La Chine menace «Le risque de guerre à Taïwan n’est pas à exclure»

Gregoire Galley

18.1.2024

Samedi dernier, William Lai du Parti démocrate progressiste (PDP) a remporté l’élection présidentielle de Taïwan devant son rival du Komintang (KMT) Hou Yu-ih. Fervent défenseur de l’indépendance, Lai a été présenté comme un «grave danger» par la Chine. Directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne, Mathieu Duchâtel décrypte ce scrutin et ses conséquences.

L’armée chinoise se modernise afin de se donner les moyens d’envahir Taïwan.
L’armée chinoise se modernise afin de se donner les moyens d’envahir Taïwan.
ats

Gregoire Galley

Comment expliquez-vous la victoire de William Lai ?

«Lai a triomphé grâce au soutien de la base du Parti démocrate progressiste (PDP). En effet, il faut garder à l’esprit que le PDP possède une force électorale stable qui se situe aux alentours de 40% des voix à Taïwan. William Lai a donc pu s’appuyer sur cet électorat pour remporter ce scrutin.»

«En revanche, au contraire de bon nombre de ses prédécesseurs, il n’a pas réussi à atteindre la majorité absolue en captant l’électorat centriste. Cela explique le bon résultat du candidat du Parti populaire taïwanais (PPT) Ko Wen-je qui a récolté près de 26% des voix, se classant troisième de cette triangulaire derrière William Lai et le candidat du Kuomintang (KMT) Hou Yu-ih (34%).»

Quel est le profil social des personnes qui ont voté pour Lai ?

«Nous attendons des statistiques plus précises, même si généralement les classes populaires ont tendance à voter pour le PDP. Il est évident que le clivage nord-sud, très structurel, a de nouveau été déterminant. Par exemple, il est acquis que les villes du sud-ouest de l’île ont tendance à voter pour le PDP, alors que le côté est de l’île préfère élire des représentants du KMT. Il semble, en outre, que malgré la compétition sévère du PPT, le PDP a réussi à mobiliser une partie de l’électorat des jeunes, ce qui n’a pas été le cas pour son rival du KMT. Pour preuve, ce parti obtient des résultats inférieurs à 20% dans les catégories 20-29 ans.»

Quels seront les principaux défis à relever pour le nouveau président ?

«Lors de cette élection, William Lai a perdu la majorité absolue au parlement. Avec 51 sièges obtenus, le PDP se retrouve derrière le KMT (52 sièges, plus deux indépendants en réalité alignés). Le président devra donc nouer des alliances avec le PPT (8 sièges) afin de faire passer ses réformes. La grande question est donc de savoir de quelle manière le PPT va se positionner sur les questions de politiques publiques. Aujourd’hui encore, le flou reste total puisque le PPT n’a pas vraiment dévoilé ses intentions au cours de la campagne électorale. Il s’est contenté de dire qu’il gérera les dossiers de manière plus efficace que le PDP et le KMT. Dans cette situation, le PDP se retrouve face à un énorme défi de gouvernance.»

«En outre, William Lai devra gérer les pressions que la Chine ne manquera pas d’exercer sur son gouvernement pour le faire échouer. A ce sujet, il faudra certainement attendre le 20 mai prochain et son discours de politique générale lors de son investiture pour y voir plus clair. Cependant, il ne fait que peu de doutes qu’il poursuivra la politique chinoise de la présidente sortante Tsai Ing-wen (PDP), caractérisée par une grande prudence.»

William Lai du Parti démocrate progressiste (PDP) a remporté l’élection présidentielle de Taïwan.
William Lai du Parti démocrate progressiste (PDP) a remporté l’élection présidentielle de Taïwan.
ats

Comment la Chine interprète-t-elle le résultat de cette élection ?

«Il y a trois éléments à distinguer concernant la Chine. Tout d’abord, elle perçoit Lai comme un politicien pro-indépendance même si en réalité son mandat démocratique l’engage à mener une politique de défense du statu quo. Deuxièmement, ce résultat n’est évidemment pas une très bonne nouvelle pour la Chine. De fait, cette dernière a tenté d’influencer ce scrutin afin de favoriser le candidat du KMT.»

«Cependant, elle ne l’a pas fait d’une manière trop forte afin d’éviter des effets contre-productifs. Enfin, la Chine a certainement remarqué que, même si Lai a été élu, le PDP est ressorti affaibli de ces élections puisqu’il a perdu la majorité absolue au parlement et près de 2,5 millions d’électeurs par rapport à la présidentielle de 2020. Pékin peut interpréter le résultat comme lui ouvrant un espace pour s’immiscer plus aisément dans le jeu politique taïwanais.»

Pourquoi la Chine veut-elle s’accaparer de Taïwan à ce point ?

«Jusqu’en 1943, la position du Parti Communiste Chinois (PCC) de Mao Zedong était qu’il fallait soutenir le mouvement de libération national de Taïwan et la décolonisation du Japon. Aujourd’hui, le PCC tend à voir la question de Taïwan comme le prolongement de la guerre civile chinoise qu’il a remportée sur le continent contre le KMT, et l’unification avec Taïwan est devenue un objectif stratégique fondamental pour le gouvernement chinois. Cette dernière est ainsi inscrite dans la Constitution de la République Populaire.»

«Outre les aspects historiques, il y aussi beaucoup de raisons stratégiques qui expliquent pourquoi la Chine veut mettre la main sur cet île, qui a un statut de pivot géostratégique dans les relations sino-américaines. Ainsi, si Taïwan basculait dans le camp chinois, l’architecture de l’ordre régional serait entièrement reconstruite, au profit d’une domination chinoise.»

«Le facteur clé est la crédibilité de la posture de dissuasion des États-Unis»

Mathieu Duchâtel

Directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne

Un scénario semblable à celui de la guerre en Ukraine est-il envisageable à Taïwan ?

«Je pense que la modernisation de l’armée chinoise est entièrement orientée dans le but de se donner les moyens pour y parvenir. Le risque de guerre n’est pas à exclure. Toutefois, je pense le pays de Xi Jinping a une préférence évidente pour une forme d’unification pacifique de Taïwan.»

«A court terme, la Chine est plus susceptible de miser sur des stratégies coercitives que sur une grande invasion. En effet, cette dernière risquerait d’échouer, et serait incroyablement coûteuse. Bien sûr, le facteur clé est la crédibilité de la posture de dissuasion des États-Unis. Tant que celle-ci est solide, et c’est le cas aujourd’hui, on peut raisonnablement espérer la poursuite de la paix.»

En évoquant les États-Unis, quelles seraient les conséquences pour Taïwan d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche en novembre prochain ?

«Il faut savoir que le PDP considère que le premier mandat de Donald Trump a été très favorable à Taïwan, qui a su profiter de la guerre commerciale avec la Chine pour diversifier son économie tout en diminuant sa dépendance envers son grand voisin.»

«En revanche, à l’heure actuelle, on ne connait pas encore la position de Donald Trump vis-à-vis de Taïwan s’il parvient à reconquérir la Maison Blanche. Gardera-t-il le même cap ou mettra-t-il en place un «deal» avec la Chine ? Les signaux ne sont pas clairs du tout à ce stade.»