessite une attention constante. Prenons l’exemple des embouteillages: la façon dont nous réagissons aux bouchons est un bon indicateur qui montre à quel point nous sommes en paix avec nous-mêmes.

Avez-vous déjà fait vous-même un voyage dans lequel vous vous êtes en quelque sorte retrouvé?

Oui, mais les détails restent dans ma poche.

Voici donc une question plus simple sur les voyages: où aimez-vous le plus partir?

Quand je suis parti depuis longtemps: chez moi. Il n’y a rien de mieux que de dormir dans son propre lit. Et sinon, la Nouvelle-Zélande figure toujours sur ma liste, j’aimerais parcourir l’île du Sud à moto. J’aimerais aller au Chili et dans les Dolomites, mais aussi au Japon. Je suis déjà allé dans les Highlands écossais, au Maroc et en Afrique du Sud. Ce furent de superbes voyages. Je réfléchis aussi à l’endroit où j’aimerais vivre plus tard, parce que je pense à la mort. Où est-ce que je veux finir ma vie? Les enfants ont encore huit ans d’école environ et c’est ce qui détermine l’endroit. Et après? Pour moi, ce sera dans les montagnes.

Etes-vous déjà allé dans les Alpes suisses?

Je suis allé une fois rendre visite à George Clooney sur le lac de Côme et nous sommes allés à la frontière suisse. Mais pas plus loin. Peut-être que j’aurai l’occasion d’y aller après le voyage dans les Dolomites. J’aime être dehors, dans la nature. C’est là que je peux déconnecter – ou alors dans mon atelier de peinture. Le cinéma est un sport collectif. En peignant, je suis tout seul et je peux découvrir ce qui vient de mon subconscient.

«Ad Astra» est en fin de compte un film sur une relation père-fils difficile. Vous avez grandi dans une famille religieuse du Missouri. De quelle manière votre père vous a-t-il marqué?

J’ai toujours considéré que nous étions issus de pionniers, c’est-à-dire de personnes qui ont construit leur vie à la frontière de la civilisation établie. C’était dangereux. Par conséquent, il y avait de la paranoïa, de la méfiance et un besoin constant de protection. Peut-être que je suis à côté de la plaque, mais je pense que c’est toujours dans notre sang. Je ne sais pas comment ce genre de mentalité de survie a pris racine dans notre ADN, mais je vois ces traits dans ma famille et en moi. On voit aussi cela à travers les résultats des élections dans le Missouri. Le premier réflexe va toujours vers cette conservation de soi.

Pouviez-vous parler d’émotions avec votre famille?

Oh, non, c’est probablement la raison pour laquelle le médium cinématographique m’a attiré. Parce que je ressentais le besoin d’analyser les émotions. A cette époque, il fallait être assez fou pour entrer en thérapie. Aujourd’hui, nous avons un peu avancé à cet égard. Mais ensuite, je lis des textes de philosophes de l’Antiquité et je me remets à penser que nous n’avons rien appris du tout.

Quelle chose apprise de votre père aimeriez-vous transmettre à vos enfants?

Mon père a grandi dans un milieu très pauvre. Il voulait offrir une vie meilleure à ses enfants – et il y est parvenu. Comment puis-je améliorer la vie de mes enfants? L’ouverture émotionnelle intervient certainement là-dedans.

Vous recevez des critiques positives pour «Ad Astra». Est-il vrai que malgré cela, vous ne voulez pas faire campagne pour les Oscars?

Je n’ai pas dit les choses de cette manière. Tout est tellement subjectif avec ce genre de choses. Je crois en la méritocratie, mais je sais bien que le monde ne fonctionne pas ainsi. Chaque année, de merveilleux talents sont récompensés et d’autres merveilleux talents ne le sont pas. Si c’est mon nom qui sort, ça me fera plaisir. Si c’est le nom de quelqu’un d’autre, c’est souvent un ami et ça me fera plaisir aussi.

Dans «Ad Astra», vous incarnez Roy, un ingénieur spatial solitaire. Connaissez-vous aussi ce sentiment?

Qui ne le connaît pas?! Je ne suis certainement pas le seul. L’insignifiance, la dévalorisation, le désespoir – il faut regarder ce qui est réel et ce qui est plutôt un virus psychique. J’ai un ami qui a travaillé dans un hospice. Il dit qu’à la fin de leur vie, les gens ne parlent pas de leurs succès, de leur carrière et de leurs voitures, mais plutôt de leurs proches et de leurs regrets vis-à-vis de ces derniers. On voit donc clairement ce sur quoi on doit se concentrer.

Y a-t-il quelque chose que vous regrettez?

On a tous quelque chose que l’on regrette, que l’on porte et que l’on enfouit au fond de soi. Mais peut-être que c’est une mauvaise façon de voir les choses: si l’on regarde de près ces moments et si on les comprend, on peut aussi se pardonner. Et s’il y a quelque chose à assainir avec les autres, alors on peut corriger cela. On ne peut pas faire plus. Et cela permet d’échapper aux regrets à la fin de notre vie. Du moins je l’espère.

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