Interview Dodie: «J’ai encore pas mal de place libre sur mon corps»

de Caroline Libbrecht/AllTheContent

3.2.2021

Tatoués désespérés vs tatoueurs talentueux… C’est toute l’équation de «Tattoo Cover» sur TFX. Connue et reconnue dans l’univers du tatouage, Dodie se prête au jeu: elle propose des créations inédites pour recouvrir des tatouages honteux ou ratés.

Quand vous avez débuté, les femmes qui tatouaient se comptaient sur les doigts d’une main?

Je suis tatoueuse depuis l’âge de 21 ans… Et j’ai 44 ans. J’étais l’une des premières femmes à tatouer. En 1997, les femmes étaient très rares dans ce milieu. C’était une autre époque. Rien ne justifiait que ce soit un domaine réservé aux hommes, ce n’est pas un métier qui demande une force physique ou autre! Aujourd’hui, le métier connaît une certaine parité. Et les personnes tatouées sont aussi bien des hommes que des femmes.

Qu’est-ce qui vous attirait dans le tatouage?

Je dessine depuis que je suis toute petite. J’ai fait l’école des Beaux-Arts. J’ai toujours baigné dans une culture punk et alternative. Mon but dans la vie, c’était de trouver un métier qui relie mes idées politiques, mes passions musicales et mes envies artistiques. Et il se trouve que le tatouage est un métier qui a ce côté underground et marginal que j’aime bien, tout en ayant une valeur artistique. Pour mon mode de vie, c’était le métier parfait!

«Je leur ai caché mes premiers tattoos, j’étais trop jeune.»

Comment êtes-vous entrée dans l’univers du tatouage?

Avec mes deux grands frères, j’étais dans un délire biker. Mes parents nous ont élevés à la campagne, dans une culture folk, héritée de mai 68. Mes parents sont excentriques dans leur manière de vivre, mon père roule en moto. Mon premier tattoo, j’avais 14 ans, c’était un papillon, je n’avais pas l’autorisation de mes parents. Je leur ai caché mes premiers tattoos, j’étais trop jeune. Quand je leur ai dit que je voulais être tatoueuse, ils ne m’ont pas prise au sérieux. La première fois que j’ai tatoué quelqu’un, j’avais 16 ans, je dessinais beaucoup et je proposais mes planches de dessins à un ami tatoueur. Pour délirer, un jour, il m’a laissé essayer son dermographe pour tatouer un de ses copains.

Et, vers 20 ans, comment avez-vous décidé de faire de cette passion votre métier?

A 20 ans, j’étais dans une période de flottement, il fallait que je trouve un métier. Ma famille et mes amis proches m’ont offert mes premières machines à tatouer, et c’est comme ça que je me suis lancée. J’ai ensuite trouvé quelqu’un qui m’a formée. Mes parents, réticents au début, m’ont servi de cobayes… Maintenant, ils sont tatoués de partout. Mes frères aussi!

Comment votre style a-t-il évolué au fil des années?

De façon instinctive, j’ai renoncé aux codes classiques du tatouage. J’ai eu envie de proposer ce que moi j’avais envie de porter et j’ai décidé d’écouter ma féminité pour aller vers des motifs de dentelle. Comme ça n’avait jamais été fait, ça a bien marché et ma carrière a décollé à ce moment-là, vers 2012. Puis je me suis tournée vers les motifs floraux, épurés, intemporels… et sans couleur. Quand on a des tatouages trop colorés, ça ne s’accorde pas avec un style vestimentaire coloré. On finit par ressembler à un polichinelle! (rires) Je préfère la sobriété du noir.

«J’ai des tatouages old school, un peu kitsch, qui ont mal vieilli.»

Etes-vous satisfaite des tatouages que vous portez?

Pas du tout! Comme j’ai commencé à me faire tatouer très jeune, je n’étais pas toujours bien inspirée et je n’avais pas non plus les moyens de me faire tatouer par des grands noms. Du coup, aujourd’hui, j’ai des tatouages old school, un peu kitsch, qui ont mal vieilli… J’ai aussi beaucoup de «covers»: des tatoueurs que j’aime bien ont recouvert certains de mes anciens tatouages. Avec le temps, je me suis offert quelques jolies pièces. Je rattrape peu à peu! J’ai encore pas mal de place libre sur mon corps. Il faut dire que, dans ma génération, on se faisait moins tatouer qu’aujourd’hui.

Regrettant certains de vos tatouages, vous êtes bien placée pour comprendre les gens qui viennent vous voir dans l’émission «Tattoo Cover»…

Parfaitement! Quand je les entends parler, ça résonne dans ma tête. Parfois, les tatouages sont synonymes d’une période révolue, ça peut être le prénom d’un.e ex, par exemple, ou ils ont été faits sur un coup de tête, ou ils sont tout simplement ratés. Cela peut pourrir la vie de celui qui le porte!

Y a-t-il toujours une solution pour recouvrir un tatouage?

Non, les solutions de cover sont difficiles quand le tatouage d’origine est trop sombre, trop gros et trop dense. C’est important que la personne accepte notre solution, n’ait pas trop d’exigence et nous fasse confiance. Les tatoueurs ne sont pas des magiciens. Parfois, les gens veulent des choses impossibles. On leur explique et on tente de trouver un compromis.

«Je voulais être moi-même, ne faisant rien de plus que mon métier, devant des caméras de télé»

Avez-vous hésité à participer à l’émission «Tattoo Cover»?

Quand j’ai rencontré la société de production, on en a discuté, j’ai hésité, puis un tatoueur reconnu, Tin-Tin, m’a convaincue de le faire pour représenter le métier. J’ai posé mes conditions: je voulais choisir mes vêtements car je ne voulais pas être déguisée, et je ne voulais pas que ce soit scénarisé. Je voulais être moi-même, ne faisant rien de plus que mon métier, devant des caméras de télé. Au final, mes volontés ont été parfaitement respectées. Avec Marty Early, Diego Moraes, Karina NG et Adrien, on forme une bonne équipe. A «L’heure bleue», mon studio de tatouage à Lyon, je ne fais que du Dodie et je sors rarement des sentiers battus. Au contraire, dans l’émission, on sort de notre zone de confort: on est en mode tatoueurs de street shop et on accueille les clients en s’adaptant à leurs besoins.

Que diriez-vous à vos enfants, s’ils souhaitent se faire tatouer?

Ma fille aînée a 22 ans, je lui ai fait son premier et unique tatouage. Je ne suis pas sûre qu’elle en veuille d’autres car elle a eu mal. La plus jeune a 12 ans, on verra plus tard. Je leur conseillerais d’attendre au maximum avant de se lancer. A 20 ans, on ne sait pas qui on est! Le tatouage est censé raconter le chemin de notre vie. Il ne faut pas en faire trop d’un coup, car c’est bien de garder de la place jusqu’à la fin de sa vie.

Retrouvez Dodie sur TFX: «Tattoo Cover, sauveurs de tatouages», chaque jeudi à 21h05.

Et sur Instagram, sur son profil dédié aux tatouages et sur son profil dédié à ses créations en cuir.

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