Il y a 60 ansPaula Hitler: «Je dois dire du bien de lui, c’est mon frère après tout»
De Philipp Dahm
4.6.2020
Elle a pu tirer un modeste profit de son nom, ce qui n’a toutefois pas compensé la souffrance que son frère Adolf a causée: dépendante des aides sociales à la fin de sa vie, Paula Hitler est morte il y a 60 ans.
Adolf Hitler n’est pas un enfant unique. Il a cinq frères et sœurs, parmi lesquels seule sa sœur Paula atteindra l’âge adulte. Elle mourra le 1er juin 1960 à l’âge de 64 ans.
Le père d’Adolf et Paula naît en 1837 à Döllersheim, en Basse-Autriche, d’une liaison illégitime. Qui est cet homme? Après l’école primaire, Alois Schicklgruber suit un apprentissage de cordonnier et part à Vienne à l’âge de 13 ans. Au bout de quatre ans, il passe son examen final d’apprentissage dans les métiers du cuir et accomplit son service militaire.
Une première épouse de 14 ans plus âgée, une deuxième épouse de 24 ans plus jeune
En 1855, le jeune homme de 18 ans est recruté par les douanes. Durant les 16 années suivantes, il gravit les échelons. Il se marie une première fois en 1873: Alois a 36 ans, mais son épouse Anna Glasl-Hörer en a déjà 50. En 1876, Alois prend le nom de famille du frère de son beau-père afin de recueillir son héritage. La raison pour laquelle l’administration a changé Hiedler en Hitler demeure floue.
Le mariage d’Alois Hitler avec cette fille de douanier fragile mais aisée ne donne lieu à aucune naissance. Le couple se sépare et Anna meurt en 1883. A ce moment-là, Alois a déjà eu un enfant avec Franziska Matzelsberger, une cuisinière de 24 ans sa cadette: Alois Hitler Junior est né en 1882. L’année suivante, le couple se marie. Cependant, le bonheur est de courte durée: le 28 juillet 1884, Franziska donne naissance à leur fille Angela mais meurt 13 jours plus tard de la tuberculose.
En raison de la maladie de Franziska, Alois Hitler a fait appel à sa petite cousine Klara Plötzl, qui a déjà travaillé pour la famille comme femme de ménage de 1875 à 1881. Moins de cinq mois après la mort de sa deuxième épouse, Alois se présente à nouveau devant l’autel – après que Rome a autorisé le mariage avec sa petite cousine du second degré.
Six enfants – seuls Adolf et Paula ont survécu
Quatre mois après le mariage, le 17 mai 1885, le premier enfant est déjà là: Gustav meurt toutefois de la diphtérie à l’âge de deux ans. En 1888, la maladie emporte également Ida, âgée d’un an et demi. Adolf naît le 20 avril 1889, suivi de son frère Otto en 1892, mort d’hydrocéphalie au bout de six jours.
Alors qu’Adolf Hitler a presque cinq ans, son frère Edmund voit le jour, mais il est emporté par la rougeole à l’âge de six ans. Paula complète la famille Hitler le 21 janvier 1896. Dès 1875, Alois Hitler a été muté à Braunau am Inn, où son fils Adolf est né en 1889.
En 1892, la famille déménage à Passau suite à une promotion. Au bout d’un an et après une nouvelle promotion, la famille plie bagage pour Linz, où Alois Hitler prend à la tête du service des douanes de la direction financière. Il y travaille jusqu’à sa retraite en juin 1895. En février, Alois Hitler a déjà acheté une maison à Hafeld, un petit hameau dans les environs de Linz: «Rauscher Gut» couvre une superficie de 3,8 hectares. C’est là que Paula Hitler vient au monde un an plus tard.
Adolf Hitler, un jeune homme «brisé»
Adolf et Paula passent leur enfance à «Rauscher Gut» avec leur demi-frère Alois Junior et leur demi-sœur Angela. Quand Edmund meurt de la rougeole en 1900, Adolf a onze ans et Paula quatre. Le père est strict et bat ses enfants: Alois Junior se brouille avec son père et quitte le domicile parental avant la mort d’Alois en 1903. Adolf se révolte aussi contre le vieil homme, qui fait également souffrir sa mère Klara.
«Même ses amis les plus proches reconnaissaient qu’Alois était "terriblement brusque" envers son épouse et "ne lui disait presque pas un mot à la maison"», écrit Robert G. L. Waite, biographe d’Adolf Hitler.
Passionné d’apiculture, il s’effondre et meurt à l’âge de 65 ans le 3 janvier 1903, alors qu’il est venu boire son vin matinal à l’auberge Stiefler à Leonhard, près de Linz. «Lorsque son fils alors âgé de 14 ans a vu son père mort, il a éclaté en sanglots et ne pouvait plus s’arrêter de pleurer», s’est souvenu un ami d’enfance d’Adolf Hitler.
Seulement quatre ans plus tard, sa mère Klara meurt également, emportée par un cancer du sein à 47 ans. Paula a presque douze ans lorsqu’elle devient orpheline. A cette époque, Adolf, 18 ans, postule à l’Académie des beaux-arts de Vienne. Le médecin juif de la famille déclarera plus tard qu’il n’a «jamais vu un jeune homme aussi brisé et anéanti» qu’Adolf Hitler après la mort de sa mère.
Les orphelins Hitler
Après la mort de sa mère, Paula s’installe chez sa demi-sœur Angela, qui s’est mariée et deviendra mère de trois enfants. Elle perçoit une rente d’orphelin qu’elle doit partager avec Adolf. Celle-ci est versée aux orphelins scolarisés ou qui suivent des études jusqu’à l’âge de 24 ans. Le frère de Paula se présente comme un étudiant en art. Ce n’est qu’en 1911 qu’il déclare avoir arrêté ses études; ainsi, sa sœur perçoit la totalité de la somme, soit 50 gulden par mois.
Sa demi-sœur Angela est non seulement orpheline, mais aussi veuve depuis l’année précédente: son mari est décédé à l’âge de 31 ans. Malgré cette situation précaire, Paula termine l’école primaire et l’école pour jeunes filles. Elle se familiarise avec la machine à écrire. Elle souhaite devenir secrétaire. Elle n’a eu aucun contact avec Adolf depuis la mort de leur mère. Ce n’est qu’en 1920, lorsqu’une compagnie d’assurance viennoise l’engage, que frère et sœur se revoient.
Même dans les années 1920, alors que son frère est en pleine ascension en Allemagne, cela ne change pas. En avril 1923, la jeune femme de 27 ans quitte l’Autriche pour la première fois et rend visite à son frère à Munich. Mais lorsque ce dernier est emprisonné à la fin de l’année après un putsch manqué, elle ne va pas le voir – contrairement à sa demi-sœur Angela et ses trois enfants.
La nièce d’Adolf Hitler se suicide dans l’appartement qu’ils partagent
Elle déménage même avec ses trois enfants à Munich et plus tard au Berghof d’Adolf Hitler. Sa fille Geli s’installe même chez son oncle Adolf, qui est aussi son tuteur – celle-ci se donne la mort dans l’appartement de neuf pièces munichois le 18 septembre 1931, à l’âge de 23 ans. Dans les années 1930 et 1940, Paula affirme n’avoir vu son frère qu’une fois par an environ.
A partir de 1930, Paula est soutenue financièrement par Adolf après avoir perdu son emploi dans l’assurance à Vienne, «parce qu’on savait qui était [son] frère». Sur ses conseils, elle se fait appeler Paula Wolff: le Führer tient sa famille à l’écart du public et lui interdit également de rejoindre le NSDAP.
Paula travaille sporadiquement, écoute le discours d'Hitler sur la Heldenplatz de Vienne après l’annexion de l’Autriche et travaille comme secrétaire dans un hôpital militaire pendant la guerre. Lorsqu’elle rencontre Erwin Jekelius, un médecin spécialisé dans les actes d’euthanasie, elle demande à Adolf la permission de l’épouser. Mais le Führer fait signer à l’homme un document l’engageant à mettre fin à la relation – et l’envoie sur le front de l’Est. Erwin Jekelius meurt en captivité en Russie.
Paula ne croit pas à la culpabilité d’Adolf
Après la capitulation des nazis, Paula Hitler est arrêtée et interrogée. Elle dit aux Américains en juin 1945: «Je ne crois pas que mon frère ait ordonné les crimes qui ont été commis contre toutes ces personnes dans les camps de concentration – ni même qu’il ait eu connaissance de ces crimes. Je dois dire du bien de lui, c’est mon frère après tout. Il ne peut plus se défendre.»
Après avoir été libérée par les Alliés, Paula retourne à Vienne et travaille dans un magasin d’art. En 1952, elle s’installe à Berchtesgaden, en Haute-Bavière. Elle se retire dans un petit logement et bénéficie de l’aide sociale. Des anciens membres de la SS et des anciens nazis passeraient de temps en temps voir si tout va bien. En 1956, elle abandonne le nom Wolff et reprend Hitler.
Peu avant qu’elle ne meure d’un cancer en 1960, un tribunal lui accorde les deux tiers de l’héritage d’Adolf Hitler. Après sa mort, l’héritage revient à sa demi-sœur Angela et à son frère Alois Junior. Alois Junior avait émigré à Londres et avait eu un enfant avec une Irlandaise, dont les descendants vivent aux États-Unis. Ils s’appellent maintenant Houston et non plus Hitler.
Ni eux, ni les descendants d’Angela n’ont jamais repris l’héritage d’Adolf Hitler; ainsi, les droits et les biens sont revenus à l’Etat libre de Bavière.
Que sont devenus les enfants des principaux criminels nazis?
Que sont devenus les enfants des principaux criminels nazis?
Gudrun Burwitz (1929-2018), l'unique fille biologique d'Heinrich Himmler, est restée active au sein de groupements d'extrême droite jusqu'à un âge avancé. Elle n'a jamais pris ses distances par rapport à son père et à ses crimes. Sur la photo, on peut voir le Reichsführer-SS avec sa fille Gudrun lors d'une manifestation sportive organisée à Berlin en mars 1938.
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Ironiquement, Gudrun Burwitz a travaillé en tant que secrétaire pour le Service fédéral de renseignement allemand (BND) pendant deux ans, de 1961 à 1963. Pour ce faire, elle avait pris un nom d'emprunt.
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Le ministre des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop (1893-1946, à droite) sur une photo de famille prise aux alentours de 1940. Au cours d'une interview accordée à une chaîne de télévision russe, son fils aîné Rudolf von Ribbentrop (né en 1921, au-dessus à gauche) s'est dit reconnaissant du destin que son père célèbre lui avait offert et de tout ce qu'il lui avait permis de vivre.
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Le secrétaire personnel d'Hitler Martin Bormann (1900-1945, au premier rang tout à gauche, cliché pris en 1935) est considéré comme un des principaux exécutants du dictateur nazi.
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Son fils Adolf Martin Bormann (1930-2013) fut le premier filleur d'Hitler. En 1946, il avait abandonné son nom de baptême Adolf, s'était fait baptiser au sein de l'Église catholique et était devenu prêtre. Lorsqu'il parlait de son père, Bormann faisait la différence entre l'homme sévère, mais adoré de tous, et le fonctionnaire nazi dont il condamnait les actes.
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Le représentant officiel d'Hitler Rudolf Hess (au centre, Göring à gauche, Speer à droite) a échappé à la condamnation à mort lors du procès de Nuremberg. Il s'est suicidé en 1987 dans la prison berlinoise de Spandau. Il avait 93 ans. En 1941, il avait réussi à fuir vers le Royaume-Uni en avion.
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Wolf Rüdiger Hess (1937-2001, à gauche), lui aussi filleul d'Hitler, a œuvré toute sa vie pour la libération et la réhabilitation de son père. Après la mort de ce dernier, il a prétendu que son père ne s'était pas suicidé, mais avait été assassiné par le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni (SIS). Il a contribué à la diffusion de la légende de «Hess, aviateur de la paix», reprise par des groupements d'extrême droite.
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En tant qu'architecte, Albert Speer Junior (1934-2017) a marché sur les traces de son père professionnellement parlant, un père qui, en tant qu'organisateur de l'armement nazi, avait été condamné à 20 ans de prison par le tribunal de Nuremberg.
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Cependant, contrairement à Albert Speer Senior (1905-1981), qui avait contribué au déploiement d'une architecture nazie et d'une organisation urbaine mégalomaniaque, le fils a œuvré en faveur d'une culture architecturale démocratique et responsable qui lui a valu de recevoir de nombreux prix et récompenses.
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Après la guerre, Edda Göring (née en 1938), la fille unique du maréchal Hermann Göring (1893-1946), s'est battue pendant plusieurs dizaines d'années devant les tribunaux pour récupérer une partie de l'héritage de son père, qui s'était suicidé pour échapper à son exécution.
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En 2014, elle a une nouvelle fois tenté d'obtenir la restitution de la fortune de son père, qui est notamment le fruit d'actes de vol et d'extorsion commis durant la période nazie, en déposant une pétition au Landtag de Bavière, mais ses réclamations sont restées vaines. Sur ce cliché, on peut voir Edda Göring sur le chemin de l'école, à Munich, aux alentours de 1950.